Kick-Ass
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- Critique par Nicolas Zugasti le 30 avril 2010
Superbad-ass
Quand des adulescents échappés de l’apatow-verse se mettent en tête d’assouvir leurs désirs lubriques et ludiques, cela donne rien de moins qu’un des meilleurs film de héros costumés, détournant avec bonheur le Spider-Man de Raimi pour enterrer sans mal le Watchmen de Snyder en termes de maturité et de cinégénie.
Mais quitte à comparer Kick-Ass et Watchmen autant envisager plutôt le chef-d’oeuvre écrit par Alan Moore et dessiné par Dave Gibbons. En effet, les deux œuvres sont animées par la même volonté de démythification des divinités modernes que sont les super-héros en s’interrogeant notamment sur la place à accorder dans la société à ces vigilantes masqués peuplant habituellement les pages des illustrés pour gamins attardés. Délaissant les brillantes réflexions de Moore sur la temporalité (intégration, influence, perception…). Kick-Ass préfère l’immédiate contemporanéité d’un citoyen lambda dénué de toutes capacités surhumaines mais pourtant motivé à faire comme ses héros de papier et venir en aide à son prochain. Et qu’il ne détienne aucun pouvoir ne pose pas le moindre problème à Dave Lizewski même si son parcours initiatique lui apportera autant de meurtrissures physiques que de renommée par sa confrontation avec le trafiquant Franck D'Amico (excellent Mark Strong qui se montre aussi drôle que glaçant, notamment lorsqu'il abat en pleine rue un copycat de Kick-Ass) et dont le fils (Christopher Mintz-Plasse, McLovin en personne !) rêve d'intégrer pour de bon l'empire du crime. Deux trajectoires inversées qui s'opposent dans leur moralité (l'un cherchant à s'épanouir en faisant le bien, l'autre le mal) et qui s'articulent autour d'une figure paternelle absente (littéralement concernant le père amorphe de Dave).
GÉNÉRATION HITS
Contrairement à Snyder, Matthew Vaughn se fend d’un véritable et nécessaire travail d’adaptation du comic book originel. On pourra avancer que ce travail a été plus ou moins imposé par le fait qu’au moment de la mise en chantier du film seuls quatre épisodes (sur les huit composant la mini-série) étaient parus mais si Vaughn respecte la structure de la BD, il ne se borne pas à une reproduction méticuleuse et stérile des cases de John Romita Jr. Il s’affranchit même du récit imaginé par Mark Millar (auteur des blockbusters Ultimates, Wolverine: Enemy Of The State / Agent Of S.H.I.E.L.D et de l’incroyablement nihiliste Wanted qui n’a strictement rien à voir avec le film) se le réappropriant complètement par le détournement d’images marquantes d’autres comic book movies tels que Superman, X-Men et bien entendu Spider-Man.
Kick-Ass, alors qu’il développe un univers antinomique à ceux précédemment abordés par Matthew Vaughn dans Layer Cake (le monde criminel de trafiquants de drogue britanniques) et Stardust (le conte de fée), en retrouve pourtant l’essence et leurs thématiques profondes. Car quel que soit le genre abordé, il s’agit toujours pour le héros ou le anti-héros de questionner son désir de conformisme (appartenir à un groupe ou une communauté) en respectant ses codes (qu’ils concernent la conclusion d’un deal ou la séduction d’une jeune fille de bonne famille) tout en ménageant son individualité (faire des affaires dans le milieu non pas pour accéder au trône mais réunir suffisamment de fric pour s’éclipser définitivement, tout faire pour tenir sa promesse de rapporter une étoile tombée sur Terre à sa bien-aimée). Dans ces deux films, le récit va amener le protagoniste principal à pénétrer dans un milieu aux repères différents (arnaques et règlements de compte sanglants pour Layer Cake, magie et délires impossibles pour Stardust) et pourtant consubstantiel du sien. Kick-Ass se déploie dans le même genre d’interactions entre deux univers à priori divergents et où là encore le héros, ici Dave Lizewski, en assurera la jonction. Propulsant aussi bien un lycéen dans le monde rêvé des comic books qu’il attirera une héroïne de bande-dessinée dans la réalité.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, aucun gros studio n’était prêt miser sur cette adaptation, obligeant Vaughn à se démener pour réunir les trente millions de dollars de budget. Une indépendance synonyme de liberté artistique totale, le réalisateur pouvant se donner à fond dans des séquences d’action aussi énergiques que violentes et faire reposer en partie le métrage sur un duo aussi dérangeant que Big Daddy (Nicolas Cage épatant en Adam West psychotique) et sa fille chérie de onze ans Hit Girl (Chloé Moretz, LA révélation du film) qui jure et découpe du malfrat à tour de bras. Une violence extrême jamais complaisante car les coups font bien plus mal que mâle et qui détonne d’autant plus qu’elle rythme un récit où les maladresses de Dave sont un contrepoint comique à sa solitude sociale (et que son alter-ego comblera partiellement grâce au nombre croissant de ses amis sur son profil MySpace).
Le film étonne vraiment par les ruptures de ton que ce soit d’une scène à l’autre ou carrément d’un plan à un autre. Voir le montage alterné de la première mission de Kick-Ass (le sauvetage d’un chat perdu) et de trois voyous poursuivant un homme apeuré où le drame à l’œuvre et même le régime d’image sont différents, jusqu’au télescopage inévitable. Une volonté de faire se confronter le réel et le fantasme que l’on retrouve au sein de scènes plus légères en apparence comme lorsque notre héros passe par la fenêtre de la chambre de Kate, la dulcinée de Dave, mais dont la présentation tonitruante est couverte par le bruit de son sèche-cheveux. Kate qui est prise de panique en apercevant cet intrus et qui lui aspergera abondamment le visage de laque.
Au fond, il importe autant de faire entrer les super-héros dans le monde réel que de traduire le plus justement possible les émois adolescents sur grand écran. Une gageure à laquelle parvient avec pertinence le film de Greg Mottola, SuperGrave. L’errance nocturne de parias sociaux recherchant en façade à s’intégrer dans la communauté et à tomber les filles (ce qui ce résume pour eux à organiser la plus grosse fête de fin de cycle de l’histoire des fêtes des fins de cycle et à tirer enfin un coup) se transformait en rite initiatique les menant à envisager des préoccupations adultes sans pour autant renier ce qui constituait jusque là leurs liens d’amitié et d’amour platonique entre potes. A ce titre, voir la formidable conclusion dans le centre commercial qui parvenait à se montrer aussi poignante que surprenante compte-tenu des développement (et errements des héros) antérieurs qui mariaient avec entrain les situations gravelo-comico-débiles. Kick-Ass, c’est exactement ce traitement appliqué au monde super-héroïque ou plutôt au monde des fans de comics puisqu’ici personne n’est doté de super pouvoirs.
TOMBER LES MEUFS
La scène introductive (visible dans la bande-annonce donc je ne dévoile rien) donne le ton, un jeune homme engoncé dans un costume de super-héros ailé se jette dans le vide sous les yeux de badauds extatiques anticipant de le voir redresser au dernier moment sa chute et les survoler. Sauf que l’apprenti justicier se fracasse durement sur le toit d’un taxi. La voix-off qui nous accompagnait jusque là précisant que le nouveau cadavre souffrait de troubles psychologiques. Une première séquence annonçant ce qui articulera le métrage, soit la violente discordance entre le fantasme et la réalité d’un jeune garçon désaxé. A la différence que Dave a conscience de ses limites et de la frontière insurpassable entre son univers de geek introverti et celui des tueurs, qu’ils soient encapés ou non. Une frontière aussi bien symbolique que physique puisque l’on verra à plusieurs reprises Kick-Ass hésiter au moment de franchir littéralement le pas pour sauter d’un toit à un autre, ce refus le plus emblématique intervenant peu après avoir été sauvé par Hit Girl et son Big Daddy puisqu’au lieu de les suivre il préférera se détourner.
Mais de ses capacités (très) limitées à affronter le danger bien réel d’y passer (voir sa première intervention) ou de demeurer insignifiant aux yeux de la plus belle fille du lycée, Dave n’en a cure et persévèrera dans sa volonté de transcender sa double condition de paria, incapable d’embrasser pleinement la carrière de justicier comme plus prosaïquement l’élue de son cœur. Il ira jusqu’à assumer deux identités secrètes, celle de Kick-Ass et celle de meilleur ami gay afin d’être enfin autre chose qu’un prétendant insignifiant (à noter que Kate assume elle aussi une identité secrète puisqu’elle donne un coup de main dans un centre de désintoxication sans qu’aucun de ses amis ne soit au courant). Un enjeu majeur à la difficulté extrême pour Dave, concilier ses nouvelles responsabilités et sa frivolité.
Il y parviendra au terme d’une séquence aussi cruciale pour le puceau que drôle pour le spectateur où Dave démasqué joint ses lèvres à celles de Kate et pelote enfin ses seins. Autrement dit, ce que l’on ne verra jamais faire Peter Parker à Mary Jane. C’est là aussi que réside l’intérêt, le génie même, de Kick-Ass, dans ce détournement perpétuel de Spider-Man, jusqu’à passer les véritables intentions de Parker envers M.J au révélateur de SuperGrave. Dave et Peter partagent les mêmes frustrations envers la gent féminine et découvrent leur corps dans l’intimité de leur chambre, les sécrétions corporelles de l’un finissant dans un kleenex tandis que celles de l’autre constituent une toile arachnéenne dont il tapissera son antre. Depuis les films du gang Apatow et leur série Freaks And Geeks, la perception du geek a changé. Il n’est plus ce binoclard asexué replié sur son monde. Il n’y a que Cyprien avec Elie Seimoun pour entretenir une vision caricaturale et débile. Désormais, il exprime un désir de sociabilisation mais sans pour autant renier sa singularité.
Comme le dit très justement Stéphane Moïssakis dans sa critique parue dans le numéro d’avril du magazine dont on ne peut plus dire le nom sans risquer un procès, Kick-Ass propose une vision juste et pertinente de l’Art Geek.
Mais il propose aussi la plus authentique radiographie d’une jeunesses contemporaine (et pas seulement américaine) partageant naturellement son existence entre des contingences effectives ou virtuelles, Internet étant à la fois un refuge affectif (les réseaux sociaux type MySpace ou Facebook) et une alternative à une réalité décevante en termes culturels et informationnel. Attention, il ne s’agit pas d’apposer au film une interprétation sociologique de bazar.
Sans s’étendre outre mesure, Vaughn définit les contours de cet environnement au travers d’images fortes et marquantes telle la mise en abyme opérée par le comic book racontant les exploits de Kick-Ass, lui-même inspiré dans la réalité diégétique par les comic books que nous feuilletons nous-mêmes, comme le film est lui-même l’adaptation d’un comic book publié dans notre réalité. Ou comme ces jeunes gens assistant derrière la vitre d’un fast food à la première apparition publique de Kick-Ass, tous "armés" de leur portables pour immortaliser cet événement (et le mettre en ligne sur YouTube), une image aussi puissante que dans Cloverfield lorsqu’après la première vague de panique, des jeunes gens se regroupent autour de la tête de la statue de la liberté gisant sur le bitume afin de la photographier avec leur portable.
Mais le paroxysme de cette représentation est atteint au cours de LA séquence dantesque du film qui débute par un pastiche des prises d'otage filmées sur les théâtres d'opérations (Afghanistan, Irak) où les hommes cagoulés de D'Amico se livrent à une intense séance de passage à tabac puis vire au massacre extatique en mode FPS et se conclut de manière aussi outragée que bouleversante. Sans en dévoiler d'avantage, décrivons seulement que la télé se fend à ce moment là d'un bulletin spécial annonçant la révélation en direct de l'identité de Kick-Ass, attirant immédiatement tous les regards sauf que la cité va être le témoin du défonçage de gueule du héros. Des images insoutenables qui seront interrompues tardivement, les téléspectateurs retrouvant momentanément leurs esprits après ce déluge de violence hypnotique pour se replonger illico dans cette horreur en se connectant au réseau (c'est le média putassier qui informera de cette possibilité de suivre l'action). Vaughn soulignant au passage la perception déréalisée d'un tel événement, simple film d'horreur pour les uns (avec le corollaire de la fille se blottissant dans les bras) quand la petite amie de Dave seule devant son écran est complètement effondrée.
On a sans doute un peu rapidement comparé Kick-Ass à Kill Bill dont le rapport à la violence diffère, plus parodique dans le volume I. Par contre, Vaughn marche bien sur les traces de Tarantino dans l’utilisation qu’il fait de morceaux de musique pour illustrer ou souligner la scène qu’ils accompagnent. Ce n’est pas seulement parce que le britannique utilise la musique de Et Pour Quelques Dollars De Plus d'Ennio Morricone lorsque Hit-Girl déguisée en écolière à socquettes pénètre dans le hall de l’hôtel du gangster Franck D’Amico. Et ce n’est pas le moindre des plaisirs de ce film.
KICK ASS
Réalisateur : Matthew Vaughn
Scénario : Jane Goldman, Matthew Vaughn d’après un comic-book de Mark Millar et John Romita Jr
Producteurs : Adam Bohling, Brad Pitt, Matthew Vaughn, Mark Millar, John Romita Jr…
Photo : Ben Davis
Montage : Eddie Hamilton & John Harris
Bande originale : Ilan Eshkeri & Henry Jackman
Origine : Etats-Unis, Angleterre
Durée : 1h57
Sortie française : 21 avril 2010