Gérardmer 2019
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- Dossier par Guénaël Eveno le 11 février 2019
Nazi puppets win
On le disait moribond il y a quelques années, mais ce bon vieux festival international du film fantastique de Gérardmer aura finalement enterré les années 90, 2000 et 2010 pour sa 26ème édition du 30 janvier au 3 février dernier !
Seuls les Gilets Jaunes encore vaillants sur les rond-points, particulièrement actifs le samedi 2, ont rappelé le monde extérieur aux festivaliers en immersion dans la programmation du festival géromois, qui constitue toujours un baromètre efficace du cinéma fantastique et d’horreur actuel, révélant les sous-genres en plein revival, les vieilles momies persistantes et les nouveautés annonçant de futures belles heures pour le genre. Rayon nouveauté, signalons l'ouverture d'une section "Rétromania" qui permit cette année de dénicher une belle rareté, le très poétique Renne Blanc d’Erik Blomberg (1952), déclaré premier film fantastique finlandais ! Outre la programmation d’une nuit orientée cinéma d’exploitation australien, le festival a rendu hommage à deux grands artisans du cinéma de genre : le prolifique Udo Kier et Eli "Hostel" Roth.
La sélection officielle, de son côté, n'a déniché aucune pépite du calibre de The Witch ou It Follows mais a réservé son lot de bons moments entre dégustations de vin chaud et valorisation de l'imaginaire au sens large dans le désormais consacré Espace Tilleul.
THE UNTHINKABLE
Injustement boudé au Paris International Fantastic Film Festival de décembre dernier, The Unthinkable du collectif suédois Crazy Pictures repart avec le Prix du jury, le prix de la critique et le prix du jury jeunes de la région Grand Est. Une belle brochette de récompenses pour un film catastrophe singulier livré par cinq amis d’enfance qui cumulent avec brio toutes les casquettes.
Une attaque terroriste sur la Suède force Alex à retourner dans son village natal pour enterrer sa mère. Suite au divorce de ses parents, le jeune pianiste avait quitté les lieux, coupé les ponts avec son père et laissé la femme qu’il aimait derrière lui. Or l’attentat n’était qu'un prélude à un chaos plus global duquel Alex devra survivre en affrontant ses conflits enfouis depuis trop longtemps. Longtemps hors-champ, l'argument fantastique sert ainsi de catalyseur au rapprochement entre un père esseulé dans ses obsessions complotistes et un fils replié dans son art, s'isolant de la vie et des siens.
Cette relation filiale cabossée s'exprime par une première partie au cachet intimiste, introspectif, posant les relations problématiques fondatrices dans la pure tradition du film indé. Une proximité des affects des protagonistes que le collectif d'auteurs s'échine à conserver lorsque les points de vue sont amenés à éclater pour livrer une vue exhaustive de la catastrophe, intention louable pour laquelle nous feront abstraction des coïncidences dignes de Roland Emmerich. Car The Unthinkable réussit là où l'Allemand a souvent échoué, le facteur humain et le chaos ambiant se nourrissant ici mutuellement via des scènes émouvantes et amères, témoignant d’un certain point de non-retour. Autre surprise : le budget de 1,9 millions d’Euros, plutôt modeste pour une production de cette envergure.
The Unthinkable de Crazy Pictures, sortie le 29 mars en VOD, le 3 avril en DVD & Blu-ray
PUPPET MASTER : THE LITTLEST REICH
En 1989 naissait une franchise de DTV surfant sur la vague des poupées tueuses. Ayant participé au Dolls de Stuart Gordon, Richard Band comptait capitaliser sur la recette pour faire décoller sa société Full Moon et lançait le premier Puppet Master. Trente ans plus tard, la franchise s'est enrichie de douze opus et lance un inévitable reboot : The Littlest Reich, produit simultanément au douzième chapitre de Puppet Master, Axis Termination, qui concluait une trilogie préquelle dans laquelle André Toulon, le créateur des poupées, affrontait la Gestapo. Aussi est-il bien curieux de retrouver le même en sympathisant néo-nazi lâchant ses puppets sur des juifs et homosexuels de notre époque venus s’en payer une bonne tranche pour fêter la mort du nazillon.
Ce détail mis à part, les poupées ne lésinent pas sur les mutilations avec à disposition un hôtel truffé de futures proies. Parmi elles, la charmante Barbara Crampton (Re-Animator et From Beyond de l’ami Stuart Gordon) sous les habits d’ancien flic, ainsi que Thomas Lennon qui incarne le frère d’une des victimes des exactions de Toulon. La distribution se complète d’une apparition d’Udo Kier, royal dans le rôle de Mr Toulon.
Ce nouveau Puppet Master adopte une attitude franchement rigolarde et rentre-dedans, ce qui paye puisque après des années privilégiant les récompenses pour des œuvres fantastiques "qui se regardent penser", voilà une pure bande d’exploitation consacrée par le Grand Prix et le Prix du public. Faut-il y voir un rapport avec la nostalgie prononcée pour les 80/90’s...?
Puppet Master: The Littlest Reich de Sonny Laguna & Tommy Wiklund, sortie indéterminée
ESCAPE GAME
Jeudi 31 janvier 2019. 20h00. La neige jusqu’aux genoux, nous faisons route vers le prix de la roublardise 2019, grand amuse-gueule de ce festival : une poignée d’hommes et de femmes est mystérieusement conviée à un escape game, jeu qui consiste à tenter de sortir d’un lieu clos en résolvant une série d’énigmes. Malheureusement pour nos protagonistes mais heureusement pour l'histoire, les organisateurs ont ajouté quelques pièges mortels pour épicer le concept.
Capitalisant sur un concept très tendance, Escape Game reprend le canevas de Saw en y injectant des touches de Destination Finale, Cube et Hostel tout en expurgeant leurs effets gores. C'est concept (ou plutôt un foutoir de concepts essorés dans un shaker) et ça augure d'une future et juteuse franchise. Pour cause, car (SPOILER) le final annonce joyeusement le deuxième volet ! Malgré l'absence de risque, d’originalité et de fun de ses "inspirations", Escape Game réserve quelques bons moments à mesure que les candidats évoluent dans les arcanes de ce jeu pervers, dont un décor de bar inversé qui titille légèrement les nerfs. Deborah Ann Woll (True Blood, Daredevil) et Tyler Labine (Tucker & Dale Fightent Le Mal) viennent soutenir des nouvelles têtes devraient jouir d'un boulot assuré pour cinq ans si le pari est gagné. Réponse au cinéma très bientôt le 27 février, bien que vous gagneriez probablement à vous reporter sur le second volet de Happy Birthdead, franchise sous influence autrement plus sympathique.
Escape Room d’Adam Robitel, sortie en salles le 27 février 2019
RAMPANT
Une décennie plus tard, les zombies flicks posent encore leurs grosses pattes sur Gérardmer, dans le sillage de la mascotte officielle Rob le zombie racolant les festivaliers pour des selfies. Nous avons donc tout fait pour éviter les bouffeurs de cervelle, mais en concédant toutefois le bénéfice du doute au sud-coréen Rampant, le pays du matin calme ayant tiré le genre vers le haut avec Dernier Train Pour Busan. La production coréenne confirme avec ce nouvel essai de zomblards à grand spectacle, Rampant gagnant en originalité grâce à un mix improbable entre politique et action en costumes, dépassant son carcan de série B pour lorgner vers le drame lyrique.
Une épidémie se propage dans le royaume coréen de Joseon. Suite à l’exécution du dauphin pour traîtrise envers son père, le deuxième fils du roi doit revenir au pays pour exécuter ses dernières volontés. A mesure qu'il s'enfonce dans le royaume, le prince constate l'invasion de démons jusqu'à la cour royale, et rencontre les alliés de son frère, accusés de rébellion, qui l’informent que le frangin a été victime d'un complot du ministre de la guerre...Â
Dans ce grand écart entre les genres, le réalisateur Kim Sung-hoon ne gère pas toujours au mieux les ruptures de ton, mais l’action, la production, les costumes ainsi que la photo sont suffisamment soignés pour patienter jusqu'à la dernière partie, lorsque la pantalonnade se transforme en brûlot politique qui ferait claquer des dents Emmanuel Macron. De beaux personnages achèvent de faire de ce Rampant le long-métrage le plus jouissif de cette édition 2019. On est pas encore à Busan, mais les coréens détiennent toujours le bâton de Bourbotte du film de zombies.
Rampant de Kim Sung-hoon, sortie indéterminée
ANIARA
C’est à la Suède que revient le prix de l’étrangeté de cette édition et le Prix du jury (ex-æquo avec The Unthinkable). Aniara est l’adaptation du poème composé en 1956 par le Prix Nobel suédois Harry Martinson. Composé de 103 chants, ce poème épique explore le futur d’une humanité perdue dans l’espace : de nombreux vaisseaux sont en partance pour Mars suite à l’épuisement des ressources terriennes. Mais pour l’un deux, l'Aniara, le voyage, qui devait durer trois semaines, se prolonge indéfiniment après qu’il ait quitté accidentellement le système solaire. Le vaisseau, capable de renouveler son air et vivre de ses ressources, doit s’organiser et les passagers accepter de devenir citoyens d’Aniara.
Le pitch peut faire penser à Wall-E ou au récent Passengers qui mettait en vedette Chris Pratt et Jennifer Lawrence, mais le premier long-métrage de Pella Kagerman et Hugo Lilja assume d’explorer un versant plus métaphysique de cet argument.
Pour conter ces années d’errance, Aniara adopte le point de vue d'une femme, Mimaroben, chargée de la Mima, une machine qui permet d’accéder aux souvenirs terriens des passagers. La prise de conscience du déracinement et la désillusion de toute perspective heureuse entraînent une dépendance à cette machine, tel l’adulte nostalgique s’accrochant à son passé. Une religion informelle finit par se créer, et se prolonge après destruction de la machine, entraînant notamment des vagues de cultes orgiaques. Ce travail sensible sur la nécessité pour l’humain de s’accrocher à une croyance ou des souvenirs se heurte à des longueurs patentes, des personnages souvent désincarnés (sauf l’héroïne) et à une exécution loin d’être à la hauteur de l’ambition. Mais de beaux moments et bienvenue originalité dans le traitement de la SF sont à saluer.
Aniara de Pella Kagerman & Hugo Lilja, sortie indéterminée
PHIL TIPPETT: MAD DREAMS AND MONSTERS
Il y a six ans, Gilles Penso et Alexandre Bustillo livraient à Gérardmer un documentaire passionné sur Ray Harryhausen, le maître de l’animation image par image (stop-motion), baptisé Le Titan Des Effets Spéciaux. Le duo revient cette année pour présenter un nouveau docu d’utilité publique sur Phil Tippet, fils spirituel d'Harryhausen. Qui ne connaît pas Tippett n’a pas du porter une grande attention aux génériques de la première trilogie Star Wars, de Starship Troopers, de Piranhas, Robocop 1 & 2, Jurassic Park, etc. Emboîtant le pas aux travaux d’Harryhausen dans les années 70, Tippet participa à la création de la partie d’échecs de La Guerre Des Etoiles puis contribua à faire entrer la stop-motion dans une nouvelle ère avec la go-motion.
Constitué d’entretiens avec Tippett, ses proches et quelques uns de ses collaborateurs (dont Joe "Gremlins" Dante), le documentaire nous éclaire sur la personnalité de l’animateur, ses projets plus personnels et donne surtout à voir comment ce fervent défenseur de la stop-motion a su surmonter l’arrivée des CGI qui menaçaient de sonner le glas de sa technique. Il parvint à promouvoir son expertise du mouvement, indispensable à insuffler la vie, aux premières créatures animées par ordinateur. Portrait d’un homme de conviction un chouïa idéalisé, ce Mad Dreams And Monsters n’en demeure pas moins un puissant témoignage de grands tournants de l’histoire des effets spéciaux, doublé d'un hommage nécessaire et habité à un des plus grands artisans du cinéma des dernières décennies, qui plus est de son vivant.
Phil Tippett: Mad Dreams And Monsters d'Alexandre Poncet & Gilles Penso, sortie indéterminée
AWAIT FURTHER INSTRUCTIONS
Suite au retour du fils prodigue pour le réveillon de Noël, une famille anglaise s'enjaille au grand complet. Les retrouvailles débouchent sur des tensions qui hélas écourtent la fête. Le lendemain, la maison est entourée d’une substance qui les oblige à rester confiner tandis qu’un message tourne en boucle sur leur téléviseur : "Restez à l’intérieur et attendez de nouvelles instructions ". Des instructions qui semblent de plus en plus radicales...
Faut-il toujours écouter la télé ? Voici une des nombreuses interrogations que brasse ce très sympathique huis-clos qui aurait pu constituer un épisode de Black Mirror ou de Au-Delà Du Réel. Du grand-père acariâtre et raciste à la princesse tentant de renouveler le modèle familial en passant par le fils progressiste et le cadre obéissant, le réalisateur Johnny Kekorvian développe ouvertement plusieurs archétypes de la famille anglo-saxonne. L’ensemble fonctionne très bien grâce à des interactions édifiées par des acteurs impliqués (l’interprétation du papy sadique par David Bradley est particulièrement jubilatoire), pour in fine diffuser un sentiment de malaise lorsque le conflit larvé laisse place à une violence plus assumée. Démontant le rôle fédérateur de la boîte à images en l'amenant à saboter les liens familiaux, Await Further Instructions se permet même de poser ce foyer en allégorie de lutte pour la survie et l’imposition de soi à autrui. Un climax cronenbergien révèle hélas quelques déceptions sans pour autant remettre tout l'ouvrage en cause.
Await Further Instructions de Johnny Kerkovian, sortie indéterminée
PALMARÈS
Grand Prix : Puppet Master: The Littlest Reich de Sonny Laguna & Tommy Wiklund
Prix du jury :Â Aniara de Pella KÃ¥german & Hugo Lijlja et The Unthinkable de Crazy Pictures
Meilleure musique originale: Fabio Frizzi pour Puppet Master: The Littlest Reich
Prix de la critique: The Unthinkable de Crazy Pictures
Prix du public : Puppet Master: The Littlest Reich de Sonny Laguna & Tommy Wiklund
Prix du jury SyFy : The Witch: Part 1. The Subversion de Park Hoon-jung
Prix du jury jeune de la région Grand Est : The Unthinkable de Crazy Pictures
Grand prix du court-métrage : Diversion de Mathieu Mégemont