Spider-Man Trilogy - 2ème partie
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- Analyse par Nicolas Zugasti le 21 août 2012
Arachné juvénile
Outre la progression dans la quête identitaire de Peter Parker (voir la première partie), la trilogie de Sam Raimi illustre son évolution vers une plus grande maturité. En tant que héros bien sûr mais surtout en tant qu’individu.
Ainsi, la premier épisode peut être considéré comme le stade de l’enfance avec passage de la puberté (corps se transformant, sécrétion d’une substance translucide et gluante…). Il découvre ses nouveaux pouvoirs, les teste et au final accepte avec enthousiasme sa nouvelle vie malgré les choix douloureux que cela engendre (rejet de Mary-Jane, pour son bien, alors qu’il était enfin parvenu à la séduire), la séquence finale de voltige dans Manhattan concluant le film après celle plus grave du cimetière.
Spider-Man 2 correspond lui à l’adolescence. Ce film représente d’ailleurs parfaitement le seuil entre deux âges : on est plus tout à fait dans l’enfance (la subtile évolution apparaissant dans la reprise et le détournement de scènes du premier : le baiser renversé, schizophrénie naissante du fils Osborn, Peter tentant de réactiver ses pouvoirs sur les toits renvoyant aux essais effectués sur un lieu similaire dans le premier) et c’est l’heure des choix. Ceci étant d’ailleurs valable pour tous les personnages principaux.
Et bien évidemment, cet âge ingrat s’exprime aussi par une certaine tendance à la rébellion. Peter craint de passer à côté de sa vie, ne veut pas que sa reconnaissance professionnelle comme personnelle dépendent de Spider-Man. Par conséquent, il perd ses pouvoirs à la suite d’un blocage psychologique et tente de soumettre à J. Jonah Jameson, l’irascible patron du Daily Bugle, d’autres clichés que ceux attendus de la menace costumée avant de se résoudre à contre cœur, et sous pression de la deadline, à lui tendre une photo de l’homme-araignée.
Enfin, le troisième est la dure confrontation de Peter et M. J. avec le monde des adultes. Pas seulement parce qu’il est question de mariage, d’engagement donc, mais bien parce que les difficultés de la vie auxquelles ils sont soumis (chômage, perte du rôle de premier plan de Mary-Jane obligée de revoir son ambition à la baisse et d’officier désormais comme serveuse / chanteuse dans un bar jazzy, le désir de vengeance de Peter…) vont mettre à mal leur unité. Le temps de l’innocence, puis celui de l’insouciance sont bel et bien révolus. De ces épreuves, Peter en sortira grandi et y trouvera une forme d’accomplissement. Soit une élévation en trois actes pour se montrer digne des superpouvoirs acquis (à grands pouvoirs, grandes responsabilités).
Car il ne suffit pas d’assumer ce nouveau statut mais également accepter de sacrifier une partie de sa vie privée, intime. En outre, tout au long de la trilogie, Raimi démontre que ce ne sont pas les pouvoirs conférés par une morsure d’araignée génétiquement modifiée ou le costume qui font le héros. Cependant, une fois cette offrande, cette malédiction, reçue, il convient de ne pas se détourner des implications morales induites. C’est notablement marquant dans le numéro 2 où le réalisateur montre que sa transformation, sa mutation a révélé en fait sa nature profonde. Malgré ses pouvoirs en sommeil, il se précipite dans un immeuble en flammes pour sauver une fillette. Il est donc capable d’accomplir de grandes choses même en tant qu’humain lambda. Mais il aurait pu faire plus encore si seulement il ne rejetait pas ce don puisqu’un homme est resté coincé et mort dans l’incendie, ainsi que le souligne le dialogue entre deux pompiers entendu par Peter peu après son acte de bravoure. Une leçon implacable est donc ici assénée.
Et dans ce cheminement qui conduira Peter vers sa métamorphose en héros total, il doit en passer par la confrontation avec sa part d’ombre. Une confrontation déclinée en plusieurs motifs qui exsudent ce qui caractérise généralement les films d’horreur / terreur, la réapparition des profondeurs du subconscient de tout ce qui est de l’ordre du refoulé. Que ce soit des actions passées, des sentiments contrariés ou carrément des pulsions (amour / haine / mort...).
Darkman est souvent considéré comme la version torturée, exacerbée de ce que sera le plus lumineux Spider-Man. Une assertion à la fois réductrice pour ces deux œuvres et inexacte puisque Sam Raimi développe et n’oblitère jamais la noirceur de Peter Parker tout au long de son périple.
Très attaché à la période dite classique du super-héros, celle de la paire Stan Lee / Steve Ditko, Raimi s’est vu imposé par Avi Arad la double présence du symbiote Vénom, un bad guy moderne. Malgré tout, Raimi s’en est remarquablement tiré puisqu’il n’a pas fait de la substance noire un déclencheur de la noirceur du Tisseur mais un amplificateur de ses plus noirs instincts. Car même sans l’adjonction de cette créature, ce film aurait sans problème conservé son titre d’épisode le plus sombre de la saga, la révélation de l’identité du véritable meurtrier de son oncle Ben entraînant Peter sur les rives de la vengeance aveugle et obsessionnelle. Une fois de plus, cet épisode ne fait qu’accentuer ce qui a été défini dans les précédents, la noirceur de notre héros étant ainsi en germe depuis les débuts.
Dans le premier, il est indirectement responsable de la mort du voleur présumé meurtrier de son oncle. Il ne le pousse pas de ses mains à travers la fenêtre mais c’est en s’approchant vers lui de manière menaçante que ce dernier perd l’équilibre de peur et bascule. Même là il aurait pu le sauver d’un jet de toile mais il le regarde s’écraser au sol. Dans le deuxième, alors qu’il redécouvre la vie sans pouvoir, il se détourne sciemment d’un homme se faisant passer à tabac à l’entrée d’une ruelle. Evidemment, le trois va multiplier les basculements vers le côté obscur (paré de son costume noir d’ébène, ses actions sont plus violentes, plus agressives que ce soit envers le tragique Homme-sable ou Harry qu’il défigurera) avec en point d’orgue le tango lascif entrepris avec Gwen Stacy dans le bar où elle chante alors qu’elle vient juste de monter sur scène. Illustrant là une véritable cohérence dans la progression narrative de son récit.
De la noirceur à l’horreur il n’y a souvent qu’un pas que Raimi franchi à plusieurs reprises, rappelant qu’il est issu du genre horrifique : la séquence infernale de la prière de May et apparition dans les flammes du Bouffon Vert, les tentacules d’Octopus s’animant et tuant les chirurgiens, le Symbiote...
Le costume noir offre l’image saisissante d’une version obscure de la silhouette bariolée bien connue, voire même effrayante comme sur les clichés pris par Peter immortalisant des postures plus agressives qu’à l’accoutumée. Un véritable doppelgänger, un double maléfique. Une dualité avec laquelle va jouer Sam Raimi qui va multiplier ce genre de doubles au sein de ce troisième film. Eddie Brock en photographe arriviste tentant de s’imposer au Bugle en lieu et place de Peter, Gwen Stacy est une potentielle rivale de M.J, Sandman aussi doit faire face à de grandes responsabilités (il n’y en a sans doute pas de plus grande que d’être père et prendre soin de sa famille et son enfant) même si pour y faire face il empruntera une voie illégale, le costume noir bien sûr…
Mais les reflets inversés et / ou déformés de personnages et motifs ne sont pas exclusifs à ce film puisqu’on les retrouve déjà disséminés dans les deux autres. De manière moins ostentatoire mais tout de même marquée. C’est d’ailleurs plus un jeu de correspondance entre des scènes similaires reprises d’un film à l’autre comme un écho ou une infime variation à la première version. La reprise du baiser inversé dans le deux où M. J. s’essaye à une posture similaire avec le fiston Jameson est un élément déterminent de son choix à venir puisqu’au vu de sa moue finale, elle n’a pas retrouvé le vertige initial. La scène du premier opus où Peter expérimente ses pouvoirs sur les toits pour aboutir à son emplâtrage pleine poire du mur du bâtiment d’en face est rejoué dans la suite lorsqu’il est décidé à retrouver ses pouvoirs après sa conversation avec sa tante May. Là aussi il finira par embrasser les briques sauf qu’ici ce n’est plus par manque d’expérience. Dans le seul premier film, le deuil est omniprésent et l’on retrouve deux scènes d’enterrement se répondant, celui de son oncle Ben et celui du père d’Harry, tous deux morts sinon par sa faute du moins consécutivement à son action ou inaction.
Enfin, le troisième film est un véritable miroir déformant des deux premiers. Le baiser la tête à l’envers y est reproduit de manière artificielle avec Gwen et pervertit le moment magique partagé entre Peter et M. J., le combat dans le métro souterrain contre Sandman est aussi âpre que celui sur le métro aérien contre Octopus était virevoltant. Surtout, ce n’est plus du tout le même esprit qui anime Peter, pas de belle à retrouver et de passagers à sauver mais un ennemi à anéantir. L’alliance proposée à Spider-Man par le Bouffon Vert pour dominer la ville est cette fois-ci faite par Peter à Harry pour tenter de sauver Mary-Jane. Ou encore la façon de marcher de Peter après qu’il ait choisi de ne plus être Spider-Man le fait se mouvoir de manière libérée, joyeuse mais est diminué car, sans pouvoir, il trébuche et doit remettre ses lunettes. Dans le trois son côté "dark" le fait se déhancher outrageusement dans la rue, là aussi libéré du poids des responsabilités pas parce qu’il récuse son don mais parce qu’il est décidé à en profiter à fond.
Le retour vers la lumière ne pourra se faire qu’au prix d’une prise de conscience de ses actes, par la réconciliation avec des valeurs bafouées qui le conduiront à l’apaisement puis au pardon. Un retour en grâce qui ne sera possible qu’au travers des liens unissant Peter à Mary-Jane, véritable balise affective de toute la saga.
A suivre.
SPIDER-MAN
Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : David Koepp, Stan Lee, Steve Ditko
Production : Avi Arad, Grant Curtis, Laura Ziskin…
Photo : Don Burgess
Montage : Arthur Coburn & Bob Murawski
Bande originale : Danny Elfman
Origine : USA
Durée : 2h01
Sortie française : 12 juin 2002
SPIDER-MAN 2
Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : Alvin Sargent, Alfred Gough, Miles Millar, Michael Chabon, Stan Lee, Steve Ditko
Production : Avi Arad, Grant Curtis, Laura Ziskin, Kevin Feige…
Photo : Bill Pope
Montage : Bob Murawski
Bande originale : Christopher Young & Danny Elfman
Origine : USA
Durée : 2h07
Sortie française : 14 juillet 2004
SPIDER-MAN 3
Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : Alvin Sargent, Sam Raimi, Ivan Raimi ; Stan Lee, Steve Ditko
Production : Avi Arad, Grant Curtis, Laura Ziskin, Kevin Feige…
Photo : Bill Pope
Montage : Bob Murawski
Bande originale : Christopher Young
Origine : USA
Durée : 2h19
Sortie française : 1er Mai 2007