6 Underground

Comme un aimant

Affiche Toy Story 4

Après s'être adonné à un cinéma plus apaisé (tout est relatif, on parle de Michael Bay) avec Pain And Gain et 13 Hours, véritables respirations entre deux opus crétinoïdes de Transformers, 6 Underground semble avoir sonné la fin de la récré !


Qu'on l'apprécie ou pas, il faut bien reconnaître que Michael Bay a une esthétique qui lui est propre, et qu'il est limite un genre à lui seul tant définir son cinéma demeure une sacrée gageure depuis qu'il est apparu sur le devant de la scène avec Bad Boys en 1995. Le génial vidéaste et monteur Tony Zhou (désormais retiré du circuit, donnez-lui des sous pour qu'il relivre des essais vidéo !) avait consacré un épisode d'Every Frame A Painting au style du réalisateur :



Le ciné-club de Monsieur Bobine (toujours actif, donnez-lui des sous pour qu'il poursuive son activité !) avait lui sorti l'artillerie lourde avec deux vidéos :





L'excellent site Senses of cinema a consacré à Bay plusieurs papiers dont le très copieux An Aesthetic of Excess. Mais c'est peut être la jeune Carla qui a le mieux cerné la bête dans le clip de son tube, à partir de la 19ème seconde (par contre vous pouvez cesser de lui donner des sous !).



D'ailleurs, Netflix surfe sur cette perception d'un cinéma décérébré en vendant le long-métrage maison (pour 150 millions de Dollars tout de même) sur l'unique promesse d'un enchaînement pétaradant de séquences. Ainsi, pour accompagner sa diffusion, la plateforme a mis en place un partenariat avec une marque de pop-corn à déguster devant 6 Underground : pendant la semaine précédent la mise à disposition du film, une publicité invitait les téléspectateurs à commander gratuitement un paquet de Boom Pop-Corn, carbonisé à souhait !




Un positionnement compréhensif même si un tantinet réducteur dans le cas qui nous intéresse. On est d'accord, 6 Underground n'est pas un parangon de réflexivité mais on peut en retirer quelques éléments intéressants à l'aune de la quête de sens du cinéma de Michael Bay entreprise par les cinéphiles (du moins parmi les plus curieux, ou les plus fous) qui trouva son apogée avec Pain And Gain et 13 Hours, soit une poursuite du rêve américain hypertrophié par trois culturistes cons-cons et un western dégénéré qui bousculent les symboles et valeurs de la bannière étoilée. Le tout bien évidemment enrobé d'une débauche d'effets tapageurs. Néanmoins, ce "diptyque" restait résolument attrayant en termes narratifs et cinématographiques, ce qui chez Bay relève de l'exception. On avait là atteint les limites les plus appréciables de son cinéma, le bonhomme replongeant dans les affres mécaniques de ses robots transformistes. Si 6 Underground ne constitue pas un renouveau ou une véritable surprise, ce n'est pas non plus une totale régression.

Un film de Michael Bay, c'est toujours l'assurance de plans qui en jettent et d'idées improbables mais en contrepartie il faut se coltiner un scénario indigent découpé à la truelle. 6 Underground respecte totalement, absolument, ce programme et l'assaisonne en sus d'une vision géopolitique caricaturale que l'on croirait tout droit sortie d'un tweet de Donald Trump. D'ailleurs, à bien y regarder, ce nouvel opus de Bay peut être considéré comme la plus parfaite illustration de l'esprit dérangé occupant la Maison Blanche : un milliardaire (Ryan Reynolds) met ses ressources financières à profit pour changer le monde à sa manière et selon son point de vue. Une équipe de six personnes se faisant passer pour mortes afin d'opérer librement (et même en roue libre, on peut le dire) devient, sous son contrôle, le bras armé d'un interventionnisme tous azimuts, c'est-à-dire dézinguer du criminel et du dictateur à tour de bras au mépris du droit international et de la diplomatie. Ce pitch renvoyant à ce que Bay abordait dans Rock et 13 Hours (le manque de reconnaissance des hommes oeuvrant dans l'ombre par des élites bureaucratiques déconnectées des réalités), 6 Underground avec son leader ne reconnaissant aucune autre autorité que la sienne avait tout du cocktail idéologiquement dangereux, mais Bay s'en tiendra à la surface. Faut pas trop lui en demander non plus.

6 Underground

Un alléchant menu que le cinéaste s'ingénie toutefois à porter à incandescence pour flamber un spectacle fascinant où les explosions de couleurs flashy se mêlent aux effets pyrotechniques, où psychologie et motivations des personnages restent secondaires (voire tertiaires), où seule compte l'énergie cinétique et tout moyen de la déployer. Et tant pis pour la grammaire cinématographique la plus élémentaire. Il faut que ça pulse, solliciter la perte de sens pour se rapprocher de l'abstraction esthétique. Cela ne fait pas un bon film pour autant, ok, mais 6 Underground s'avère être une expérience déroutante quand la maîtrise technique du réalisateur exalte ses pires travers. La séquence d'ouverture de poursuite géante dans Florence au son d'un remix de Carmina Burana est ainsi exemplaire, alignant les money shots, syncopée par un découpage hyper rapide de gros et très gros plans, le tout arrosé d'un WTF permanent et d'éclaboussures sanguinolentes en tout genre.

Comme Solaris pour Tarkovski, 6 Underground n'est pas le meilleur film de son auteur mais est sans doute le plus représentatif de son style. D'ailleurs, pour définir l'essence même du cinéma de Michael Bay, voire sa persona, il suffit d'adapter très légèrement le serment des Navy Seals récité par le bleu-bite Patton dans Du Sang Et Des Larmes de Peter Berg, qui sied à merveille à 6 Underground.

« [...] Rien ne m'est impossible, aucun ciel n'est trop haut, aucune mer n'est trop forte, aucune chatte n'est trop étroite.
La vie m'a appris des tas de trucs comme de jamais tirer sur un homme de gros calibre avec une arme de petit calibre.
J'ai conduit des tas de véhicules : deux roues motrices, quatre roues motrices, six roues motrices et même ces énormes pépères qui s'écrasent et qui font « pshhh pshhh » quand on appuie sur les freins.
Tout ce qui est bon dans la vie mérite qu'on en abuse, la modération c'est pour les lâches !
J'suis un amant, j'suis un combattant, je suis
un navy seal Michael Bay !
Je bois, je bouffe, je baise ! Et je repars discrètement dès que le plein est fait.
Et si ça plait pas à quelqu'un qu'il vienne me le dire en face : quand il s'agit de coller des pains j'suis aussi un as !
A la vôtre camarades ! 
»

6 Underground

Au fond, pourquoi persiste-t-on à s'intéresser aux films de Michael Bay ? Pas seulement parce qu'il sait flatter comme personne nos plus bas instincts cinéphiles un peu gonzos sur les bords. C'est aussi parce que face à un spectacle grandiloquent de Michael Bay, nous sommes comme les zombies de Land Of The Dead de Romero, irrémédiablement attirés par les explosions et couleurs des feux d'artifices déchirant le ciel. On en retient pas grand chose dès le bouquet final éteint - si ce n'est quelques bourdonnements persistants - mais bordel on en a pris plein les mirettes.




6 UNDERGROUND
Réalisation : Michael Bay
Scénario : Paul Wernick & Rhett Reese
Production : Michael Bay, Paul Wernick, Rhett Reese, Dana Goldberg, Katie Malott ...
Montage : Roger Barton, William Goldenberg, Calvin Wimmer
Photo : Bojan Bazelli
Musique : Lorne Balfe
Origine: USA
Durée : 2h07
Sortie française : 13 décembre 2019 (VOD)




   

Commentaires   

+2 #1 François 12-01-2020 09:02
J'aime bien Michael Bay en général, mais j'ai particulièremen t détesté 6 Underground avec son scénario cynique qui semble vouloir "se payer" Baby Driver (la scène d'ouverture), Fast & Furious (le concept de "famille"), les James Bond et les Mission : Impossible.

De même, peut-être est-ce moi qui ai vieilli, mais sa mise en scène semble aussi s'auto-parodier au point de ne plus rien avoir de jouissif (avant on comprenait un minimum malgré une gestion des raccords un peu...hasardeus e ?).

Cela dit, même s'il lance des piques à l'actuel propriétaire de la Maison Blanche (tout comme i le faisait dans le premier Transformers), le parallèle avec ce milliardaire qui fout le bordel pour remodeler un monde qu'il ne comprend que de façon binaire est plutôt bien vu.

Un irresponsable pour filmer un irresponsable en quelque sorte :-D
0 #2 James 29-05-2020 12:15
Il y a une chose dont vous ne parlez pas dans votre critique, c'est l'humour: il est omniprésent dans le cinéma de Bay. Ici, outre le scénar vraiment indigent, c'est l'humour qui me paraît plomber le film.
Rien n'est drôle alors que les dialogues ne sont qu'avalanche de punchlines... qui tombent toutes à plat.
Moins que dans la mise en scène, c'est dans cet humour débile (si jouissif dans Bad boys 2) que Michael Bay commence à sérieusement tourner en rond, voire à régresser. Et ça finit par contaminer le reste.

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