Interview - Xavier Gens
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- Making-of par l'ouvreuse le 4 juin 2012
Le sous-sol de l'apo
The Divide propose, comme Frontière(s), une société au bord du chaos.
The Divide est ma manière de traduire les peurs que nous avons en ce moment, notamment celle du terrorisme. Imaginons qu'il y ait une attaque surprise qui nous tombe sur la gueule, on irait se cacher tout de suite quelque part, puis on apprendrait à survivre les uns avec les autres sans forcément se connaître, sans connaître nos antagonismes. The Divide adopte ce point de vue à travers le personnage d'Eva.
Ce background vient avant d'écrire l'histoire ou apparaît après ?
C'est quelque chose qui vient au moment où tu écris le film car tu as envie de raconter une histoire et finalement ton histoire amène un sous-texte, qu'il est important d'avoir au début. Si tu n'as qu'un sous-texte et pas d'histoire, tu risques de gaver les gens et ferais mieux de faire un documentaire. Donc je vais raconter l'histoire de gens qui s'entretuent dans un sous-sol. Ça peut se financer, les spectateurs s'y intéressent…
Tous les mecs qu'on admire, comme Romero par exemple, intègrent ce genre de background à leurs histoires. Ici l'explosion atomique qui ouvre le film pourrait même symboliser la crise économique que l'on traverse en ce moment.
Le choix en situation extrême est une thématique assez présente dans tes films.
Pour moi il semblait intéressant de voir ce qu'on peut obtenir en poussant les acteurs sur cette voie-là . Ils prennent plus de plaisir à jouer des situations extrêmes, à trouver des subtilités de jeu que lors d'une scène neutre, sans conflit. C'est la recherche d'un maximum de conflits qui m'excite.
The Divide est axé horreur psychologique, le cannibalisme est même envisagé, mais ça en reste là .
On aurait pu y aller, on en a parlé avec les comédiens. Mais j'avais l'impression de revenir en arrière par rapport à Frontière(s). Donc on l'évoque mais on l'évacue avec la question des corps contaminés. Puis ce n'était pas le sujet du film, on aurait perdu en substance.
Les relations entre les acteurs ont influencé le scénario ?
Le rapport entre Michael Eklund et Rosanna Arquette dans la vie a eut une incidence sur le scripte. [Spoilers] Quand le personnage de Rosanna meurt, Michael était triste qu'elle quitte le plateau. Il voulait garder un souvenir d'elle, il est alors parti dans les loges, est revenu avec la nuisette de Rosanna et l'a gardée pour le reste du tournage.[Fin spoilers]
Il y a également une grosse part d'improvisation, comme la séquence "action ou vérité". Pendant la répétition on les encourageait à improviser. Le scénariste Eron Sheean était avec moi, notait ce qu'il y avait mieux dans l'impro, et ensuite l'intégrait au scripte, donnant ainsi plus de vie au film.
Tu penses savoir quelle marge de manœuvre laisser aux acteurs à mesure que tu fais des films ?
Oui, et c'est hyper important. Sur Frontière(s) j'étais control freak, je ne leur laissais aucun espace de liberté. J'ai appris à leur laisser la bride, à prendre du retrait et leur dire "Allez-y", tout en drivant ton histoire, en maintenant le cap vers où tu veux aller. Comme un chien de berger !
Qu'as-tu appris d'autre après trois films ?
A simplifier le découpage technique. Sur Frontière(s) et Hitman je perdais beaucoup de temps à découper des séquences qui ne le méritaient pas. Le principal est de garder un point de vue le plus longtemps possible sans sur-découper.
Mais il faut taper sur les doigts de Paul Greengrass qui est entrain de ruiner toute une génération avec des réals qui font du shaky cam à fond, et ce n'est pas ça la mise en scène. Il faut savoir raconter avec le moins de plans possible.
Y a-t-il un challenge de mise en scène que tu voulais relever avec The Divide ?
Au début du troisième acte, il y a ce moment où Eva prend une décision, et je voulais le souligner avec un plan qui lierait tous les personnages. Ainsi quand elle débranche le générateur, on n'a plus son point de vue mais "le point de vue de Dieu" avec une caméra qui se ballade.
Le budget était de combien ?
Quatre millions de Dollars canadiens, ce qui fait environ trois millions US, dont 2,5 qui viennent des parents du stagiaire.
Vraiment ?
Vraiment. Une semaine avant le tournage, l'assurance du film qui garantit la bonne fin du projet regarde le plan de travail et conclue qu'il n'est pas réaliste. Elle se retire, et avec elle tous les financiers. Donc on se retrouve avec tout le décor sur les bras, le studio à payer, l'équipe, les acteurs… Le producteur arrête tout, on commence à casser le décor, et là le stagiaire dit "Ça fait chier, c'est mon stage de printemps, je vais en parler à mes parents". Ils nous demandent combien il nous manque, on répond "2,5 millions", et ils nous les filent.
Comme quoi, il faut bien traiter ses stagiaires.
Comme pour Frontière(s), c'est un petit budget, contrairement à Hitman. C'est plus intéressant d'avoir moins d'argent mais plus de contrôle ?
Avec un gros budget tu te retrouves avec un studio qui veut que ton film devienne un produit. Donc ce qu'on a fait ici avec les acteurs, tu peux pas. Tu suis à la ligne les pages du scripte qui sont contractées, et même si l'acteur principal trouve que c'est naze, personne n'a le droit de le modifier.
Ou alors ça retourne à la Fox, qui le fait re-écrire, valider par les pontes, et te le renvoie. Le processus pour changer une ligne de dialogue prend une semaine.
C'est vraiment un autre exercice. J'ai pas pris un énorme plaisir à le faire, mais au moins j'en ai l'expérience.
Sur The Divide, c'était tout le contraire. Le producteur me disait "Fait ce que tu veux. C'est l'histoire en priorité". On a commencé avec un scripte de 90 pages, on a fini à 117. Sur Frontière(s) le scripte faisait 120 pages, et on est descendu à 80.
Comment tu expliques la sortie en direct-to-video ?
C'est mieux d'avoir une belle sortie DVD qu'une sortie salles bâclée. Les derniers films de genre sortis en salles en France ne réussissent pas, beaucoup de films sortent, et les exploitants ne jouent pas le jeu. Puis The Divide est interdit aux moins de 16 ans, donc UGC, etc., c'est fini. Donc autant mettre le paquet sur une belle sortie vidéo et faire un peu comme les gens qui ont sorti Donoma, tourner avec un bus et montrer le film dans les villes avec quelques copies.
Quand on a sorti Frontière(s) on avait 200 copies, et on n'a pu en placer que 88. Une copie, c'est 800 €, donc ça pèse vite lourd pour le distributeur. Pour qu'un film de genre marche un peu, il faut trouver le média qui correspond le plus à la cible. Ici à Gérardmer il y a un public averti donc les salles sont blindées.
Je vois que Tucker & Dale sort en salle, et je suis assez étonné. Avec six séances par jour, il y aura dix, quinze spectateurs par séance, ce qui n'est pas énorme. (ndlr : vingt par séance en fait, durant la première semaine) Selon ce ratio, la sortie sera considérée comme un échec. Mais si on concentre ces entrées sur quelques copies et trois séances/jour en un week-end, tu as des salles pleines, le film est considéré comme un succès. Il suffit de cibler au lieu d'étaler.
On n'aurait pas raté le coche il y a quelques années, après les succès de Promenons-Nous Dans Les Bois et Le Pacte Des Loups ?
Je ne pense pas. Grâce à ces films il y a eu Haute Tension. Puis grâce à lui Maléfique, et Ils, Frontière(s), Sheitan, A L'Intérieur… A l'étranger les films de genre français sont hyper reconnus.
On n'a pas raté le coche, quelque chose est vraiment entrain d'émerger, et il faut continuer car ça cartonne en DVD. On ne donne que les chiffres salle de ces films, mais au final ils fonctionnent en vidéo, à la télé et à l'étranger. Il faut juste replacer les choses dans le bon ordre. Des magazines comme Mad Movies ne communiquent que sur l'aspect négatif de ces films, on ne parle que de leur échec en salles, et c'est dommage car ce sont des films qui rencontrent leur public a posteriori.
Il faut encore des producteurs qui y croient, des réalisateurs qui ont envie, et il y aura un bel avenir.
Mais les budgets plafonnent.
Je pense qu'on est sur-financé. Les films français de genre coûtent entre un million et deux millions d'Euros, soit le prix moyen d'un film de genre anglais. C'est juste que les projets français sont trop ambitieux par rapport à leurs budgets, ils devraient plus être dans une fourchette en cinq cent mille et un million. Je dis pas qu'il faut faire du Paranormal Activity, mais réfléchir à une unité de lieu, de temps, à des personnages définis. Il vaut mieux agir dans ce sens que de livrer un film qui semble cheap faute de moyens.
Ce qui est le rôle du producteur.
Le problème est qu'il n'y a pas de producteur qui connaisse bien le genre. La plupart en a produit par opportunisme, n'a pas su encadrer les réalisateurs, et pas su financer le développement, l'écriture du scénario, etc.
Qu'est-ce qui s'est passé sur la production, compliquée, de Hitman ?
La Fox avait confié 24 millions de Dollars et un réalisateur, moi, à Luc Besson, car Europa devait juste fabriquer le film, pas le produire. Tout s'était très bien passé, Besson me laissait faire le film que je voulais. Mais arrivé à la post-prod, la Fox a repris le contrôle du film, et c'est allé au clash…
Ce sont eux qui ont rajouté les plans tirés de Dark Angel ?
On leur a fait des notes sur le scénario qui leur disaient que l'Agent 47 est un clone, qu'on avait besoin de tourner certains plans pour présenter ça au début. Ils nous ont répondu que ce n'était pas la peine. Et quand ils se sont rendus compte de leur erreur, ils ont demandé à James Cameron des images du pilote de Dark Angel, puisqu'ils en ont les droits, et ont fait ce qu'ils ont voulu, puisque ça ne t'appartient pas.
En même temps avoir James Cameron en réalisateur de deuxième équipe, c'est un peu la classe ! (rires)
Au niveau de tes projets, tu en es où ?
Il y a Cold Skin, que je devrais faire cette année, et House Of Horror pour James Wan, qui l'écrit et le produit.Â
THE DIVIDE
Réalisateur : Xavier Gens
Scénario : Karl Mueller & Eron Sheean
Production : Nathaniel Rollo, Darryn Welch, Ross M. Dinerstein
Photo : Laurent Barès
Montage : Carlo Rizzo
Bande originale : Jean-Pierre Taieb
Origine : Allemagne, USA, Canade
Durée : 1h52
Sortie française : 1er juin 2012 en DTV
Merci à Gwenn Gautier et à Xavier Gens pour sa disponibilité.