Mars 2010
- Détails par Nicolas Bonci le 8 mars 2010
Sans âme ni haine, mais violence
"- Qu'est-ce que tu penses de la violence au cinéma toi ?
- Je me mets toujours au premier rang, alors ce qu'il se passe dans la salle..."
Coluche
Puisque le prix de la place ne semble pas être un facteur déterminant pour la fréquentation des salles selon les professionnels (de la profession, comme le stipule le pléonasme), les exploitants des grandes salles franchisées semblent décidés à mettre l'accent sur l'accueil et le respect des spectateurs : vous amenez vos gamins voir un Disney ? On appelle la police (se faire sortir par des policiers en uniforme torche en main est beaucoup moins traumatisant à deux ans que du Dolby Surround). Vous mangez un sandwich ? On appelle la police (et non, ici ce n'est pas pour métaphorer le bedo). Vous apportez votre propre Coca ? On appelle… la police. Si par chance vous êtes venus sans vos bambins, sans votre graille et sans vos boissons, il y aura bien un clip avant le film pour vous expliquer qu'en cas d'utilisation d'un téléphone vous pourrez être inculpés de piratage ou quelqu’autre traîtrise à la nation (sauf si c'est pour appeler vos amis et déranger l'assemblée, évidemment).
Une tendance violente laissant de marbre la grande-famille-du-cinéma-français, dont la réunion annuelle, à un Audiard près, n'a pas vraiment laissé place à de grandes prises de position (la dernière injonction majeure en date – Pascale Ferran s'alarmant de l'état du système de production hexagonal, un détail – étant restée lettre morte, alors à quoi bon…).
En même temps, comment s'étonner de toute cette violence se déversant sur les spectateurs quand le sport favori de certains intellectuels consiste à se jeter des accusations de nazisme au visage ? Puisque le ridicule ne tue décidément pas, BHL continue de dicter la philosophie du XXIème siècle qui consiste à qualifier tous ceux qui ne partagent pas son point de vue de "nazis" ou de "révisionnistes" : Tarantino (Inglourious Basterds) et Scorsese (Shutter Island) font cette fois les frais du révolté des TV set. Serge Halimi nous prévenait déjà en 2007, mais cela ne semble pas émouvoir des médias qui ne savent plus vraiment ce qu'est la violence, ni les directeurs de grandes écoles qui invitent le roi des cuistres à donner des cours à leurs étudiants.
"Que dire de ces images d’un Dachau allègrement confondu avec Auschwitz puisqu’on fait figurer à son fronton le célèbre 'Arbeit macht frei' ?" se demande BHL alors qu'il a déjà la réponse (évidemment, c'est BHL !) : il ne faut pas dire que l'inscription figure à l'entrée des deux camps, mais que c'est du "flirt avec le révisionnisme". Lorsque Joseph Losey tournait la rafle du Vel d'Hiv en plein hiver pour les besoins de Monsieur Klein en 1975, il ne se doutait pas pratiquer les préléminaires à des simulacres d'agitateurs d'idées.
On s'amusera donc qu'un philosophe cite un auteur imaginaire pour décrédibiliser la pensée kantienne d'un côté et accuse de l'autre un cinéaste de révisionnisme sur des bases si ténues et ridicules qu'elles nous obligent à ressortir son panégyrique d'un long-métrage qui revoyait à sa sauce l'Histoire du cinéma. Ha, si seulement Scorsese était pote de BHL...
Enfin, puisqu'il est question de morale et de violence, revenons sur la cérémonie des Oscars commentée par notre Luc Besson national sur Canal +, se livrant durant six heures (et cinq diffusions de la bande-annonce d'Adèle Blanc-Sec) à son très réussi numéro de l'éternel naïf qui ne comprend toujours pas ce qu'il fait là , répétant à l'envi combien Avatar est formidaaaaaable et Cameron son pote, ce qui est toujours simple une fois le succès venu, mais l'était apparemment un peu moins avant sa sortie lorsque tous les spécialistes doutaient de la réussite de la chose (semestre de trailer bashing que la machine à amnésie a supprimé de la surface du monde). Le pic ayant été atteint lorsque l'auteur de Arthur Et Les Minimoys dénigrait le grand vainqueur de la soirée, Démineurs, et sa réalisatrice Kathryn Bigelow. Il ne fallait pas compter sur Laurent Weil pour révéler le différent juridique qui opposa la réalisatrice à Besson lorsque ce dernier lui vola son projet sur Jeanne D'Arc.
Le succès cette nuit de Kathryn Bigelow est d'ailleurs l'occasion de rendre hommage à nos critiques qui nous révélaient il y a sept ans combien l'auteur de Aux Frontières De L'Aube était "has been" (Vincent Ostria dans Les Inrocks), une "ridicule Don Quichotte qui arrive après la bagarre" (du même Ostria, mais pour L'Humanité, dont vous pouvez apprécier ici la modernité de son approche critique – lire "Ni strict, ni neuf"), une "fonctionnaire zélée de l'ancienne URSS" (Olivier Joyard des Cahiers Du Cinéma) qui devrait peut-être aller "consulter" (selon le très classe Bayon de Libération).
Autant de bonnes raisons pour se caler dans un fauteuil avec un bon café et relire notre dossier en trois parties sur la grande Kathryn. Personne ne viendra vous embarquer de force ou vous traiter de nazi. Quoique...
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