Spider-Man Trilogy - 1ère partie

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Affiche Spider-Man

Le fait que Sam Raimi ait pu prendre en main les rênes du destin de Spider-Man pendant trois films est une anomalie dont les immenses qualités et les nombreuses déconvenues en matière d’adaptation de comics qui ont suivi ne nous ont pourtant pas permis de mesurer pleinement la portée.


Parler de cas exceptionnel qui n’est pas prêt de survenir de nouveau n’est même pas faire injure à Guillermo Del Toro, Joe Johnston, Matthew Vaughn, Bryan Singer ou Christopher Nolan. En effet, Spider-Man est un personnage éminemment célèbre dans le monde entier même hors de la sphère des amateurs de comic books, durablement intégré dans la pop culture mondiale et donc l’inconscient collectif. Ce qui est loin d’être le cas du héros de seconde zone Marvel Blade ou Hellboy issu des pages dessinées de main de maître par Mike Mignola. Del Toro en a tiré des films géniaux mais leur portée était d’emblée limitée de par l’impact populaire restreint préexistant aux films.

Tout comme le Kick-Ass de Matthew Vaughn, adaptation percutante du comic book éponyme de Mark Millar et John Romita Jr. Les X-Men évoluent dans une plus large cours mais les indéniables qualités des opus signés Singer et dernièrement Vaughn (X-Men : Le Commencement) pâtissent de lourdeurs narratives et parfois d’incogruités. Le film de Joe Johnston dévolu à l’icône patriotique faite homme Captain America est celui qui s’en tire le mieux parmi l’avalanche de daubes commises par le studio Marvel même si Joe Johnston s’est montré plus à l’aise avec l’esthétique et la réflexion symbolique du personnage qu’avec son aspect purement roboratif et excitant (les combats sont assez vite expédiés et peu mémorables).
Superman jouit d’une popularité comparable, voire plus, à celle du Tisseur mais la version christique donnée par Singer (Superman Returns) propose une approche originale et cohérente avec le statut de sur-homme ultime du personnage mais est définitivement plombée par l’interprétation (le fade Brandon Routh, Spacey qui caricature Gene Hackman dans le film de Richard Donner sortant du lot) et le manque d’envergure des enjeux. Quant à Batman, le sombre héros de Gotham bénéficie également d’une large reconnaissance publique et si la saga de Nolan qui a pris fin dernièrement s’est avérée passionnante jusqu’à The Dark Knight, elle a toujours souffert d’un manque cruel d’émotion.

Spider-Man 2
 

Popularité, tourments, rythme effréné, actions trépidantes, romance, récit initiatique, édification d’une mythologie moderne… Autant d’éléments que l’on retrouve épars dans les réussites précédemment cités et que la trilogie de Raimi est parvenue à rassembler. Mais les trois films sont plus qu’un subtil alliage de ces principes puisqu’au final ils parviennent à fonder un récit à l’universalité exemplaire (qui ne tient pas seulement à l'absence de marquage temporel pour intégrer au mieux l’essence de la période Lee / Ditko du comic book). Les aspirations individuelles et leur assouvissement peuvent être accomplis sans nuire à autrui, à la collectivité. S’accomplir personnellement, briser la solitude conférée par ses pouvoirs tout en se confrontant au désir de vengeance, la sensation de malédiction, sans l’être au détriment du bien collectif. Tel est l’équilibre difficile et fragile qui sera l’enjeu primordial de la trilogie et qui, au fond, caractérise en partie le cinéma de Raimi.

Spider-Man 2
 

La véritable réussite de Raimi, outre d’avoir livré de vraies adaptations de comics, référentielles certes, mais surtout respectueuses de l’esprit qui les a initiés, c’est d’être allé toujours plus crescendo dans l’action ainsi que dans la caractérisation des personnages et dans l’émotion.
Le plus étonnant dans ce cette trilogie ne sont pas seulement les séquences d’action absolument renversantes mais l’importance de la place accordée aux tourments personnels de Peter, Mary-Jane, Harry, Sandman, tante May… L’action est déterminée par des éléments narratifs purement émotionnels. Ce sont les sentiments des personnages qui les font avancer et les amène à prendre des décisions déterminantes par la suite. Les différents combats devenant alors les points culminants des fils narratifs tissés plus avant. Peter est d’abord mû par la volonté de sauver sa belle mais également de préserver l’unité de sa famille recomposée (sa tante, Harry, M.J, les figures paternelles fuyantes que sont Norman Osborn et Otto Octavius) sans cesse menacée par des dangers intimement liés à son alter-ego. Après tout, la "naissance" du bouffon vert est concomitante de la sienne, comme si l’émergence de ce puissant Yin entraînait celle d’un diabolique Yang, il assiste à celle de Doc Octopus et la transformation de Harry résulte du funeste affrontement avec son père. C’est vraiment dans Spider-Man 3 où les conséquences de ses choix personnels se feront le plus durement ressentir (la recherche obsessionnelle du véritable meurtrier de son oncle le coupera de Mary-Jane et l’amènera à suivre la voie d’une vendetta impitoyable), de manière exacerbée, comme si l’apparition du symbiote, en plus d’agir sur la psyché de Parker, contaminait tout le film. Les confrontations Peter / Harry deviennent alors encore plus dramatiques. Leur inimité naissante dans le premier opus, de part de l’affection prodiguée à Peter par son propre père, ne fera ainsi qu’empirer pour culminer dans les batailles du troisième film entre ces frères ennemis.

Spider-Man 3
 

Globalement, les combats de la saga traduisent, dans leur réalisation, l’assurance prise par Raimi à la tête de cette énorme franchise. Le réalisateur y affirme une maîtrise narrative toujours plus accrue, la mise à l’épreuve physique se voyant toujours plus intrinsèquement liée à la mise à l’épreuve morale et sentimentale de notre héros.
Dans le premier, c’est bien évidemment la séquence du téléphérique qui illustre littéralement le tiraillement de Peter entre ses sentiments pour M.J et les responsabilités conférées par son statut de justicier. Il parvient à rattraper tout le monde au prix d’un exploit physique éreintant mais l’immobilisant dangereusement puisqu’il est ainsi à la merci du Bouffon Vert. Le choix des cadrages, le découpage, le rythme, tout est ciselé pour nous faire ressentir le choix vertigineux auquel il est soumis.
Dans le second opus, c’est parfaitement symbolisé par la séquence du métro aérien qui est en outre le véritable climax du film car ce moment là représente le retour du super-héros en pleine possession de ses pouvoirs, et où la communion avec ceux qu’il s’échine à protéger est totale (position christique de son corps lorsqu’il est ramené par une nuée de mains anonymes à l’intérieur de la rame qu’il s’est épuisé à stopper). Visuellement et émotionnellement, la correspondance avec l’état de maîtrise de ses moyens par Sam Raimi est remarquable. La construction de l’affrontement entre Doc Ock et Spider-Man est électrisante, provoquant un summum d’excitation pour les rétines (sans doute LA scène d’action de la trilogie) : travelling avant, reflets dans les lunettes de Doc Octopus du Tisseur voltigeant vers lui, travelling arrière pour aboutir à un plan large à l’arrivée de Spidey dans le cadre occupé par son ennemi, rapidité des actions, fluidité des mouvements (des corps comme de la caméra), chute dans le vide, poursuite de la lutte dans les airs marquée par le brusque arrêt de la musique de Danny Elfman qui reprend à l’atterrissage sur le toit du métro (une suspension qui sera reprise dans l'opus 3 lorsque Spider-Man s’élance pour sauver Gwen Stacy tombant dans le vide, les notes s’interrompant le temps que le héros bondisse entre les débris du studio photo détruit par une grue incontrôlable et reprenant une fois qu’il l’a récupérée dans ses bras. Avec un effet dramatique ici décuplé puisque la pause sonore soulignera, accentuera même, le suspense), et l’affrontement reprenant de plus belle sur tout le volume de la rame (toit, intérieur, parois) pour finir par l’apothéose du super-héros arrêtant l’engin fou grâce à son corps. Spider-Man et Raimi sont au diapason pour nous faire vibrer.
Le sauvetage de Mary-Jane et Octavius (sa rédemption finale peut être considérée de la sorte) est certes moins intense mais réserve tout de même son lot de moments forts (sacrifice, révélation d’identité).

Spider-Man 2
 

Dans Spider-Man 3, le premier affrontement entre Peter et Harry en tant que New Goblin est d’une incroyable intensité dramaturgique puisque les amis de toujours en décousent à visage découvert. Le rythme est soutenu mais l’action toujours aussi virevoltante demeure extrêmement lisible. Raimi se permet en outre de redoubler les enjeux à venir avec un rebondissement lié à la bague de tante May que Peter compte offrir à Mary-Jane en guise de demande en mariage. Sa perte puis sa récupération in extremis au cours du combat fratricide créé un mini suspense au sein d’une séquence déjà peu avare en péripéties mais permet surtout de rappeler avec force à quel point l’amour de cette fille est le plus beau défi de Parker. Une séquence qui annonce au passage les difficultés à venir de Peter dans la préservation et la pérennisation de cet amour.
Cette symbiose entre les émotions et les morceaux de bravoure est à son comble avec ce numéro 3 où tout semble démultiplié, exacerbé, que ce soit les conflits moraux, sentimentaux ou physiques, venant ainsi conclure avec emphase et panache tout ce que Raimi a mis en place dans les deux épisodes précédents. Maintenant, plus rien n’est caché, étouffé, refoulé. Ressentiments, amour, vengeance, haine, désespoir, tout est exposé et se lit sur les visages la plupart du temps désormais démasqués. Les masques ne tombent pas seulement de manière métaphorique.
Au fur et à mesure de la trilogie, Peter Parker est amené de plus en plus fréquemment à retirer son masque, ou la détérioration de celui-ci révèle une large partie de son visage. Dans le dernier épisode, seuls les affrontements avec l’Homme-Sable se font dans la panoplie complète. Ce qui s'avère logique puisqu’ils ne se connaissent pas, leur antagonisme se limitant au départ à une basique confrontation entre voleur et redresseur de torts. Ce n’est que lors de la conclusion du climax que Peter ôtera son masque pour révéler à Flint Marko que l’homme qu’il a tué était son oncle. La connexion qui s’était d’abord effectué par les coups reçus et donnés s’opère maintenant par l’échange verbal apaisé.
Cette défiguration est ainsi plus conséquente à mesure que les actions de Peter et son alter-ego sont de plus en plus inextricablement liées dans leurs enjeux. Non pas que Raimi affirme implicitement son attachement à l’homme plutôt qu’au masque mais illustre que le masque fait partie de l’homme, s’y intégrant si bien qu’il s’efface. Soit le contraire de la symbiose forcée, tentée par la substance noire qui proposait davantage un effacement de l’homme au profit du masque.

Spider-Man 3
 

La double identité que forgent le costume et le masque n’a pas pour objectif de dissocier son existence civile mais de la protéger. Cette vie alternative de justicier est devenue une seconde nature, le costume une seconde peau (il porte sa tenue bariolée sous ses vêtements, et déteint dessus à la laverie, l’exemplaire suspendu dans sa penderie, le symbiote...).Dès lors se joue en creux au sein de la trilogie la question de l’identité. Le premier film répond à la question "Qui est-il ?". Il est Spider-Man comme l’énonce la voix-off de Peter après que ce dernier ait éconduit M.J, le film se clôturant sur le Tisseur se balançant au bout de son filin en hurlant son enthousiasme. Le deuxième s’attarde sur la question "Qui veut-il être ?". Un homme insouciant qui pourra jouir de la vie car dépourvu de pouvoir lui intimant de se mettre au service de la communauté ou bien d'assumer son rôle, son statut, au sacrifice de ses rêves ? Son choix initial n’est plus aussi définitif et Raimi va travailler profondément ce doute. Enfin le troisième correspond à l’interrogation "Que veut-il être ?". Un justicier solitaire englué dans l’adoration du public jusqu’à l’aveuglement ou un homme héroïque, certes doué de compétences exceptionnelles, attentif à la souffrance des autres, de ses proches ? Ce questionnement en trois phases aboutissant au final à la dissolution de son ego (matérialisé par le symbiote). On notera au passage les interrogations similaires jalonnant le parcours de Neo.

A suivre.


SPIDER-MAN

Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : David Koepp, Stan Lee, Steve Ditko
Production : Avi Arad, Grant Curtis, Laura Ziskin…
Photo : Don Burgess
Montage : Arthur Coburn & Bob Murawski
Bande originale : Danny Elfman
Origine : USA
Durée : 2h01
Sortie française : 12 juin 2002

SPIDER-MAN 2

Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : Alvin Sargent, Alfred Gough, Miles Millar, Michael Chabon, Stan Lee, Steve Ditko
Production : Avi Arad, Grant Curtis, Laura Ziskin, Kevin Feige…
Photo : Bill Pope
Montage : Bob Murawski
Bande originale : Christopher Young & Danny Elfman
Origine : USA
Durée : 2h07
Sortie française : 14 juillet 2004

SPIDER-MAN 3

Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : Alvin Sargent, Sam Raimi, Ivan Raimi ; Stan Lee, Steve Ditko
Production : Avi Arad, Grant Curtis, Laura Ziskin, Kevin Feige…
Photo : Bill Pope
Montage : Bob Murawski
Bande originale : Christopher Young
Origine : USA
Durée : 2h19
Sortie française : 1er Mai 2007




   

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