Donoma

Le jour se lève

Affiche Donoma

En septembre dernier, Les Cahiers Du Cinéma avaient titré leur magazine New York, Génération "Do It Yourself". À l'intérieur, un dossier était consacré à la nouvelle scène new yorkaise (les frères Safdie, Ronald Bronstein...). Des cinéastes particuliers qui s'en sortent avec beaucoup de débrouille, de l'entraide, un peu d'autoproduction et énormément d'envie.


Ce n'est pas un hasard si Djinn Carrénard a passé trois mois à New York avant de se lancer dans Donoma. Trois mois plus que prolifiques, puisqu'il réalisera un documentaire et deux courts-métrages, dont un (White Girl In Her Pantie) lui sert de point de départ pour son long. L'effervescence de la Grande Pomme, l'émotion de revoir son père lui ont donné la force, l'envie de se lancer dans une aventure un peu folle : faire un long métrage.

Il a impliqué ses comédiens sans leur faire trop de promesses. "On va faire un film sans fric. On n’est personne et on ne connait personne dans ce métier. Il ne faut pas espérer plus de ce projet qu'une projection dans un cinéma avec tous nos potes". Commence alors un tournage atypique. Les comédiens prennent sur leurs vacances pour tourner. Djinn Carrénard devient un véritable homme-orchestre. Il s'occupe du scénario, de la réalisation, de la lumière, du cadre et plus tard il sera au montage. Évidemment, la qualité technique de l'ensemble peut paraître faible. Le son est cru. Les images n'hésitent pas à passer dans le flou, la caméra bouge. À partir de contraintes budgétaires, un véritable choix est fait. On nous présente un produit brut, sans artifice. L'esthétique générale rappelle un documentaire, voire une vidéo amateur. On n'est plus dans une salle de cinéma devant un film, mais bien là, à côté d'eux, à observer leurs couples.

Donoma
 

Pour parfaire ce petit jeu de voyeurisme, il fallait un élément indispensable : des acteurs (et une direction d'acteur) irréprochables. Et c'est bien là toute la réussite du film. Les comédiens dégagent un naturel quasi unique dans le cinéma français. Frownland (de Ronald Bronstein, 2007) avait généré des sensations similaires. Certains spectateurs se demandaient alors si le personnage principal était aussi imbuvable dans la réalité. Il existe aussi une ressemblance frappante entre l'idylle muette de Donoma et Four Eyed Monster (de Susan Buice et Arin Crumley, 2005), un autre film néo-new yorkais. Mais cela rappelle surtout le travail de John Cassavetes. On retrouve ce même plaisir à laisser le temps aux scènes de s'étirer, à donner de la liberté aux acteurs. De plus, on peut faire un parallèle évident entre le parcours hors du système de Djinn Carrénard et le désir d'indépendance (hors des studios) de Cassavetes. Dans ce genre de cinéma, les acteurs ne jouent pas, ils interprètent. Ils incorporent à leur personnage une part d'eux-mêmes, leurs langages, leurs charismes... Dans Donoma, les scènes sont tournées en semi-improvisation. Le réalisateur dirige, oriente, mais jamais ne commande. Les acteurs n'auront à aucun moment le scénario entre les mains. Sa façon à lui de leur laisser une zone de liberté tout en gardant l'essentiel. Pourtant, c'est un film écrit, voire très écrit. Les personnages sont fouillés. Ils ont un passé, des besoins présents, une envie de futur. La qualité des dialogues rappelle un certain Abdelatiff Kechiche. Ce dernier découvre Donoma au festival Mosaïques de Londres et lui apporte immédiatement son soutien. Il a adoré et veut l'aider à se vendre aux chaînes françaises. Après plusieurs projections, notamment à Cannes grâce à l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion), c'est finalement Arte qui s'en empare. Cet achat salutaire a permis au film sa sortie en salle.

Avec Donoma, Djinn Carrénard espère avoir ouvert une brèche (à l'image de New York ?) pour d'autres jeunes cinéastes "en mode guérilla", comme il dit. De notre côté, on peut d'ores et déjà se réjouir : avec cette jolie réflexion sur les relations humaines, il s'est offert un avenir dans le cinéma.


LE BESOIN, LE POUVOIR, LA PAROLE
Donoma est un film choral au récit éclaté. Il prend à peine le temps de nous présenter ses personnages et nous place directement dans le feu de l'action. Dès la première scène, il capte toute notre attention. On se met à scruter ces échanges entre amis ou petits amis. La magie du métro permet de rapprocher chacun d'entre eux pourtant à l'origine d'univers (de mondes !) différents. Pas de sous-entendu là-dessous, il nous montre simplement Paris telle qu'elle est, une ville cosmopolite. On pourrait catégoriser certains de ses personnages comme "sociaux", une leucémique, un autre temporairement SDF. Mais jamais ils ne sont utilisés pour que l'on s'indigne face à leur sort ou qu'on loue leur courage. Ils sont simplement là comme n'importe qui d'autre, soumis à notre observation. Comment s'en sortent-ils dans leur situation et dans la France d'aujourd'hui ? La réponse est aussi simple qu'universelle, grâce à l'autre. L'autre, cet individu qui nous apporte tant, parfois sans explication.

Donoma
 

Djinn Carrénard aborde là l'univers du ressenti, un thème difficile au cinéma. Ce besoin d'autrui est le centre du film. Soraya a besoin de sa sœur pour l'aider dans sa leucémie, mais Salma se rend compte un peu tard qu'elle avait tout autant besoin de sa présence. Cette chose qu'on appelle parfois amour ou amitié tiraille les personnages pendant près de deux heures vingt. Donoma va plus loin que ça. Une fois qu'on accepte ce besoin, qu'on se laisse porter, que se passe-t-il ?

Le film met alors en scène un véritable jeu de pouvoir. Les protagonistes refusent l'autorité en place à tour de rôle et n'hésitent pas à en profiter par la suite, lorsque la situation leur donne le dessus. La relation entre Dacio et sa professeure est la plus criante à ce sujet. Lui, ado rebelle, conteste constamment son autorité. Mais lorsqu'un peu plus tard, il lui confesse ses faiblesses, se rendant corps et âme à sa professeure. Elle n'est pas plus tendre avec lui et profite allégrement de la situation. Ces conflits ont lieu dans chacune des relations dévoilées à l'écran. Seuls les personnages secondaires utilisent avec parcimonie de leur pouvoir, se montrant ainsi moins tyranniques et surtout plus matures.

Au milieu de cette guerre sans pitié, un élément va jouer un rôle primordial. Le Discours D'Un Roi avait déjà montré en début d'année le rôle décisif qu'avait la parole dans l'exercice du pouvoir. Donoma nous la présente ici comme une arme dévastatrice. La professeure d'espagnol s'en sert à plusieurs reprises à l'encontre de Dacio. Le mensonge et la manipulation sont à portée de langue, c'est si facile. Une arme dévastatrice, certainement. Mais aussi une arme difficile à maitriser, d'autant plus quand les sentiments s'en mêlent. Les personnages se font souffrir tour à tour par inadvertance ou par simple méchanceté. "On ne vient pas du même monde" lance Dacio à Salma. Les couples se parlent, mais ne se comprennent pas. Les mots sont durs, mal déchiffrés et dans tous les cas blessent l'être cher. Le langage parlé apparait là bien faible pour exprimer ses pensées comme ses sentiments. Il mène inexorablement à l'incompréhension. Lors de la rencontre avec la contrôleuse de la CAF, Donoma appuie ce propos. Il nous démontre la futilité de la parole. Malgré des mots forts, "soyez honnête", "on a été honnête", tout le discours n'est que mensonge et supercherie. Ce n'est pas par la parole que la contrôleuse découvre la vérité, mais en observant les faits, les actes. Malheureusement dans ce monde-là, même les actes ne sont pas compris à l'intérieur d'une relation. Lorsque Soraya décide de se faire hospitaliser, c'est un geste d'amour envers sa sœur. Elle le fait pour sa sœur pensant que c'est ce qu'elle veut, que c'est le mieux pour elle. Mais Salma ne comprendra jamais cette initiative. Elle ne le vit pas comme une marque d'amour, mais comme un abandon, un de plus.

Donoma
 

Djinn Carrénard orchestre son propos avec brio, mais ne passe pas à côté de quelques fausses notes. On regrette particulièrement la voix off prononcée lors de l'idylle muette. Elle nous explique le passé, les pensées de cette jeune photographe. Elle (aussi) se pose beaucoup de questions sur le couple. Si la voix off était certainement un passage obligé, on aurait aimé plus de finesse, moins de présence. Parfois il suffisait d'avoir confiance en ses images. Ses intentions n'avaient nullement besoin d'être soulignées de la sorte. Donoma est un film vivant. Il contient des scènes denses en information et oppressantes formellement (la caméra est proche des visages, on est dans un endroit fermé). Il manie l'humour à l'intérieur de ces scènes, nous donne une première échappatoire pour ensuite alterner avec des moments plus calmes (en extérieur) où le spectateur peut respirer. Malheureusement, il n'évite pas quelques longueurs, mais celles-ci sont rapidement happées par la densité de la scène suivante.

Au final, Donoma donne une vision pessimiste du couple. Peu de relations en survivent. Chacune d'entre elles s'enferme petit à petit dans une guerre du pouvoir pour finir dans l'incompréhension. Cependant, n'oublions pas que les protagonistes sont principalement adolescents et font tous preuve d'un manque de recul et de maturité. Mais n'est-ce pas le propre de la passion amoureuse de se livrer corps et âme, ne pas calculer, mais vivre ? En tout cas, Djinn Carrénard livre une œuvre singulière dans le paysage cinématographique français, une réelle réussite.


DONOMA
Réalisateur : Djinn Carrénard
Scénario : Djinn Carrénard
Production : Djinn Carrénard
Photo : Djinn Carrénard
Montage : Djinn Carrénard
Bande originale : Frank Villabella
Origine : France
Durée : 2h13
Sortie française : 23 novembre 2011




   

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