Star Trek
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- Critique par Nicolas Zugasti le 15 juillet 2009
Starfleet, we have a problem...
En plus de quarante ans, les diverses incarnations de Star Trek n'ont jamais suscité qu'un intérêt poli de la part de la critique, la qualité de certains produits étant plutôt variable. Mais puisque le plus geek des réalisateurs s'y colle, la donne a changé. Désormais, traîner toute la journée en pyjama, c'est cool.
Star Trek, comme tous les films adaptant des comic books, jeux de rôles, littérature fantastique, jeux vidéos ou plus généralement de genre (horreur, S.F, espionnage...), c'est geek. Donc forcément, un film réalisé par le roi des geeks, ça va plaire aux geeks. Pas question dans ces conditions de rater le train de la geekitude pour les médias, chacun y allant de son compliment.
D'autant que les non spécialistes de cet univers foisonnant peuvent y trouver leur compte, puisque ce nouveau film propose de raconter la formation de l'équipage historique. Même les réfractaires à Star Trek ont entendu parler de Kirk et compagnie. Si l'on en croit diverses critiques, mission accomplie, le film est un bon divertissement de S.F et l'univers de Roddenberry est respecté. D'accord, on ne s'ennuie pas, le film est vraiment trépidant par moments et le plaisir de voir se constituer cette équipe mythique suffirait presque. Seulement voilà , si c'est pour assister à un spectacle son et lumière sans âme, autant se tourner vers le spécialiste en la matière.
Au-delà du nécessaire travail d'adaptation et de trahison à effectuer pour fournir une relecture convainquante et attractive, le traitement humaniste des émissaires de la paix de Starfleet laisse non seulement à désirer mais s'avère éthiquement douteux. Mais le plus important n'est-il pas que Abrams "relance avec succès cette franchise qui troque le kitch désuet pour les effets spéciaux spectaculaires" ?
AU COMMENCEMENT
Né de l’imagination de Gene Roddenberry en 1966, l’univers Star Trek se décline en six séries télévisées, des romans, des jeux vidéos et autres gadgets, et bien sûr dix adaptations sur grand écran dont Abrams livre la dernière en date. Pas vraiment le onzième film de la série puisque le créateur de la série Alias tente de s’extraire d’une mythologie oppressante, ni vraiment une relecture complète car, pour ne pas se mettre les fans pur et durs à dos, il prend soin d’insérer de multiples clins d’oeils et références. Autrement dit, Abrams fait du neuf avec des vieux. Reprenant les personnages emblématiques ayant popularisé la série à travers le monde, soit l’équipage originel de l’U.S.S Entreprise dans une version plus jeune et plus contemporaine des Kirk, Chekov, Sulu, McCoy, Scotty et bien sûr Spock, le film s’appuie sur les motifs désormais bien assimilés du space opera pour, à coups de voyages temporels et autres paradoxes, former une réalité alternative où nos jeunes cadets pourront fourbir leurs armes. Parti pris plutôt malin au service d’une intrigue finalement assez simple, un méchant romullien veut se venger de la "trahison" du Spock du futur en détruisant sa planète dans le passé. Une aventure rythmée aux effets spéciaux pétaradants malheureusement amoindrie par une réalisation sans ampleur et se bornant à illustrer, certes avec efficacité, le scénario.
Il est d'ailleurs étonnant de voir un tel reboot commandé à Abrams, non-fan autoproclamé de la franchise. On doit y voir surtout la volonté de jouer sur les deux tableaux, commercial (attirer une clientèle nouvelle) et nostalgique (rassurer les fans). Ce serait presque réussi si le film n'était pas caviardé de passages se voulant drôles, comme les mains et la langue de Kirk se déformant sous l'effet du sérum injecté par McCoy, et surtout s'il s'agissait de respecter un minimum l'idéologie et la philosophie qui imprégnaient l'oeuvre de Roddenberry. Mais Abrams préfère la carte bourrinage à bloc et tente même de la légitimer en reliant au final son film à la série originale puisque la conclusion reprend le monologue prégénérique de chaque épisode de la série, présentant l'Enterprise comme un parangon d'exploration, d'observation et de compréhension mutuelle...
Bien que les interprétations de Chris Pine en Kirk dominé par ses émotions et de Zachary Quinto en Spock tentant de les contrôler soient plutôt convaincantes, le film aurait gagné en intensité si leurs relations conflictuelles avaient été portées à ébullition. On peut regretter également le méchant en carton-pâte totalement insipide. Mis à part les deux têtes d'affiches, l'interprétation est au mieux assez moyenne (Eric Bana dans le rôle de Néro est méconnaissable tellement il est mauvais, Karl Urban trimballe un air ahuri et parfois hagard qui traduit assez bien l'intérêt porté à son personnage par J.J), Abrams préférant faire appel à la re-connaissance des spectateurs envers des personnages familiers ou des acteurs geeks / fans de la série tel Simon Pegg qui se débat comme il peut dans la défroque d'un Scotty censé apporter un point de vue comique, du moins décalé, sur l'action. La présence de Léonard Nimoy dans un rôle plus développé que le simple caméo appréhendé sert avant tout de caution morale afin de tirer, en douceur, définitivement un trait sur plus de quarante ans d’histoires. Ce ne serait pas gênant si Abrams avait su traiter son récit comme une allégorie aux questionnements et désirs actuels (ou éternels tant ils demeurent pratiquement inchangés d’une décennie à l’autre), ce qu’avaient développés avec plus ou moins de talent ses prédécesseurs et ce que les meilleurs représentants cinématographiques ou littéraires de S.F parviennent à faire. Pourtant, des thèmes tels que l’autoritarisme, le racisme, l’impérialisme ou le sexisme sont toujours d’actualité. Et que l’on soit friand ou pas de causette philosophique en pyjamas importe peu face à l’occultation indigne de la dimension politique et des dilemmes moraux des personnages. Pire, alors que la Fédération prône l’altruisme et la sauvegarde des espèces (même les plus viles), Kirk et Spock se livrent à un simulacre de mansuétude pour finalement appliquer la loi du Talion. Malgré les conflits inhérents à toute construction politique, que l’on aime ou pas les séries Star Trek, au moins l’esprit qui animait leur création était un désir de paix toujours empreint de valeurs humanistes à transmettre.
OPÉRATION SÉDUCTION
Cependant, il ne faut pas voir dans ce nouvel opus une démonstration ou une illustration d'une quelconque idéologie martiale "popularisée" par l'administration Bush. La volonté de Abrams est clairement apolitique, impossible d'y déceler la moindre résonance contemporaine. A la limite, on aurait pu faire un effort si Abrams avait balancé quelques plans d'un vaisseau spatial s'écrasant sur un édifice vulcain ou humain ce qui aurait donné l'occasion d'évoquer le traumatisme du 11 septembre 2001 en passe de devenir une véritable tarte à la crème analytique et critique à force de surexploitation. Non, la vérité est (ailleurs, oui on sait) autre et pas pour autant plus rassurante. Et c'est Chris Pine, l'interprète du valeureux capitaine Kirk jeune qui l'exprime clairement en répondant aux critiques de certains fans de Star Trek : "Dévier des canons de Star Trek peut offenser les gens mais était nécessaire pour attirer de nouveaux fans. Si cela signifie altérer certaines choses dans la tradition, l’histoire, l’héritage, alors, qu’il en soit ainsi. Si cela offense certaines personnes, qu’il en soit ainsi. Mais je reste persuadé que nous avons fait quelque chose de très accessible."
Pourtant, toute tentative de vulgarisation de concepts compliqués ou d'univers créatifs très élaborés est tout à fait honorable mais dans le cas présent cela se traduit à l'écran par une simplification à l'extrême, on conserve une patine visuelle reconnaissable, on joue avec la nostalgie des fans en réactivant leurs connaissances mais inutile de s'encombrer de cohérence scénaristique et narrative et encore moins de conflits pas seulement spatiaux mais également moraux capables de générer émotions et réflexions. Bien sûr, cette accessibilité au rabais est à l'oeuvre depuis bien longtemps à Hollywood mais il est impossible de ne pas demeurer interdit devant la persistance de cette vacuité insondable qui, en ce premier semestre 2009, s'est notamment traduite par le viol sans vaseline et avec des graviers du plus badass des mutants ou la renaissance poussive d'une franchise .Cette volonté de séduire une nouvelle génération de spectateurs implique généralement de développer le plus petit dénominateur commun apparemment capable d’anesthésier tout sens critique. Une pratique qui reste toujours aussi insupportable et pourtant capable de récolter des millions de brouzoufs. Ici, la séduction des masses par l'intermédiaire d'une œuvre accessible opère comme un prolongement du célébrissime high concept popularisé par feu Don Simpson (producteur à l'origine de Flashdance, Top Gun ou Jours De Tonnerre) dans les années 80 et qui considérait qu’un film avait toutes les chances d’exploser le box office si son intrigue pouvait être résumée en une phrase. Ce high concept est une version simplifiée du monomythe de Campbell décliné par Simpson sous forme de trois actes, une exposition spectaculaire où le héros montre sa maîtrise puis il touche le fond à cause des conséquences de son arrogance et enfin un mentor le remet sur les bons rails pour un retour triomphant.
Une structure appliquée par Abrams dont le Star Trek consiste moins à repartir de zéro ou d’en livrer une relecture personnelle que de le relier à son propre univers créatif puisque nous voyons réapparaître cette boule de matière rouge au centre des révélations de sa série Alias (bien qu'ici elle acquiert la propriété de former des trous noirs), l'utilisation du voyage dans le temps qui structure Lost ou l'implication à chaque niveau de l'aventure des mêmes personnages destinés à perpétuellement se rencontrer. Des correspondances ludiques inoffensives et plutôt amusantes.
Le vrai problème réside dans une infantilisation toujours plus poussée du récit quand bien même celui-ci voit s’accomplir ni plus ni moins que l’anéantissement de la planète Vulcain. Soit le peuple emblématique de Star Trek victime d’un génocide sans que celui-ci n’émeuve qui que se soit d’autre que Spock. Ce crime n’a aucune portée, aucune résonance sur les autres personnages, on ne mesure jamais vraiment le poids d’une telle catastrophe ce qui la fait passer pour une péripétie de plus. Il ne reste plus que 10 000 vulcains sur les six milliards et le film se termine dans la joie et l’allégresse, tout le monde paré pour repartir à l’aventure. Et non content d’éliminer physiquement une race entière, Abrams s’acharne en rognant progressivement leurs spécificités culturelles puisque Spock s’humanise de plus en plus, l’émotion prenant le pas sur la logique. Ce que prône d’ailleurs le Spock du futur au nouveau Spock. La dualité émotionnelle de Spock revêt certes un intérêt dramaturgique mais elle aboutit à une humanisation indécente puisque gommant toute singularité. Et oui, le must dans tout l’univers c’est encore d’agir selon un schéma de pensée humain. Ainsi, on voit Spock s’indigner lorsque Kirk propose de sauver les romuliens. Sentiment compréhensible qui entraîne la destruction de leur vaisseau lorsque Kirk se plie à sa volonté et ordonne d’ouvrir le feu et ainsi neutraliser toute possibilité de traduire en justice les responsables de l’holocauste vulcain. Mais après tout, que pèse la mort de milliards d'être vivants dans la balance de la justice quand on peut satisfaire un sentiment légitime de vengeance. On peut dire que la construction politique de Starfleet repose sur des bases plutôt fragiles pour qu'un cadet impétueux soit ovationné et récompensé pour cette action hautement humaniste et représentative de la fédération, s'il en est.
Pourquoi s'indigner, ce n'est qu'un divertissement, un reboot et il faut que ça bouge. Mais la nouvelle ligne temporelle créée par Néro, bien pratique pour expliquer les facilités prises avec l'univers original peut-elle tout excuser ?
Décrire l'amitié naissante entre le capitaine et son second semble le seul enjeu digne d'intérêt,quitte à en passer par l'annihilation de tout un peuple pour en renforcer les liens et faire de la pluralité ethnique un simple ressort vaudevillesque. La puissance du propos de ce film m'a sans doute échappé puisque sur ce dernier point, Isabelle Régnier sur le site du journal Le Monde affirme que "ce travail plastique est au service d'un message de tolérance subtilement distillé. Difficile pourtant de faire plus efficace, en termes de plaidoyer multiracial, qu'une scène qui dévoile Kirk nu dans un lit avec une femme toute verte. Sans receler une puissance conceptuelle, philosophique, ou artistique extravagante, le Star Trek, de J. J. Abrams, apporte une note de frais et d'élégance au film d'aventures spatiales, mettant ainsi le genre au diapason de la nouvelle Amérique de Barack Obama." Vu comme ça, évidemment…
STAR TREK
Réalisateur : J.J Abrams
Scénario : Roberto Orci, Alex Kurtzman, Gene Roddenberry
Production : J.J Abrams, Roberto Orci, Alex Kurtzman...
Photo : Daniel Mindel
Montage : Maryann Brandon & Marty Jo Markey
Bande originale : Michael Giacchino
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h06
Sortie française : 9 mai 2009