Martyrs
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- Critique par Nicolas Zugasti le 10 septembre 2008
Les histoires d'amour finissent mal, en général
Après avoir échappé à une interdiction aux moins de 18 ans synonyme de mort commerciale, Martyrs, le film de Pascal Laugier, est enfin sur les écrans. S’il n’est pas la révolution du film de genre annoncée, fantasmée et espérée par certains, il n’en demeure pas moins un sacré choc !
Fait rare pour un œuvre de fiction, avant même sa sortie, Martyrs aura provoqué la polémique et divisé le petit monde du cinéma entre partisans et opposants. Au final, il est vrai que le film laisse peu de place à une tiède appréciation. Soit on adhère au projet de Pascal Laugier, soit on le rejette. Des réactions plutôt épidermiques qui peuvent néanmoins laisser la place à une certaine déception après l’attente énorme créée par la projection cannoise et l’épisode de la commission de classification. Cependant et quoi que l’on pense du deuxième film de Laugier, il faut bien reconnaître que c’est un sacré choc visuel et émotionnel. Une œuvre que l’on reçoit de plein fouet et qu’il est difficile d’appréhender même plusieurs heures après visionnage.
Par contre, il est facile de déterminer ce que le film n’est pas. A savoir un déluge complaisant d’horreurs graphiques seulement là pour assouvir les pulsions sadiques. Bien au contraire car on ne prend aucun plaisir à voir Martyrs. Ce n’est pas un spectacle fun ou malsain.
Pensé et voulu au départ comme une expérience cathartique pour son auteur, le film peut se voir comme un questionnement sur la réception de cette violence. Cela rappelle le travail de Haneke en moins théorique mais plus instinctif. En allant plus loin, le film peut se lire comme une déconstruction, une implosion de l'oeuvre de l'autrichien. Laugier investissant les cadres habituellement usités par Haneke pour les souiller d'une explosion de violence graphique.
On le sent, et même cela se voit, Laugier est habité par une rage peu commune et qui trouve son fondement dans la réception en 2004 de son premier film, Saint-Ange. Brillant exercice de style ultra référentiel et aux cadres extrêmement travaillés mais en grand manque d’affect. Un bel "objet" injustement stigmatisé par les critiques et le public alors que l’on avait vu bien pire (Promenons-Nous Dans Les Bois, Bloody Mallory…). Moralement atteint par cette remise en cause de son travail, de ses talents de réalisateur, Pascal Laugier mettra deux ans à s’en remettre. Et de livrer avec Martyrs une relecture extrême de Saint-Ange. Et surtout, une version gavée d’émotions. Plus que la violence elle même, c'est la souffrance, morale autant que physique, qui structure tout le récit, Laugier réussissant à transposer parfaitement sa propre souffrance pour aboutir, comme son héroïne, a une forme d’apaisement.
Mais avant d’y parvenir, il faudra en passer par une série de séquences pour le moins traumatisantes.
IMMENSE DÉFOULOIR
Sans avoir pris la peine de vérifier, Lucie abat au fusil une famille entière qu’elle dit être ses bourreaux d’il y a quinze ans. Une famille de sitcom sévissant d’ordinaire dans nombre de films de genres et qui sera liquidée au bout du premier quart d’heure par un Laugier bien décidé à imposer sa vision, son rythme. Puis vient une créature horrifique poursuivant Lucie, les mutilations, Anna qui tente de protéger son amie contre elle-même, la découverte d’un sous-sol de l’horreur…Bref, Laugier ne nous laisse aucun répit et enchaîne les séquences remuantes. Un déchaînement qui avait commencé par une salve de plomb dans le bide et qui s’achève par une balle explosant le crâne de la pauvre jeune femme découverte dans la cave par Anna. L’apparition de ces hommes et femmes en imper' noirs signifiant le passage à une autre forme d’horreur, plus insidieuse, plus marquante. Jusque là , Anna n’était que la spectatrice, le témoin d’horreurs graphiques infligées à d’autres. Dorénavant, son corps pourra témoigner des horreurs qu’on lui aura infligé. Beaucoup dans la presse auront rapproché Martyrs de Hostel sous le vocable de torture porn. Terme réducteur et inexact. Si l’on peut rapprocher les deux films, c’est par leur manière de réactiver l’horreur des camps de concentration nazis. Hostel par cette usine désaffectée d’où s’échappe d’une cheminée une fumée noire provoquée par les restes calcinés des corps torturés par une élite. Dans Martyrs, l’irruption de ces hommes en noirs, leur gestuelle (ne manquera que la svastika et le salut nazi), les tortures auxquelles ils vont s’adonner, rappellent la gestapo. Ramenés ici à des illuminés mystiques qui cherchent dans la souffrance d’autrui LA révélation. S’ensuit des supplices à un rythme métronomique pourtant moins sanglants que dans la première partie mais qui s’avèrent plus éprouvants puisqu’on comprend rapidement qu’il n’y aura pas d’échappatoire.
Martyrs peut également être envisagé comme une vision complémentaire à l’univers de Douglas Buck, cinéaste américain qui a fait sensation, en 2006 au 32ème festival du cinéma américain de Deauville, avec trois courts métrages (Cutting Moments, Home et Prologue) réunis sous le titre Family Portraits et montrant le lent basculement de l’Amérique, via trois portraits de familles, dans la violence et la dégénérescence.Là où Buck utilise les non dits et le hors-champ comme générateur de malaise et amorce d’images chocs, Laugier se montre beaucoup plus démonstratif. Mais tous deux imprègnent, à leur manière, le récit d’une insupportable intensité.
UN VIDE A COMBLER
Si le film adopte des motifs et des codes propres aux films de genres et plus particulièrement d’épouvante, il est avant tout une histoire intime. Et plus particulièrement une histoire d’amour entre Lucie (Mylène Jampanoï) et Anna (Morjana Alaoui). Cette dernière vivant un calvaire autant moral que physique pour être tombée amoureuse de la femme qu’il ne lui faut pas. Elle en souffre mais ne peut s’empêcher de l’aimer et de la suivre dans sa quête vengeresse. Il en va sans doute de même de Pascal Laugier avec le cinéma qu’il aime par dessus tout malgré la douleur qu’il lui aura infligé. Une histoire personnelle qui nourrit l’autre et qui parvient à nous toucher. Comme son héroïne, Laugier est un écorché vif.
Il a, en outre, ce grand mérite de faire naître l’émotion au sein de séquences particulièrement gratinées. C’est d’autant plus remarquable que l’on pouvait craindre une anesthésie complète de sentiments avec une dernière partie se déroulant dans un environnement froid, clinique, où les gestes sont mécaniques et les faciès des bourreaux sans expression, ne dégageant aucune émotion.
Si le film a tant choqué certains c’est moins pour ses scènes de violences que pour sa radicalité. On devrait même plutôt louer le courage de Laugier pour son refus de toute concession et l’absence de tout second degré apte à désamorcer la charge émotionnelle.
Alors non, ce film n’est pas parfait. Martyrs ne propose pas de grande théorie, d’approche novatrice du genre ou une terreur ludique et réflexive. Il se contente de nous faire vivre des sensations fortes (peur, mélancolie, compassion…). Il nous pousse même à nous interroger sur la perception de la violence dans nos sociétés aseptisées où cette violence, justement, s’est banalisée. Mais Martyrs est avant tout un film foncièrement sincère dans lequel le réalisateur s’ouvre au public et livre énormément de lui-même. Ce qui en soi est inestimable.
P.S : Je ne l'ai pas souligné dans l'article, mais il faut saluer le remarquable travail des SFX et des maquillages prodigués par le regretté Benoît Lestang.
MARTYRS
Réalisateur : Pascal Laugier
Scénario : Pascal Laugier
Production : Simon Trottier, Richard Grandpierre, Marcel Giroux, Frédéric Doniguian
Photo : Stéphane Martin, Nathalie Moliavko-Visotzky
Montage : Sébastien Prangère
Bande originale :Alex et Willie Cortès
Origine : France
Durée : 1h37
Sortie française : 3 septembre 2008