Super 8
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- Critique par Nicolas Zugasti le 12 août 2011
La larme des étoiles
Etrange film que ce Super 8 qui est à l’image de sa créature se dérobant à notre regard, à notre pleine appréhension, à notre pleine adhésion. Un exercice d’élève studieux (Abrams) tentant de plaire à son maître (Spielberg) et qui pourtant par moments déborde de grâce.
Appliquer à la lettre les motifs narratifs et formels des bandes chéries des années 80 suffit-il à en réactiver le souvenir, en retrouver l’essence, provoquer un enchantement comparable à celui de Rencontres Du Troisième Type et E.T (modèles transparents ici convoqués) ? J.J Abrams le pense sincèrement et en apporte presque la preuve, tenant son pari une bonne partie du métrage avant de s’effondrer dans son dernier tiers où il tente de se rétablir in extremis par le biais d’une dernière image (belle) que le réalisateur voudrait miraculeuse. A l’instar de la série Alias, Mission : Impossible 3 et Star Trek, Super 8 se prend le trépied dans la trame de son récit en train de s’effilocher. Abrams n’arrive jamais vraiment à lier deux histoires au départ indépendantes et qu’il a pensé pouvoir unir. Or, entre l’aventure centrée sur ces cinq gamins et leur caméra, mettant en boîte les séquences de leur film de zombie et celle où un monstre d’origine inconnue, l’armée à ses trousses, fout le boxon dans une petite bourgade rurale, il s’agit d’interférences plutôt que de véritables interactions. Pourtant, le réalisateur instaure de nombreuses correspondances (le cube étrange conservé dans sa chambre par Joe, les militaires quadrillant la ville, l’accident de train provoqué par leur prof de sciences…) mais qui ne fonctionnent pas vraiment.
UN ÉLÈVE ASSEZ DOUÉ
Dommage, car la bande super 8 opère un très intéressant lien entre les deux récits puisque elle est à la fois le support sur lequel apparaît une forme indistincte s’extirpant des décombres du train dont le déraillement a été accidentellement enregistré lors du tournage des gamins et elle constitue également le témoignage vidéo des expériences menées par les scientifiques gouvernementaux sur la créature d’outre-espace, ce stock d’archives étant exhumé par les enfants au cours de leur enquête. Mais le surgissement du fantastique irradiant subrepticement leur quotidien manque de spontanéité, l’irrationalité galopante semble trop superficielle, voire artificielle.
L’un des créateurs de Lost se donne du mal pour recréer l’ambiance des films des années 80 qu’il découvra sur grand écran – source lumineuses surexposant les visages ou les personnages, lens flares à foison, reproduction de plans emblématiques des productions Amblin (gosses circulant sur leurs vélos cross, plan d’ensemble des lieux d’actions…), dichotomie des mondes adulte et enfantin, les premiers s’épuisant dans leurs préoccupations personnelles et la compréhension des évènements tandis que leur progéniture travaille à leur résolution – mais échoue à en procurer une saveur équivalente. Elève appliqué mais qui ne se laisse pas suffisamment aller. Pour retrouver cet état d’esprit, doublé d’une certaine irrévérence, mieux vaut se tourner vers Joe Dante dont le Panic Sur Florida Beach est désormais disponible en DVD et le petit dernier, l’inédit The Hole, qui réussi à raccorder l’incroyable aux drames de ses personnages. Dans la même veine, et venant de Norvège, on peut rajouter Rare Exports : Un Conte De Noël de Jalmari Helander, découvert hors-compétition à Gérardmer et qui "égaiera" les fêtes de fin d’année (il sort chez nous le 14 décembre).
Qu’Abrams délaisse progressivement des personnages secondaires intéressants est tout aussi préjudiciable, surtout lorsque cela concerne Charles, l’apprenti cinéaste, qui est évacué sans ménagement du récit au moment où débute le sauvetage d’Alice, ses relations contrariées avec son meilleur ami Joe et Alice promettaient une fabuleuse intensité dramatique. Vraiment dommage car pour la première fois, le réalisateur livre des séquences qui s’apparentent à du cinéma (l’accident de train cataclysmique, l’attaque du bus militaire par la bête, l’échappée des quatres copains traversant les jardins de leur quartier sous les feux des tirs de l’armée). Certes, li nous avait donné quelques frissons jouissifs avec Mission : Impossible 3 et Star Trek mais jamais aussi exaltants et s’éloignant enfin d’une mise en scène télévisuelle. L’influence (peu être le coup de main ?) de Spielberg semblant le libérer.
Une association Spielberg / Abrams qui n’a rien d’incongrue sur ce projet, pas seulement parce qu’il est un flagrant hommage à ce qu’était et représentait le wonder boy dans les années 80. Il ne pouvait qu’être attiré par cette histoire impliquant une créature extraterrestre, lui qui leur dit définitivement adieu dans le très intéressant Indiana Jones 4.
Un monstre avec lequel Abrams joue à cache-cache, un élément du décor (enseigne, feuillage), obstruant la vision du spectateur et retardant d’autant sa découverte. Un peu à l’image de que Matt Reeves accomplissait dans l’excellent Cloverfield,un film produit par Abrams, justement. Mais là où Cloverfield appliquait avec brio sur son intrigue de monstrueuse catastrophe, les tourments intimes de ses personnages, Super 8 échoue à plaquer sur les traumas existentiels de ce groupe une pure série B.
BEHIND THE SCENE
Car ne nous y tromponspas, Super 8, c’est d’abord le parcours initiatique de Joe Lamb devant affronter et dépasser la douleur engendrée par la perte de sa mère. Un deuil nécessaire et conflictuel qui irrigue tout le film et formalisé d’entrée par la très belle séquence d’ouverture de la réception funéraire, présentant le positionnement aussi bien spatial que sentimental de chacun par rapport à l’autre (Joe à l’extérieur, esseulé dans la neige sur la balançoire, ses mais l’observant de la fenêtre de la maison, son père foutant à la porte le père d’Alice…). Une affliction qui isolera et enserrera le cœur du père et du fils, ce dernier se raccrochant au médaillon légué par sa mère tandis que le paternel, adjoint du chef de la police, se laissera submerger par son métier. Cette introduction semblait donner la tonalité émotionnelle du film (déchirement entre mélancolie et nostalgie) mais l’irruption fracassante d’un élément science-fictionnel engendre une discordance qu’Abrams ne parviendra pas complètement à moduler.
Garçon pourtant bien intégré socialemnt, Joe est desservi par son caractère introverti et son amitié aveugle envers Charles qui l’amèneront à rester en retrait et à tout accepter, même permettre que sa maquette de train soit réduite en miettes pour les besoins de The Case, leur film d’horreur. Super 8 est donc aussi la représentation de son cheminement personnel pour reprendre sa place au sein du microcosme familial et fraternel et il entraînera également dans son sillage sa bande de potes. Toute la troupe franchira plusieurs seuils (le perron de la gare désaffectée théâtre de l’accident ferroviaire, l’antre souterrain de la créature) dont le plus symbolique advient au moment où le père de Joe confisque leur caméra alors qu’ils sont en train de filmer une scène impliquant un personnage de militaire tandis que s’active en arrière plan la faction armée recherchant la créature. Désormais, il ne s’agit plus de rester passif derrière l’objectif mais passer devant, pénétrer dans ce scénario de série B se déroulant dans la réalité.
Finalement, Super 8 se montre le plus touchant dans la formalisation des séquences entre les prises, sorte de making-of où le talent d’actrice d’Alice se révèle, subjuguant littéralement les témoins de ses performances, lors de la répétition de scènes où s’expriment le plus fort des sentiments (l’amour) ou leur absence totale (imitation d’un zombie). Abrams va encore plus loin en pénétrant plus avant dans l’intimité de Joe et Alice lorsque, en marge dés répétitions ou de séances de maquillages, ils se retrouvent dans la chambre du garçon à regarder les bandes super 8 où il apparaît en compagnie de sa mère. Devant ces souvenirs projetés sur l’écran, chacun se livrera, opérant ainsi un rapprochement décisif et bouleversant.
Contrairement à ce que répète à intervalles réguliers Charles, le réalisateur en herbe, la véritable production value réside dans la captation des tendres moments entre Joe et Alice ou les frictions entre les gamins, plutôt que dans la spectacularisation explosive et excessive du cahier des charges d’un blockbuster. Dommage qu’Abrams s’en détourne pour y revenir maladroitement à la fin.
SUPER 8
Réalisateur : J.J Abrams
Scénario : J.J Abrams
Production : J.J Abrams, Bryan Burk, Steven Spielberg...
Photo : Larry Fong
Montage : Maryann Brandon & Marty Jo Markey
Bande originale : Michael Giacchino
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h42
Sortie française : 3 août 2011