ITV - Guillaume Lemans [2/2]

Guillaume tells

Affiche Pour Elle

Après la première partie publiée hier, suite et fin de notre entretien avec le scénariste Guillaume Lemans.


Comment écris-tu ? Est-ce une gymnastique, tous les jours à la même heure ?

Oui. Je suis scénariste professionnel maintenant. J'ai des frais, trois enfants, c'est mon métier. C'est routinier.
Le moment le plus fun dans ma vie c'est quand Pour Elle sort, je n'étais pas encore sous les contrats, et là j'avais une vraie jouissance : tu as voulu faire du cinoche depuis que t'es môme, tu as un film, tu es content du film, il y a le remake... Ça c'était cool.
En ce moment je travaille beaucoup. C'est mon taf, je ne vais pas me plaindre. Mais c'est une vraie discipline : je suis sur mon écran à 9H00, tous les jours. Il y a des jours où je fais semblant, il ne va rien se passer, je vais être nul. Puis il y a des jours où ça va être très bien. J'arrête entre 16H et 19H. Et j'essaie de me mettre des nombres de pages à atteindre. Si je fais un traitement ou un séquencier, trois ou quatre c'est pas mal. Si je suis sur les dialogues, de sept à dix. Et plus ça va, plus je lis le matin et reprends ce que j'ai fait la veille. Je fais une petite pause déjeuner, et j'enchaîne la suite du scénario, comme si j'avais besoin de me remettre dedans.

Je suis fan de structure, et là où je suis le plus heureux, c'est quand je fais des traitements. Faire le film en 35 pages, c'est ce qui me plait le plus. Inventer l'histoire, la rythmer. Une fois que je sais comment elle finit, ça m'intéresse moins. Je pense aussi que c'est une manière de me défendre : plus il y a de versions du scénario, plus le réalisateur est dedans et moins j'y vais. Ça permet au réalisateur de prendre le film en mains, c'est lui qui tranche à la fin. Donc si je vais batailler sur la V6 ou la V7 du film, je vais le prendre dans la gueule. Parce que quoi qu'il se passe, j'en aurais une vision un poil différente.


Comment t'y prends-tu pour en arriver au traitement ?

J'ai des carnets partout, je prends des notes. Et au bout d'un moment, je sais au fond de moi que j'ai une attaque de film. Je ne pars pas sans certains points : le corps du film, un putain de rebond à un moment précis, ou une idée de séquence un peu visuelle.


Pour Elle
Pour Elle


Comment tu décides quel sujet ou idée mérite d'être développé ?
Ça dépend. Il y a mes sujets, qui reste ce que je préfère faire, et il y a ceux qu'on m'apporte quand on vient me chercher. Pour mes sujets, il y a un juste milieu entre une histoire que tu as envie de voir, peut-être une histoire qu'on a vue aux Etats-Unis mais pas chez nous, ou la fusionner avec autre chose.

D'ailleurs ça fait partie de mon taf, ce rapport au sujet. Mon truc ce n'est pas que de les écrire, c'est d'être dans le bon sujet. Le fait que Pour Elle soit remaké peut dire ça. Le sujet est simple, mais ça tombait juste, au bon moment, dans un style qui fait très français. Et les américains viennent le chercher en disant "Ça va marcher chez nous".

Donc c'est un mélange entre ce que j'ai lu et des influences diverses. Je pense que l'influence première de Pour Elle pourrait être L'Homme Qui Voulait Vivre Sa Vie. Ce n'est ni le film, ni le roman, mais à un moment il y a vingt-cinq pages quand le héros tue un homme, on est dans sa tête, c'est vingt-cinq pages très fortes. Etre avec lui à ce moment-là, dans un état borderline… Plonger un personnage dans les conditions de l'enfer, j'aime bien ça.

Après, faut faire avec les gens qui financent, qui sont, pour moi, moins doués dans leur rapport au sujet. Et donc les nivellent. Il faut faire avec.


Quand on vient me chercher, tout dépend de qui vient, et ensuite il faut que je sente l'histoire. Aller sur le terrain d'un mec connu ou d'un réalisateur installé sans sentir l'histoire, si c'est pour flipper, je n'y vais pas. Bon ça ne m'est pas encore arrivé en même temps (rires).

L'un des films sur lequel je suis en ce moment c'est d'après Olivier Marchal. Là je suis sur son terrain, à 100% écrit par moi, mais c'est quand même un truc très "marchalesque" dans l'attaque. Donc mon problème, mon interrogation, c'est que ce n'est plus un personnage lambda, mais un flic trahi qui va passer à l'action, qui se lâche, et j'ai envie que ça dépote un peu quand même. Mais pour le coup j'ai vraiment galéré, j'en suis à six mois de développement. C'est beaucoup plus dur parce que t'es pas sur ton terrain, tu crois écrire ce que l'autre veut mais tu vas dans un direction opposée…


Par rapport aux personnages, c'était jusqu'ici l'homme de la rue qui se retrouve dans des situations qui le dépassent. Les héros de Pour Elle et A Bout Portant étaient écrits de sorte que leur métier les aidait au cours de l'histoire. Gilles Lelouche, c'est parce qu'il est infirmier qu'il guérit le fugitif et gagne sa confiance, il neutralise un flic avec les électrochocs…
Ce n'est pas forcément voulu. Ça coule de source à un moment de l'écriture. Le fait que Gilles recouse le mec, ce n'est pas parce qu'on s'est dit "Tiens, il est infirmier, on va se servir d'un de ses talents après". C'est pas comme ça qu'on procède, ou inconsciemment peut-être.

Ce qui est plus le cas dans Pour Elle. C'est un prof, et on avait toujours en tête l'idée qu'il n'a pas un talent spécifique qui peut l'aider, mais une manière d'appréhender le problème scolaire, appliquée, organisée. Il y a presque un rapport au bon élève, avec son tableau, ses notes…


D'ailleurs dans Pour Elle, le passage où il prépare son plan était cohérent par rapport au personnage, car extérieur à ce milieu, mais montrait surtout la complexité du monde du polar, on prenait conscience de ce qu'est affronter des flics ou des voyous.
C'est une énorme montagne à franchir, oui. Si on va se confronter à certaines personnes dans certains bars, on va se faire démonter la tête.


Or devant un film on a tendance à oublier que ce n'est pas si simple.
Il faut se débrouiller pour qu'au début du film, très vite, on soit lié au héros, et donc lié à la difficulté de son problème. Donc on use d'artifices sur les sentiments car c'est ce qui va le plus vite et qui est le plus universel pour que tout de suite il y ait une adhésion absolue. Le plaisir en est démultiplié. S'il faut intellectuellement vingt-cinq minutes pour créer le lien, c'est trop tard.


Pour Elle
Pour Elle


C'est la technique Hitchcock : un personnage normal dans une situation extraordinaire.
Qui fonctionne et qui est cool. On va essayer de faire d'autres choses aussi. Dans les projets que je développe, vu que je ne suis pas réalisateur on essaie de me faire reproduire un modèle. Et qui mine de rien fonctionnait.

Par exemple sur le projet pour Marchal, au fur et à mesure des versions le héros se retrouve lié à son gosse, alors qu'avant il était dans une mission sans rapport avec sa famille. Donc inconsciemment je reproduis un modèle. En même temps je suis scénariste, personne ne me connaît, c'est moins grave qu'un réalisateur qui viendrait signer un troisième film où le mec court pour sauver sa mère, sa tante… Ça ne passerait pas. Pour moi en tant que scénariste c'est pas grave.


C'est ce que disait Robert McKee, que lorsqu'on retravaille plusieurs fois un scénario, inconsciemment on vient à reproduire les mêmes axes. Est-ce que tu essaies de lutter contre ces réflexes ?
De combattre, oui et non. J'ai quand même pas beaucoup de films, pour le moment je vais essayer d'en faire plein et on verra.


Il y a des réalisateurs comme Carpenter qui font quasiment toujours le même film. Ça peut être intéressant de reprendre le même schéma et varier autour.
Oui. La thématique du mec qui court pour sauver ses proches, le lien au clan, le fait qu'on soit fidèle qu'à peu de gens, j'y retournerai. Il y a aussi le rapport au courage qui me fascine. Pour le moment j'essaie de mettre ça dans des situations qui créent les conditions de l'enfer, avec un type lambda, pour voir comment il réagit, qui survit ou pas, si on peut être lâche ou pas. Le courage c'est un truc de gamin peut-être, mais j'écris des rôles de héros…

Apocalypto
c'est pareil. C'est A Bout Portant : la mère et le gamin dans le puit, et le mari qui court ! Si je pouvais écrire ça… je vais faire A Bout Portant version Apocalypto (rires). J'en rêve. J'ai le sujet, le contexte, le réal…

Le groupe des 13 mené par Pascale Ferran a dit qu'après avoir argué pendant trente ans que le scénariste n'était pas nécessaire pour faire des films, le réalisateur "écrivant avec sa caméra", le cinéma français ne doit pas s'étonner de ne plus avoir beaucoup de bons scénaristes. Tu en penses quoi ?
Si les scénaristes veulent devenir réalisateur, c'est parce qu'ils ne sont pas super bien traités. Moi j'ai quatre films en même temps parce que j'y suis obligé. Si j'en ai qu'un, je suis protégé de rien : je peux dégager du jour au lendemain, il faut composer avec des personnalités fortes, égotiques…

Et je ne suis pas mal loti, car je suis tout jeune, j'ai pas mal de film à mon actif par rapport à mon âge, donc en général on m'accueille bien. Pour Elle et A Bout Portant sont bien reçus, donc ça devrait aller même si le système n'est pas terrible.

Le budget de développement d'un scénario aux Etats-Unis n'est pas le même. Nous, on tourne autour de 2% du coût du film, aux USA ils sont entre 7 et 8, de temps en temps 10%. C'est pas la même chose. 2% du coût du film c'est son histoire… C'est misérable.


A Bout Portant
A Bout Portant


Tu penses qu'il y a des scénarios qui peuvent s'écrire vite ?
Bien sûr, oui. Le jour où j'ai l'accord d'une chaîne ou d'un studio pour un film d'action avec peu d'argent, 4 ou 5 millions d'euros, donc d'une durée de 1H25, 1H30, je peux faire une V1 en un mois et demi. J'y pense depuis longtemps, donc je serai prêt, et ce ne sera pas bavard, ce sera à coups de poing. Mais avec la bonne idée, le bon concept, une corrélation intelligente entre ce que tu vas écrire et ce qu'on sait faire ou ce qu'on peut payer, tu peux écrire un truc très vite. Après ce sera peut-être mal écrit s'il y a des délais trop chauds.

Je sais que sur Un Prophète, qui m'en a mis plein la gueule, Abdel Raouf Dafri, le scénariste de Mesrine et La Commune, a écrit une première version avec Nicolas Peufaillit. Ensuite Audiard et Thomas Bidegain se sont enfermés quatre mois pour sortir un traitement de trente pages. Donc voilà, faut aussi prendre le temps de bien penser les choses…


Comme Pixar qui peut passer plus de cinq ans sur un script.
Les réunions d'écriture chez Pixar, jamais de la vie j'y mettrai les pieds parce que t'as les meilleurs des meilleurs qui se réunissent dans la même pièce pour se balancer des idées jugées dans la foulée par quinze personnes. Ça me tue.

Quand je vois Toy Story 3, je me dis "Tu vas chialer, arrête tes conneries, c'est un dessin animé !". Et leurs réunions c'est des femmes de cinquante piges qui te lancent des idées de dingues. La fin de Monstres Et Cie, la course poursuite à travers les portes, c'est du génie absolu. Et entièrement écrit ! C'est démentiel.


Ce genre d'idées est encouragé.
Oui. Je pense qu'ils ont un rapport différent avec la fiction et l'imagination. Par exemple, au collège et lycée, on m'a demandé une seule fois d'imaginer une nouvelle. Nous faisons des dissertations sur des sujets, eux ont une approche culturelle de la fiction, ils passent leur temps à se raconter des histoires, donc forcément ils ont un temps d'avance sur la narration. A l'arrivée, tu vois leurs séries télé, comme The Wire, tu te dis qu'il n'y a pas grand monde en France capable d'écrire ça.

Les étudiants en scénario de la FEMIS que je connais me disent qu'on leur demande en cour de sortir des trucs sur eux-mêmes, d'être dans l'auto-analyse. Pour moi ça n'a pas de sens. Tu vas sortir un scripte super intime, tu vas mettre ça dans les pattes d'un réal qui va avoir ta vie, tes problèmes avec ta mère…


Tu n'as pas envie de partir à Hollywood ?
Je ne suis pas réalisateur, donc en tant que scénariste, travailler avec l'anglais directement, c'est un autre matériel. Et puis il y a des complexes avec les auteurs américains (rires). Je vais aller sur le terrain où il n'y a que des cadors. J'ai encore beaucoup de choses à apprendre, mais je suis content de ce que je fais et de mes projets. Pour un réalisateur ça peut être une démarche intéressante, mais pas pour un scénariste qui parle mal anglais. En plus je crois que je n'ai même pas le droit d'écrire, avec leurs syndicats.

Ce que je ferais bien, et ce que je suis déjà en train de commencer à faire, c'est des films en anglais co-produits par les américains, mais faits en Europe. Il y a plein de projets comme ça. En fait, quand on veut faire un film d'action, on n'a pas plus de 12 millions. C'est difficile de péter les budgets. A plus de 10 millions, les mecs vont te dire : "Si le film cartonne, il est condamné à faire 1,5 millions d'entrées, donc on ne peut pas mettre beaucoup d'argent." Largo Winch, qui a coûté 20 millions d'euros, était une tannée à monter. Il faut chercher l'argent partout en Europe.

On a des projets, et on se dit "Ça ne suffirait pas". Ce n'est pas pour avoir plus de pyrotechnie, mais plus de monde, un peu plus d'action, avoir une putain de course de bagnoles. Ça coûte de 15 à 20 millions. C'est possible, en finançant ça en Europe, avec de l'argent américain. Les américains veulent des films qu'ils vont pouvoir vendre sur notre marché, en anglais. La seule contrainte, c'est de mélanger le français et l'anglais pour tourner avec des sujets européens, plus gros, et avec un casting qui ne serait pas du casting français, parce que c'est triste, on voit toujours les mêmes…


Sur les productions plus importantes il n'y a pas plus de regard sur le scénario ?
Pas encore. Après s'il y a des partenaires européens qui montent, on verra. C'est très théorique pour le moment et ceux qui initient ça sont français.

Eric Jehelmann, qui avait produit Pour Elle au sein de Fidélité et qui maintenant a monté sa boîte, s'associe avec LGM sur un projet que je leur ai proposé.

Studio Canal dit la même chose. Canal, qui paye les films français, veut du film qui ouvrirait sur un marché un poil plus grand. Peut-être que ça ne se fera pas mais pourquoi pas.


Les Trois Prochains Jours
Les Trois Prochains Jours


Tu as vu le remake de Pour Elle par Paul Haggis (Les Trois Prochains Jours) ?
Non pas encore. On n'a eu aucun lien, aucun contact ni de vision sur le scénario... Ça s'est fait simplement et sans nous. Voir la bande-annonce fait bizarre, on dirait que c'est vraiment pareil. Bon, le film est un bide monumental aux USA. Et chez nous c'est parti pour. Mais c'est cool d'avoir été remaké.


Tu vas donc continuer à œuvrer pour faire perdurer le cinéma de genre français ?
Parmi mes amis geeks il y a une ambiance qui dit "Voilà, le cinéma français, c'est pourri, pourri…". Il faut faire gaffe à ça. Effectivement on n'est pas gâté par plein de trucs, mais ça s'améliore.

Nous sommes plusieurs à arriver avec les mêmes envies, les mêmes références, on a tous le même âge, on est tous de la même génération. Les producteurs qui sont en place ont notre âge, les financiers aussi mais ils font chier parce que ce ne sont pas vraiment des fans de cinéma, ils n'ont pas eu les émotions qu'on a eu gamin quand on a pris Star Wars dans la tête. Ou différemment.
Mais d'un point de vue générationnel il se passe vraiment un truc et je veux continuer à faire du genre. On peut faire du genre grand public, je pense que c'est possible. En trichant un peu.


Merci à Hélène et à Guillaume pour sa disponibilité.




   

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