Le cinéma français pris de court : Fabrice Blin
Mandragore et à cri
Cette série d'articles vous fait découvrir les cinéastes de courts-métrages d'aujourd'hui qui feront peut-être le cinéma français de demain.
Aujourd'hui, nous recevons Fabrice Blin.
Â
Quel est ton parcours ?
J’ai un parcours un peu chaotique. Tout part de Mad Movies : j’ai voulu être réalisateur très tôt quand mes parents m’ont offert une caméra super 8 que j’avais réclamée pour mon dixième anniversaire. J’ai commencé à bricoler des trucs : du stop motion, du dessin animé, etc. Les trucs habituels d’amateur.
J’habitais en banlieue parisienne et de temps en temps je passais à Movies 2000. J’avais entre 10 et 15 ans, pour moi c’était l’aventure !
Vers 15 ans j’entends parler du festival du film fantastique super 8 organisé par Mad Movies. C’était en 1985 je crois, et j’ai adoré. On pouvait faire ses films et les montrer, je me suis dit que c’était le seul endroit où c’était possible ! Du coup j’ai bricolé un film qui s’appelait Handicapman, qui était une parodie de Superman. C’était fait avec des potes, les acteurs avaient tous 15 ans, il y avait un peu de stop motion… Et j’ai eu le Grand Prix, plus le Prix du public ! Je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait parce que j’y allais juste pour le plaisir de le présenter. Pour moi ça reste encore aujourd’hui disproportionné parce que j’ai vu des films bien meilleurs, même les autres années ! Le super 8 a été une bonne école.
Ensuite je suis parti dans complètement autre chose parce qu’il a fallu que je fasse des études pour rassurer mes parents. J’ai fait du commerce international, et j’ai essayé de renoncer à cette passion. Mais c’est impossible. Tu as beau essayer de mettre de côté ce qui te fait palpiter, tu ne peux pas le rejeter. Je l’ai fait pendant quelques années et j’étais malheureux comme les pierres.
C’était un rejet total ?
C’était après l’adolescence, le passage à l’âge adulte. "Bon aller c’était pour déconner, c’était mon enfance, maintenant il faut faire des trucs sérieux !"… et mes parents derrière me disaient "Oui ! Oui ! Tu as raison !". J’ai tenu deux ou trois ans puis je suis devenu fou, ça me manquait trop.
Je suis revenu par le cinéma d’animation parce que j’adore ce cinéma. Je n’ai jamais été animateur : je dessine mais pas suffisamment bien, et puis animateur c’est un métier, ça s’apprend. Du coup je me suis mis à réaliser des films d’animation avec des gens dont c’était le métier. J’ai été cherché des étudiants aux Gobelins et j’ai monté une équipe.
Très longtemps j’ai souffert du statut de réalisateur de films d’animation qui n’est pas animateur. Les gens ne comprennent pas que l’animation, finalement, c’est comme la prise de vue réelle : le réalisateur chapote une équipe. Pour la plupart des gens l’animation est un truc que tu fais dans un coin, tout seul dans ta cave, ou maintenant sur ton ordinateur… mais tout seul. Non ! C’est une industrie monstrueuse qui prend du temps et de l’énergie.
Donc j’ai fait un film en 2002 qui s’appelle Lobotoman, un remake d’Handicapman. J’ai mis trois ans pour faire les trois minutes de film. On travaillait le week-end, les gens n’étaient pas payés… Ça m’a un peu pesé.
En 2007 j’ai enfin fait ce que j’avais toujours voulu faire, c'est-à -dire un film en prise de vue réel. C’est Monsieur Méchant, un conte noir un peu inspiré des contes de la crypte.
C’était un film auto-produit ?
Oui et non. Il y avait quand même une boite de production qui n’existe plus aujourd’hui (CWL Production) mais c’était par l’intermédiaire d’un pote que j’avais rencontré en école de commerce, qui a monté cette boite et m’a produit.
Au départ je lui ai filé le scénario de Mandragore d’ailleurs. Il m’avait dit que le projet lui plaisait mais que c’était un peu lourd pour une première fiction (parce que la boîte ne produisait alors que des clips).
Il m’a demandé un court-métrage plus simple, qui pouvait être tourné en deux jours, avec un seul lieu de tournage, trois acteurs maximum… J’ai donc écrit Monsieur Méchant. Je voulais me faire plaisir et montrer un ogre à l’écran, et aborder le thème de l’enfance. Je suis fan de Spielberg, de Joe Dante, de toute cette génération de cinéastes qui aborde chacun à leur manière, de façon plus ou moins naïve - ou rentre-dedans -, l’enfance et le regard que les enfants peuvent avoir sur le monde adulte. On le retrouve dans tous les films Amblin des années 80 par exemple. C’est ce que je voulais, à ma toute petite échelle.
C’était aussi un exercice de style : je me demandais si j’arriverais à raconter cette histoire très simple mais qui doit tenir. Je suis plutôt content du résultat, il a été montré dans plusieurs festivals et a été plutôt bien accueilli. Au pire on lui reprochait d’être trop court ou trop gentil, parce que beaucoup de gens s’attendaient à quelque chose de très gore - c’était au début des torture porn - alors que c’est en fait un conte fantastique. Du coup j’avais un pote qui appelait le film Monsieur Gentil (rires). Il y avait quand même deux trois plans gore, plutôt soft, mais pour moi l’idée n’était pas là . Je voulais créer une ambiance, travailler avec un chef op', un musicien, des comédiens… des trucs que je n’avais jamais fait.
C’était une toute nouvelle équipe pour toi alors ?
Tout était nouveau. Mon court Lobotoman avait été tourné en 35mm, j’en étais fier : en 2002 la vidéo c’était la DV, c’était encore la honte de tourner en vidéo, il y avait ce snobisme de la pelloche. En 2007/2008 avec Monsieur Méchant c’était déjà beaucoup mieux et aujourd’hui presque plus personne ne tourne en pelloche ; et les résultats sont très bons.
J’avais quand même déjà travaillé avec une partie de l’équipe parce que mon pote de CWL Production m’avait testé sur un clip, qui mélangeait prises de vue réelles et animation d’ailleurs. C’était mon exercice de transition.Â
Mandragore était donc déjà écrit depuis longtemps quand tu l’as réalisé.
Je l’ai écrit en 2004. Pour l’anecdote, j’étais avec ma copine (aujourd’hui ma compagne) quand je galérais dans l’animation et que je n’arrivais pas à rentrer dans une "famille" - parce que le cinéma c’est comme ça - . Je matais des films avec elle comme Alien, qu’elle adorait,  alors qu’elle est médecin, elle n’était pas du tout portée sur ce genre de films, je lui faisais son éducation cinématographique de films de genre.
Donc j’étais devant une photo de John Hurt avec le bide éclaté quand elle m’a vu, et elle m’a dit : "Mais pourquoi tu t’emmerdes dans le cinéma d’animation ? Pourquoi tu ne fais pas ça ?". Elle avait raison, mais je n’osais pas à l’époque !
Ce plan d’Alien est l’idée de départ du film, j’ai revisité ce plan dans Mandragore en demandant à un ami dessinateur, Philippe Caza, d’en faire un concept art. Quand j’étais gamin j’étais fan de Philippe, de fil en aiguille on s’est rencontré et je lui ai demandé ce dessin, en me disant que ça allait être un vrai plus pour la recherche de financement.
Mon idée était de ne pas faire américain. Ce n’est pas une posture, j’adore le cinéma américain mais ma culture est autre. Aller faire un truc à la manière des américains ça m’aurait fait chier. Après c’est quand même en scope, bien cadré, "à l’américaine", ça n’a rien à voir avec un certain cinéma naturaliste français d’aujourd’hui, dont je ne dirai rien (rires).
Je voulais un sujet européen et la sorcellerie est quelque chose qui me parlait, d’abord parce que le sujet m’intéresse, et ensuite parce que je voulais la mélanger à un certain cinéma de SF des années 70/80 qui me faisait tripper quand j’étais gamin, comme THX 1138, Soleil Vert… Ce sont des films qui ne tiennent plus la route visuellement mais qui ont des putains de scénarios avec toujours quelque chose d’universel. Je voulais se faire rencontrer le terroir fantastique et quelque chose d’un peu plus techno.
Â
Comment as-tu conçu visuellement ces deux univers ?
Je devais faire au plus simple, à cause de la limite des moyens. Soit t’es le roi de la bidouille avec des outils comme After Effects - mais on n’avait ni les moyens ni le temps - soit tu fais quelque chose de dépouillé façon années 70 : une toile blanc, un mec enchaîné. Ça ressemble à L’Armée Des 12 Singes, et malgré moi parce que je n’y avais pas pensé sur le coup. Dans ce futur, tout est dégueu, rouillé… Parce que le futur clean et propre c’est devenu du rétro-futur ! Aujourd’hui on est dans le futur, on voit que l’an 2000 n’est pas ce qu’on avait imaginé. On est dans l’organique mêlé à la technologie.Â
Si la sorcellerie vient d’un folklore local clair, d’où vient celui de la SF ?
La Jetée de Chris Marker… On en revient d’ailleurs encore à L’Armée Des 12 Singes, qui en est un remake. La Jetée de Marker est le film sixties par excellence, où ils ont des trucs sur la tête, on ne voit pas leurs yeux, et cela reste angoissant. J’aime bien ce côté qui ne cherche pas à faire réaliste, qui est plus dans le symbole.
Comment as-tu lié ces deux univers ?
Je les ai liés dans l’opposition. Je voulais une opposition visuelle (et sonore) forte entre les deux folklores. Si on avait eu plus d’argent on aurait poussé ça plus loin… mais ce n’est pas grave, le manque d’argent est toujours un bon moteur pour aller à l’essentiel. Il ne faut pas non plus péter plus haut que son cul et finalement se retrouver avec quelque chose de ridicule. Il faut faire les choses en fonctions de ses moyens.
Je les ai liés en les opposants et c’est un pari. Je sais que c’est ce qui a plu à Fabrice Lambot et Jean-Pierre Putters de Metaluna Production. Le but était de faire un truc qui fonctionne et un peu original, pas de révolutionner quoi que ce soit.
Ta mise en scène devait donc éviter le naturalisme…
Quand j’ai proposé le scénario à un ami réalisateur, il m’a dit de ne pas filmer en Scope, d’avoir une photo très naturaliste, caméra à l’épaule, comme ça se fait beaucoup. Moi, mon plaisir au cinéma c’est de voir de belles images, et le Cinémascope, pour moi - ce n’est pas du snobisme ni une façon de me la péter - c’est une manière de raconter une histoire. Tu ne vas pas du tout raconter la même histoire en Cinémascope et en 1.85. Les cadres ne sont pas composés de la même façon ; en Cinémascope on peut séparer les cadres, jouer sur l’opposition, ce qui était mon point de départ.
J’aime beaucoup les cadres dans le cadre. Quand tu vois John Carpenter et sa façon de tout expliquer en deux plans par ce biais ! Ça me saoule tous ces films hystériques à un plan par seconde, qui me font péter la tête… Je suis sûrement trop vieux pour ces conneries (rires).
C’est aussi quelque chose qu’on m’a reproché, on a trouvé Mandragore trop classique, trop lent. J’assume, chacun ses goûts !
Comme pour Monsieur Méchant.
Exactement. Mais c’est là aussi qu’on apprend à se connaître, je m’aperçois que c’est ce que j’aime faire. J’aime le cinéma découpé. Pour moi Carpenter est le roi.
C’est con mais j’ai une attirance immédiate dès que je vois un film en Scope. Attention, il y a plein de films que j’adore et qui ne sont pas en Scope, mais c’est un plus pour moi. Comme disait Carpenter (encore !) : quand tu n’as pas d’argent il faut en mettre plein la vue comme tu peux. Je trouve ça très immersif. Quand j’étais gamin et que je voyais que les rideaux s’ouvraient jusqu’au bout, j’étais content, même si je ne savais pas ce qu’était le Cinémascope !
As-tu été aidé par ton expérience dans l’animation pour les tournages en prises de vue réelles ?
L’animation m’a appris la précision et la préparation. Tout le film est storyboardé, et pour les scènes à effets spéciaux on a fait reprendre le storyboard par un dessinateur - en l’occurrence c’était Grégory Lê sur Mandragore, qui est très doué . C’est un outil de travail qui me permet de communiquer avec toute l’équipe. C’est plus facile de montrer que de communiquer par écrit, tout le monde parle alors de la même chose.
Et c’était pour moi avant tout ! Je ne pourrais pas arriver sur place et dire "Tiens, on va mettre la caméra là ". On est dans le rush avec un plan de travail blindé, chaque minute compte. Sinon tu as des plans que tu ne peux pas tourner et dont tu es obligé de faire le deuil. Ça arrive toujours mais moins il y en a mieux c’est. Après la réalité fait que tu es obligé de t’adapter, il ne faut pas rester bloqué non plus. C’est un garde fou. Et pour les effets spéciaux c’est plus que ça, c’est un outil de travail.
Il y a des CGI dans Mandragore ?
On devait avoir des CGI mais on a eu des gros soucis de post-prod en 2011. D’ailleurs il a été diffusé comme ça à Gérardmer : il n’était pas étalonné, pas mixé, les effets spéciaux étaient ratés. Je ne dirais pas que c’est le top du top aujourd’hui mais ça me convient. On n’a pas pu ajouter d’extensions donc ce qui est à l’écran est vraiment root, à l’ancienne, il y a seulement des prothèses.
David Scherer a tout fait, la transformation a été conçue par étapes. Il a même fait un malaise sur le tournage tellement il bossait, mais ça va il en garde un bon souvenir ! (rires) Et c’était ce que je voulais en fait, des effets spéciaux faits sur plateau. Pour les comédiens c’est génial de vivre le truc, vachement plus que de dire "Tiens c’est sur un fond vert, imagine que tu vas voir un T-Rex". L’idéal c’est la combinaison des deux.Â
C’est ce que pense quelqu’un comme Guillermo Del Toro par exemple.
C’est vraiment ce qu’il y a de mieux, parce que tu gardes un vrai objet qui soit tangible sur le plateau, puis tu peux en faire des prolongations, arranger des choses gênantes. Je trouve supers les outils d’aujourd’hui, je ne fais pas le vieux con qui dit que c’était mieux avant. J’aime qu’on prenne le meilleur des deux : dans les années 80 il y avait des techniques géniales, il faut les prendre, ne pas les zapper et faire du tout numérique. Et si on peut les améliorer avec les outils d’aujourd’hui c’est encore mieux. Les meilleurs films sont faits comme ça.Â
Ton film a été produit par Metaluna. La communauté Mad Movies que tu as connu étant jeune est-elle devenue la "famille" dont tu avais besoin ?
Je fréquentais un peu Jean-Pierre quand j’étais gamin parce qu’il m’impressionnait à l’époque du festival du super 8 fin des années 80.
Dans les années 90 on s’est recroisé, il bossait à l’époque avec Richard J. Thompson, qui fait des longs métrages très Z. C’est un mec assez intéressant, une personnalité, et je sais qu’à l’époque Jean-Pierre voulait produire un film, avec trois francs six sous (de toute façon ses budgets ne sont jamais très élevés). Richard a fait Roboflash Warrior, Time Demon…
Bref, je ne sais plus pourquoi je me suis retrouvé là , puis on s’est reperdu de vue et j’apprends sur le Net, en 2005 environ, que Jean-Pierre se lance dans la production avec le long-métrage de Fabrice Lambot, Dying God, au budget riquiqui.
Je me suis dit que c’était mortel qu’il produise et que je serais fier, même symboliquement, pour moi qui vient du festival du super 8, s’il me produisait. Je contacte Fabrice Lambot par MySpace - à l’époque où ce n’était pas encore ringard ! -  et j’apprends qu’il cherche des courts-métrages pour un DVD de compilation de courts de genre. Comme j’avais Monsieur Méchant (dont la boîte de production s’était cassée la gueule et dont les droits me revenait), je leur ai proposé et ils l’ont pris. Le DVD s’appelle French Démence. Fabrice m’a alors demandé si j’avais un projet. Je lui ai fait lire deux trois trucs dont Mandragore et voilà .
Est-ce le premier court-métrage qui a été produit par Metaluna ?
Non, avant moi il y a eu un seul court, et le film de Fabrice. Je ne crois pas que c’était dans le cadre de Metaluna, en tout cas c’était longtemps avant… C’est un film de Christophe Debacq qui s’appelle Dolorosa. Ça c’était bien passé donc il a voulu en produire un autre : dès le moment où la décision était prise, l’été d’après on tournait Mandragore.
Je pense que ça lui fait vraiment plaisir de le faire, qu’il a envie de créer une famille… et j’ai l’impression de retourner dans ma famille. Je ne connaissais pas Fabrice avant mais il est très potes avec Jean-Pierre, au-delà de la passion pour le cinéma : ce sont des amis. Rentrer dans cet espèce de cercle - pas si fermé que ça - est une vraie fierté. Symboliquement c’est le créateur de Mad Movies… enfin ça ne l’est plus maintenant je sais... (rires)
Le vrai producteur c’est Fabrice, c’est lui qui met les mains dans le cambouis. Jean-Pierre regarde le projet et donne sa bénédiction. Il est vachement présent sur les tournages aussi, il fait la bouffe, etc. Mandragore a été tourné chez lui en banlieue, dans sa grange. C’est un ancien corps de ferme qui a été aménagé je crois. La maison de Mandragore c’est l’atelier de Jean-Pierre ! Les décorateurs ont tout recréé, ils ont fait un boulot génial. Le fait d’être dans une ambiance crédible d’emblée était un plus.
Peux-tu nous parler de Super 8 Madness, ton prochain film ?
C’est un documentaire de 90 minutes. Un long-métrage mais il y aura peut être deux versions parce que c’est difficile de refourguer un documentaire sur le super 8… Mais on le fait d’abord pour nous et ensuite on verra.Â
Il sera édité en DVD après une tournée dans les festivals ?
Oui, le but est de le sortir en DVD avec plein de bonus. Ça me tient à cœur parce que c’est une façon de boucler la boucle avec Jean-Pierre. Ça ne veut pas dire que tout s’arrête là mais, pour moi, c’est une manière de lui rendre hommage. Grâce à lui j’ai retrouvé plein de gens qui avaient participé au festival, comme François Cognard (qui avait présenté un film et avait gagné), Jacques-Olivier Molon, Jean-Christophe Spadassini… Toute une génération.
On a aussi dans le documentaire le témoignage de Christophe Lemaire qui était dans le jury, de Jean-Pierre Dionnet qui y était aussi et qui avait amené pas mal de gens comme Moebius, les Rita Mitsouko… C’était bien pour Jean-Pierre d’avoir des noms connus dans le jury. Les trois dernières années je crois qu’il y avait près de mille personnes dans la salle, et ça durait six heures. On ne voit plus ça. Tu sortais de là dans un état ! Les mecs picolaient tous et moi j’étais un gamin au milieu de tout ça… Le spectacle était dans la salle autant qu’à l’écran. Et en même temps quand un film plaisait il y avait un vrai respect. On a des images d’archives : c’est génial de voir Jean-Pierre se recevoir des objets sur scène. C’est le témoignage d’une époque où, avec une caméra super 8, une petite colleuse et un projo, on pouvait faire des films.
L’idée c’est aussi de se poser la question de ce qu’il en reste aujourd’hui, si on pourrait faire des festivals de l’iPhone fantastique par exemple.
D’où vient ce projet ?
Vincent Leyour, qui est mon coréalisateur, a fait le making of de Mandragore. Il est monteur. Un jour on parlait du festival, je lui racontais plein d’anecdotes et à un moment on s'est dit : "Allons-y ! On va retrouver les mecs et les interviewer. On fera ça pour nous d’abord et on verra bien si ça intéresse Metaluna". Je savais que Jean-Pierre ne serait pas contre, mais concernant Fabrice c’était moins sûr, il sortait de l’excellent documentaire Marvel 14…
Marvel 14 est susceptible d’intéresser les gens qui ne lisent pas de comics, et c’est l’idée qu’on voulait toucher du doigt avec Super 8 Madness. Ne pas intéresser que les gens de ma génération qui ont fait du super 8. On parle de cinéma, de passion, où les outils ne sont que des outils. Super 8, iPhone ou numérique, la passion est la même et ce qui est intéressant, c’est de tracer des ponts. On s’aperçoit que Spielberg a commencé en super 8, que Sam Raimi a fait un brouillon d’Evil Dead (Within The Wood) en super 8… mais en même temps c’est ça quoi ! Au lieu de parler et de dire "Je veux faire du cinéma" il faut prendre l’outil que t’as sous la main et il faut filmer. C’est le seul moyen d’apprendre. C’est ce qui ressort des témoignages qu’on a eu.  C’était souvent maladroit, mal filmé, les acteurs ont tous des gueules d’ados de 15 ans et jouent des personnages de 50 ans mais on s’en fout ! Ce qui plaisait, c’était l’ambition, l’histoire que tu racontais, souvent les effets spéciaux bricolés qui étaient mortels…
Ces représentations reviennent à la mode aux Etats-Unis, en partie avec les found footage.
Il y a un truc là bas. Déjà dans Super 8, Spielberg - qui y trouve son intérêt parce qu’il a commencé comme ça - et Abrams racontent ce qui est universel dans le monde entier, ce qu’on retrouvait en Espagne, en France, aux Etats Unis…Â
Et en Nouvelle Zélande ou en Australie !
Exactement ! C’est universel !
Dans le super 8 il y a du grain, des flares, etc. ; ce n’était pas si mal que ça, c’est une patine que tu n’as pas en vidéo et que certains essayent d’ailleurs de retrouver par le numérique de façon artificielle. Le problème c’était plutôt le son, le montage, la musique.
Sur Super 8 Madness la plupart des films ont des musiques de John Williams. On ne peut pas payer les droits donc on prend des extraits sans musique ou remixés comme on peut, en essayant de ne rien dénaturer… C’est vrai qu’on aurait voulu mettre plein de films en supplément mais on ne pourra pas en grosse partie à cause de ça.
Comment avez-vous retrouvé ces films ?
Tu ne peux pas savoir à quel point les gens y tiennent… Il y en a qui ont continué dans le métier, et d’autres qui font complètement autre chose, qui travaillent à la Sécu… mais ils ont tous gardé les films précieusement. On a même l’impression qu’ils attendaient le moment où ils allaient les ressortir. Ils ont encore la pelloche bien rangée et bien conservée. Je n’ai eu qu’à demander. Certains ont même fait numériser leurs films.
C’est tellement affectif, c’est relié à une période de ta vie, à ton adolescence. Comme dans le Super 8 d’Abrams : c’est bourré d’histoires de cœur. Le réalisateur qui tombe amoureux de l’actrice, on a tous connu ça. Un gamin qui fait aujourd’hui un film en vidéo c’est pareil. L’aventure d’un film est l’aventure de la vie, ce que tu fais dans un film est tellement imprégné de toi ; ta copine de l’époque tourne dedans, tes parents t’aident… C’est ce qu’on montre dans le documentaire.
Une petite précision : c’est du documentaire mais il y a un fil rouge, et j’en suis très content, qui est une fiction qui relie les différentes séquences. On a filmé un gamin, façon années 80, avec le teddy noir, le vélocross… Au début il va chercher sa pellicule, la projette et là , le film commence. Ensuite tout est sur ce modèle. On en est fier, c’est plutôt marrant avec un côté didactique sans être trop chiant.
Metaluna va produire Aux Yeux Des Vivants, le prochain Maury et Bustillo. Et toi alors, maintenant que tu as bouclé la boucle avec Super 8 Madness, quand passes-tu au long-métrage de fiction ?
On a un projet avec Fabrice mais c’est difficile d’en parler maintenant, ça fait un an que ça traîne. Le projet s’appelle Sève, c’est un film d’horreur en huis clos. On a été avec Fabrice à Fantasia, un gros festival de films de genre à Montréal, pour présenter le projet. L’été dernier il y avait pour la première fois une espèce de mini-marché où des projets étaient sélectionnés - une dizaine sur une cinquantaine reçus - après avoir été pitchés en anglais pour être présentés à des producteurs potentiels, dans le but de trouver un coproducteur québécois… Il existe entre la France et le Canada un traité très avantageux.
Bref, on y a trouvé un coproducteur là -bas, mais tant qu’on n’en a pas trouvé en France ça ne sert à rien. Si on le trouve cela nous permettra de le tourner au Canada. Martyrs a été tourné là bas par exemple, et justement : notre coproducteur est celui qui a travaillé sur Martyrs.
Les coproductions internationales sont-elles la solution pour les films de genre français ?
T’es obligé. Tourner en langue anglaise est encore ce qu’il y a de plus rentable. Maintenant on se bat pour le tourner en langue française parce qu’on est français, on aimerait bien qu’il vive dans notre pays…
Participeras-tu à Théâtre Bizarre 2 ?
Non. Théâtre Bizarre 2 est aussi dans les cartons de Metaluna, avec tous les réalisateurs français de longs-métrages de genre : Gens, Laugier, Maury et Bustillo (s’ils font le scénar que j’ai lu ça va être une tuerie !)… Là ce sont des mecs qui ont déjà fait leur preuve.
Il ne faut pas griller les étapes. Un film fait avec peu d’argent ne peut pas se permettre d’être une école de cinéma : on prend des gens qui savent déjà faire parce que moins tu as d’argent plus il faut avoir de la bouteille et savoir ce que tu veux. Maury et Bustillo, malgré tout ce qu’on peut dire, ont fait deux films, les mecs connaissent leur sujet… Laugier, Gens aussi. Prendre un mec qui a fait du court-métrage, et Fabrice me l’a dit clairement, ce n’est pas viable. Je comprends parfaitement. Par contre en temps que spectateur j’ai hâte de le voir !
On peut donc penser que Sève sera ton prochain projet ?
Je touche du bois mais il faut qu’on trouve de l’argent. On commence à le faire lire, ça plaît pas mal, je ne t’en dirai pas plus mais il y a un côté Mandragore, traité complètement différemment. On a déjà un beau casting… c’est long et lent, parfois décourageant mais passionnant aussi. Quand tu y arrives c’est une vraie victoire !
Encore une fois, Maury et Bustillo ont fait deux films... et c’est quand même la galère pour eux ! Pourtant on les appelle aux Etats-Unis ! Ils veulent faire exister en France un cinéma que j’aime en tant que spectateur et que j’aimerais aussi offrir. Ce n’est pas prétentieux, c’est une démarche sincère et courageuse. C’est très simple de se barrer et de prendre le pognon pour faire un DTV pourri, et ils ne le font pas.
Je pense qu’à un moment ou un autre ils iront là bas, comme Laugier. Ce qui est incroyable avec Laugier c’est que The Secret a bien marché parce que les gens pensent que c’est un film américain. Tout le monde s’en fout du nom du réalisateur : ils voient Jessica Biel alors pour eux c’est un film ricain.
On souffre de cet a priori, et il y a sans doute des raisons à cela. Il faut essayer de faire bouger les choses, je pense que l’un n’empêche pas d’autre. Il y a moyen d’aller aux Etats-Unis et d’y faire le mexicain (parce qu’on est traité comme ça là bas) et essayer en même temps de développer des choses plus personnelles ici.
Il faut se battre, le combat n’est pas perdu.
Metaluna reste-elle la seule boîte du genre sur le marché ?
C’est une boîte qui est surtout atypique. Il y a eu plusieurs dizaines de films de genre produits mais aujourd’hui plus personne ne veut en faire.
Avec Metaluna on a à faire à des passionnés. Et c’est encore une fois Fabrice qui va au charbon mais c’est aussi un passionné de chez passionné, il n’y a pas un centimètre carré de mur qui n’est pas recouvert d’affiches ciné chez lui… Ce n’est pas du tout un usurpateur.
Je ne dis pas que tous les autres le sont mais certains ont fait du cinéma de genre un peu par opportunisme. Des bons films ont été produits cependant ! J’aime bien A L’Intérieur, Livide, Vertiges, Captifs…
J’ai vu que Guillaume Lemans, qui a travaillé sur Captifs, est remercié dans le générique de Mandragore…
Oui c’est un pote, il était sur Paris (maintenant il a déménagé) et il m’a beaucoup soutenu. Il est aussi venu voir la première parisienne depuis la Bretagne, ça m’a fait plaisir !  Pour lui maintenant ça marche, avec Fred Cavayé notamment, je suis très content pour lui !
Dans ce petit milieu, il faut autant que possible se serrer les coudes parce que c’est difficile. Déjà que le milieu du cinéma est dur ; le cinéma de genre c’est encore pire ! C’est un petit milieu, on croise toujours les mêmes personnes. Ce qui explique pourquoi, quand on a de mauvaises critiques, c’est douloureux ; parce que les gens se connaissent.
Encore une fois on aime ou on n’aime pas, c’est complètement normal, mais il faut aussi essayer de voir ce qu’il y a derrière, ce que ça peut donner après, laisser le temps aux gens d’évoluer. On ne peut pas avoir un cinéma de genre parfait du jour au lendemain. On n’a pas la logique industrielle de production ni la mentalité adéquate chez les décideurs (alors que lorsqu’on va voir les comédiens on est très surpris, ils ne demandent que ça !).
On ne peut pas demander aux French Frayeurs d’être parfaits aujourd’hui : c’est la première fois qu’on en fait ! Le cinéma fantastique en France c’est ponctuel ! Les Yeux Sans Visage de Franju, Alphaville de Godard… Ce sont des one-shot.
On se dit qu’on est complexé, qu’on ne fera jamais des trucs aussi bien que les autres, etc., du coup on ne met pas d’argent. Fatalement, le résultat est raté donc on dit "Voilà on le savait…" Evidemment sans argent ! C’est frustrant mais il faut continuer !
Les French Frayeur ne marchent pas bien mais à Canal + ils sont ravis. Cela ne leur coûte pas grand-chose, ils font leur audimat : eux s’y retrouvent ! Ce sont des films qu’on regarde plus chez soi qu’au cinéma. Les gens les regardent malgré tout parce que ce sont des films universels. Et Metaluna l’a compris.Â
Commentaires
S’abonner au flux RSS pour les commentaires de cet article.