ITV - Guillaume Lemans [1/2]

Ecrire nerveux

Affiche A Bout Portant

En seulement deux films réalisés par son compère Fred Cavayé, Guillaume Lemans s'est imposé comme l'un des scénaristes phares de la nouvelle génération. Rencontre avec l'auteur des pépites Pour Elle et A Bout Portant.


L'ouvreuse : Tu peux commencer par nous décrire ton parcours ?

Guillaume Lemans : J'ai eu une formation à la fac, en histoire de l'Art, Histoire et sciences humaines, où on faisait tout et rien. Après je suis parti bosser dans l'édition. Je suis un gros fan de science-fiction, j'ai travaillé pour Mnémos et Bragelonne en tant que stagiaire lecteur. Je continuais mes études, je faisais du jeu de rôle et j'écrivais déjà des scénarios. Ça me titillait d'écrire des histoires. En revenant de Maîtrise j'ai tenté un DESS qui n'a pas marché, puis j'ai été appelé par l'armée.
A cette époque avec un pote j'ai développé un projet de série qui finalement n'a pas existé. C'était un feuilleton 6x52 minutes d'espionnage. En 2000 on l'a envoyé à Canal + quand Farrugia, qui était aux programmes, avait fait un appel d'offres en disant : "Canal veut faire du HBO et veut du 6x52 feuilletonnant, de genre, avec de l'horreur, de l'espionnage". On tombait bien ! Cette série a plu à toutes les boites de prod à qui on l'a envoyée, parce qu'on avait une longueur d'avance : on était en 1999, 24 Heures Chrono n'était pas arrivé, rien n'était arrivé. Finalement j'ai signé avec LGM, qui n'était pas une boite de télé mais de cinéma. C'est avec eux qu'on a fait A Bout Portant. C'est le petit coup de pouce qui fait que le truc a pris.
La série ne s'est pas faite, Farrugia s'est fait dégager avec tous les projets qu'il avait en bagage. On s'est retrouvé le bec dans l'eau, mais j'avais goûté à l'écriture de scénario et ça avait marché, c'était possible, on me disait que ce que j'avais écrit avait de la patate. Ensuite je suis parti sur un sujet de long et j'ai rencontré Fred Cavayé sur un projet de sitcom à TV Breizh. On vivait à cent mètres l'un de l'autre. Je lui ai montré mon projet et on s'est mis d'accord. On l'a développé et on a été le proposer à LGM. Ça s'appelait La Loi De Murphy, une comédie qui n'a rien à voir avec La Loi De Murphy qu'a produit Gaumont. Puis on a commencé à écrire pour d'autres genres. Bref, il faut travailler, mais il faut aussi un bon timing !


Tu écrivais à la fois de la comédie et de l'action.
Oui, de la comédie, de l'action, de l'horreur... J'ai fais un film de genre aussi, Captifs (réalisé par Yann Gozlan en 2010, ndlr). Dans l'absolu, j'ai envie de tout faire. Ma came première, c'est le thriller, comme Pour Elle.

Captifs
Captifs


Des trois genres que tu as abordés, lequel est le plus compliqué à écrire ?
La comédie. Car le lien entre le scénario et la mise en scène est plus compliqué. Le décalage peut être énorme. En thriller, avec un bon scénario bien serré, tu peux t'y retrouver. En comédie, ça doit être tellement précis que s'il y a une incompréhension c'est horrible.

Et donc qu'est ce que tu penses de La Guerre Des Miss (co-écrit avec Fred Cavayé, ndlr) ?
Que c'est une daube. Mais le scénario de La Guerre Des Miss n'était pas un grand scénario, donc ça ne peut pas faire un grand film. Il fallait faire du trash par rapport au sujet.


Comme ce film avec Kirsten Dunst, Drop Dead Gorgeous...
Oui, Belles A Mourir. Avec Fred on a fait une version du scénario et puis on a disparu. Fred est parti en prépa sur Pour Elle, et d'autres gens sont passés derrière nous. C'est pas pour se défiler complètement, mais on a en plus souffert de l'effet Ch'tis. Bienvenue Chez Les Ch'tis est sorti en salle, ça a été le raz-de-marée. C'est un film gentil, il n'y a pas de méchant et c'est sur la province. La Guerre Des Miss se passait dans les Alpes. Je pense que les producteurs se sont dit : on va se faire les Ch'tis chez les montagnards. Ils ont gommé tout l'humour noir qui nous faisait marrer avec Fred. Et on s'est retrouvé avec ce truc qui ressemble à pas grand chose. Patrice Leconte a fait des super films, mais là il ne l'a pas fait pour les bonnes raisons. En même temps, tu apprends beaucoup. C'était ma deuxième expérience après Pour Elle, et donc tu vois comment ça se passe.


Et c'était un genre complètement différent...
Oui, mais pour le prochain film de Farrugia, Le Marquis, je suis super content du scénario.

Tu penses que ça va ressembler à ce qu'il y avait sur le papier ?

Pour le moment oui. Dominique a un vrai rapport à la comédie. Je suis impatient de voir une version de travail.


Pour Elle
Pour Elle


La comédie c'est une écriture de réactions, alors que pour le thriller le personnage est censé agir pour captiver le spectateur. Comment tu travailles ça ?

Pour le moment, dans les films d'action qu'on a écrit, il y a un rapport au réel qui est très important, surtout dans le cinéma de Fred. On va se poser des questions empathiques. Je cherche tout le temps dans l'écriture à ce que le spectateur soit le héros. Pour l'instant ça a marché avec A Bout Portant et Pour Elle. En ce moment j'écris un scénario qu'on sait moins bien maîtriser en France, où le héros est un mec qui sait faire, contrairement aux deux personnages précédents, qui étaient des mecs qui apprenaient, qui en prenaient plein la gueule. "Comment je ferais à sa place ? Qu'est ce que je sais faire ? Comment je me ferais péter la gueule ?". Il fallait répondre à ces questions en essayant que ça fasse vrai, comme si toi spectateur tu pouvais te dire "C'est ce que j'aurais fait !" ou "Putain il est mal". Mais on ne projette pas pour autant des séquences d'actions à l'avance. Sur A Bout Portant,la poursuite dans le métro est étirée parce qu'il y a un objet filmique avant tout. C'est LA course de sept minutes. Mais il faut tout le temps que ce soit vrai. Possible, ou presque.


A Bout Portant
A Bout Portant


Comment définissez-vous les limites du réalisme, de ce que peut faire le personnage, de comment il peut réagir ?

Je ne sais pas comment on les définit. Moi je propose des trucs, et Fred va me dire "J'y crois pas". C'est un échange. Je vais avoir tendance à mettre la barre un poil plus haute et il va la réduire. Il peut y avoir un truc sur le papier et qui, à la mise en scène, avec le travail de son chef op' sur le découpage, diminue un peu l'action écrite.


Certaines choses peuvent passer à l'écrit et ne pas passer à l'image.
Oui, et inversement. Malheureusement, il y a la réalité du cinéma français. Parfois on ne peut pas le faire. C'est un plan à la con, mais chez nous ça va prendre quatre jours. On n'a pas la grue, donc on ne peut pas le faire, alors que sur ton scénario c'est théoriquement que dalle. Le saut par la fenêtre dans A Bout Portant, on est passé par dix milles trucs pour l'avoir.


C'est une question de budget ?
De capacité matérielle liée au budget et au temps. Ce serait trop d'argent et de temps par rapport à l'impact que ça a sur le scénario.


Pourtant ce genre de passage est important.
Bien sûr que c'est important. Et sur A Bout Portant on a beaucoup de choses. Et tant mieux, ça participe aussi à un aspect réel. On n'est pas dans une bessonnade.


Pour revenir sur l'écart qu'il peut y avoir entre le papier et l'image, beaucoup ont reproché à A Bout Portant des facilités ou des raccourcis. Par exemple quand Gilles Lelouche est coincé derrière le métro pendant la course poursuite, il y a une porte ouverte près de lui pour qu'il puisse s'échapper. A quel moment vous décidez si ce sera crédible ?
Ce n'est pas une question de crédibilité. C'est crédible. Ce n'est pas impossible qu'il y ait une porte ouverte. Le problème, c'est le rapport au hasard. C'est typiquement français : tout doit être justifié, et on essaye de le faire. Mais de temps en temps avec Fred, on va privilégier l'impact immédiat sur lespectateur. On aurait pu rendre le truc plus compliqué.


Tu crois que c'est parce qu'on refuse le concept de "l'aide providentielle", qui est important et accepté dans les scénarios américains ?
On a tout le temps un rapport à l'intellect. Il faut un rapport au sens, pas à l'immédiateté, au truc que tu prends dans la gueule. On a d'autres moments dans le film qui nous sont reprochés. Gilles Lelouche entre dans les chiottes quand la flic va balancer le personnage par la fenêtre et comme par hasard il arrive. La réalité, c'est que ce n'est pas écrit comme ça. Mais au montage, un choix est pris qui correspond à une direction qu'aurait pu prendre le scénar. Mais ça ne me dérange pas. Peut-être qu'il a ouvert deux cents portes et que nous on arrive quand il ouvre la bonne.


A Bout Portant
A Bout Portant


Globalement les critiques sont assez bonnes. Mais on remarque que les critiques positives ne mentionnent jamais le scénario, alors que les critiques négatives pointent avant tout le scénario.
C'était exactement la même chose sur Captifs. C'est-à-dire : "Un scénario qui n'invente rien, mais le film est bien". Mon travail c'est quoi ? C'est de montrer comme je suis brillant en tant que scénariste et que je vais chercher des idées loin ? Ou c'est juste de faire un scénario qui donne un bon film ? Mon travail c'est faire en sorte qu'il y ait de bons films derrière. Et d'écrire un truc simple, plutôt que de vouloir tout révolutionner. Moi je trouve que Captifs est un bon film. On ne révolutionne rien, mais c'est un bon film. Les autres vont tous chercher un high concept. Apprenons à faire des bons films, et après on pourra aller chercher autre chose. Il est chaud le scénario d'A Bout portant en plus. Parce que le montage de l'acte 3 est à 100% écrit.


D'ailleurs A Bout Portant n'est pas une simple course poursuite comme il a été vendu. Il y a tout un background de policiers ripoux développé en flashbacks.
On s'inscrit dans un cinéma de polar français qui ne plaît pas, ou ne plaît plus.


Et qui a presque disparu.
Oui, et en plus ceux qui nous tapent dessus, c'est les mêmes que sur Pour Elle. C'est des gens qui ne reprocheraient pas ça si le même film était signé par un américain. Quand Aurélien Ferenzci nous tape sur les rues et les stations de métro, qu'il aille à New York pour voir ! Moi je ne me pose pas la question de savoir par où passe le héros. C'est dommage, mais bon, je vais continuer dans le même sens. Mes films préférés ne sont pas des films où les scénarios sont extraordinaires.


Quels films par exemple ?
Apocalypto
. C'est un film que j'ai pris dans la gueule. J'ai vécu un de ces trucs... A partir du moment ou ils sont attachés, qu'ils traversent la forêt et qu'ils arrivent dans la cité, avec la cérémonie, il y a 35 minutes où je suis sans mot. Je veux faire ça. C'est chaud en France, mais je veux faire ça. Le script est super serré, linéaire, même un peu con, c'est un survival. Il y a une dimension sur la violence, un peu légère, mais qui est là. Voilà ce que je prends dans la gueule au cinéma. Inception, je trouve ça canon, brillant, mais je ne le prends pas pareil. Pourtant c'est très écrit, mais la distance est plus forte. J'aime bien être dedans. Ce qu'on essaie de faire avec Fred, c'est "être dedans", ce que je vivais gamin.

Pour Elle
Pour Elle


Aux Etats-Unis le scénario est considéré comme un simple outil, on sait que ce n'est pas l'oeuvre finale, alors qu'en France il se doit presque d'être une oeuvre en soi qui doit être jugée avant le film.
C'est une connerie. Moi ça ne me dérange pas du tout de savoir que ce que je fais est transitoire. C'est un outil pour faire un film. Je ne suis pas l'artiste qui signe le film.


Cavayé a dit qu'il y avait eu plus de 60 versions du scénario d'A Bout Portant...
Au final oui, mais dès fois il y a deux heures de travail entre deux versions (rires). Il y a eu beaucoup de coupes. On est parti d'un matériel énorme au départ, et plus ça va plus on enlève des trucs. Pour régler l'acte 3, ça a été une tannée. En même temps ce n'est pas trois ans d'écriture. C'est moins d'un an.


L'idée de demander à des jeunes de foutre le bordel est de qui ?
C'est de moi ! C'est une idée dont je suis très fier. Saturer un commissariat en faisant appel à plein de milieux (gitans, reubeus...), c'est une idée que je trouve géniale (rires). Enfin c'est très prétentieux ce que je viens de dire, mais en tout cas j'en suis très content. En plus j'avais un petit stress : la course poursuite est écrite, au milieu du film on a un petit morceau de bravoure qui est pas mal, mais l'acte 3 est assez théorique... Sur le papier, tu te dis : Ok, trois narrations en même temps, on met le bazar dans le commissariat, faut retourner Paris. Tu te demandes : ça va le faire ou pas ?


Gaumont a tout de suite été OK pour ce passage ?
Oui, chez Gaumont ils ont été super cools. Ils ont fait confiance à Fred à 100%.


Le foutoir reste finalement assez suggéré. C'était voulu dès le départ ?
Ça se passe principalement par des écrans vidéos. Sur certaines versions tout était écrit : des mecs tirent dans une banque, etc. Au final, c'est une contrainte technique. On a fait un travail sur le son, avec en plus tous ces écrans de contrôle, et je trouve que l'ambiance dans ce commissariat fonctionne. Fred a un super chef op', et un putain de monteur : Benjamin Weill, un petit génie. Ils ont fait un taf entre le montage et le mix… On dirait qu'ils ont rajouté mille personnes à l'image !


Car lorsqu'on sort du film, on se dit que c'était l'apocalypse, mais si on regarde seulement les images, ça n'est pas si ample que ça.
Oui, il n'y a pas plus de 50 ou 80 figurants en même temps.


Et donc tu fais totalement confiance au réalisateur pour qu'il arrive à retranscrire ce que tu as écrit.
Tu n'as pas le choix. Moi je ne suis que scénariste.


Tu ne veux pas réaliser ?
Non pas du tout. Ça me sert, d'ailleurs, de ne pas vouloir l'être. Je ne fais pas d'ombre au réalisateur. Et en plus je crois vraiment que ce n'est pas mon taf. Je ne saurais pas le faire. Le découpage, c'est une grammaire dans laquelle je serais mal à l'aise. Mes scénarios sont découpés en séquences, mais à l'intérieur des séquences, pour moi c'est un autre langage. Intellectuellement je ne me sens pas compétent, mais en plus ça va me traîner dans une boulimie d'histoire qui doit avancer. Ça ne m'intéresse pas.


Pour Elle
Pour Elle


Tu n'as pas eu peur que le flashback ralentisse l'action ?
Si, en plus il est très long et il y a une sorte de double narration. C'est un moment que je n'aime pas, qui est trop condensé.


Vous n'avez pas essayé de le distiller ?
Non, on était dans l'urgence, et après on ré-enquille dans l'action. Donc il fallait se le coltiner. Ce sont quelques minutes qui font passer la pilule.


C'est un peu comme l'explication finale de Ne Le Dis A Personne.
La différence entre le film de Canet et le notre, c'est qu'eux sont dans l'acte 3. C'est la conclusion de tout son film. On s'assoit et on te raconte quelque chose. Pour en plus avoir dans la séquence d'après : "Ah non, tout ce qu'on t'a raconté pendant dix minutes c'est pas vrai, en fait la bonne version, c'est celle-là !". Le dernier acte est parlé, alors que tu as une course poursuite qui est géniale, qui a fait le succès du film. Mais il y a un acte 3 raconté. Il n'a pas assez amorcé la pompe avant parce qu'il n'a pas le temps, donc maintenant on s'assoit et on balance tout. Notre flashback est installé à un moment spécifique, mais quand même, c'était compliqué.


L'épilogue d'A Bout Portant est quelque chose qu'on voit beaucoup moins aujourd'hui, qu'on voyait plus dans les années 70.
Oui ça s'inscrit dans une certaine mythologie de films qu'aime Fred. Comme Le Samouraï, qui fait partie de ses films phares.


On prend le temps de finir l'histoire, de voir comment les personnages ont évolué...
Ça c'est important je trouve. J'aime bien qu'on paye tout, à tous les niveaux. Scénaristiquement pour le coup, je suis content de moi quand tout retombe sur ses pattes.


Suite et fin de cet entretien demain.




   

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