Les Aventures De Tintin : Le Secret De La Licorne

Le petit vingt-et-unième

Affiche Les Aventures De Tintin : Le Secret De La Licorne

"Une technologie qui libère de la technologie". C'est en ces termes que l'interprète de Tintin, Jamie Bell, présente la performance capture, ou plutôt "cinéma virtuel" comme le nomme aujourd'hui son principal instigateur, Robert Zemeckis.


Un Zemeckis qui dut essuyer bien des plâtres devant l'incompréhension chronique que suscitait sa nouvelle marotte numérique. Pensez donc : faire des films sans caméra, mais sans être de l'animation pour autant, qu'est donc pareille diablerie ? Ne peut-il pas innover en tournant avec un téléphone, comme tout le monde ?!

Au pays où la technique au cinéma s'apprend en vingt minutes douche comprise, le cinéma virtuel fut tour à tour assimilé à de la rotoscopie, à de l'animation 3D, à de la motion capture vieille de vingt-cinq ans et même à une bien curieuse "capture motion". (1) Pourtant n'importe quel bout de making of permet de saisir les enjeux du procédé : débarrassé de toute contraintes physiques propres aux tournages traditionnels (lumière, son, machinerie, figuration, répétitions, costumes, maquillages, marquages, décors, pellicule et mille autres paramètres), le réalisateur se contente de capturer le jeu de ses acteurs libres de tout mouvement, au rythme désiré, et pourra, quand il le décidera, penser sa mise en scène en la construisant autour de la performance des comédiens.

Mais coincé entre les aprioris inhérents à l'innovation technologique et les conventions de la représentation toujours très longues à évoluer (lire The uncanny valley), le cinéma virtuel était taxé de bien des maux (Cf. La Légende De Beowulf) tandis que des cinéastes ayant un peu contribué à l'essor des images nouvelle génération les décennies précédentes (Spielberg, Jackson, Cameron, très simplement) s'y intéressaient de près. Qu'ils parviennent à embarquer dans leurs transes technophiles des acteurs aussi concernés par la perfection de leurs prestations que Tom Hanks, John Malkovich, Crispin Glover, Jim Carrey, Robin Wright Penn, Gary Oldman, Bob Hopskins ou Sigourney Weaver ne plaidait évidemment pas en faveur de cette capture-motion-rotoscopée-où-c-est-l-ordinateur-qui-fait-tout-ma-bonne-dame. (2)

Les Aventures De Tintin : Le Secret De La Licorne
 

S'il ne fait pas tout, il libère de la lourdeur d'un tournage classique, et c'est déjà pas mal. Mieux : il libère la caméra. Le fantasme ultime de tout cinéaste se concrétise, et si l'on se prend à rêver aux résultats qu'auraient livrés les défricheurs obnubilés par l'idée d'enrichir la grammaire cinématographique (imaginons un Hitchcock avec pareil outil), ne perdons pas de vue que ce sont quelques uns des plus grands fantasmes de cinéphiles qui prennent vie ces temps-ci sur nos écrans ! Après l'Avatar de Cameron, c'est au tour d'une autre arlésienne du 7ème Art de pointer son nez dans les salles : Tintin par Spielberg. Autant prévenir tout de suite : le Steven s'est lâché.

Quelque part, la frustration engendrée par l'abominable expérience de
Indiana Jones IV cornaqué par un George Lucas à côté de ses pompes depuis 1982 fut une bonne chose tant Spielberg semble avoir refourgué dans cette adaptation mainte fois repoussée toute l'énergie créatrice bridée par le Goitre. Chapeauté par une assez folle dream team (Jackson, mais aussi Steven Doctor Who Moffat, Joe Attack The Block Cornish, Edgar Scott Pilgrim Wright, Richard Taylor et Weta…), ce Tintin nouvelle époque comble largement nos attentes tant il se révèle époustouflant à chaque instant.
Dès le superbe générique d'ouverture passé, Spielberg justifie sa réappropriation par le biais d'une scène admirable de tendresse et de déférence envers Hergé. Une idée brillante, loin d'être la dernière, permettant à l'auteur de
1941 de déborder en toute légitimité des cases du Maître. (3) Car si Spielberg opte pour le cinéma virtuel, ce n'est pas pour se laisser brider par la sacro-sainte fidélité à l'œuvre aléatoirement exigée par les fans (vous avez les bonjours de Peyo et Tardi). On comprend que pour des Robert Rodriguez ou Zach Snyder "respect de la BD" équivaut à du statisme gériatrique fait de combinaisons fonds bleus / filtres ringards tout juste suffisant pour être acclamé par la presse. De Spielberg on en attend un peu plus.

Ce "plus" peut se définir par les fulgurances parsemant son cinéma depuis
A.I., requérant à sa caméra de savoir aussi bien ronronner autour des détails des lieux (Munich) que s'adonner à une virtuosité opératique ignorant murs et plafonds (Minority Report). Dans Tintin, l'un et l'autre se succèdent avec une sidérante homogénéité, rendant justice à ce qu'est réellement la ligne claire. Les plans se font amples, vifs, précis, toujours lisibles, toujours "shootés" avec la focale adéquate, permettant aux enjeux de rester compréhensibles, notamment durant une séquence de bataille navale nocturne totalement aberrante sur le papier mais qui sur grand écran fait péter les rétines (et pleurer les producteurs de Pirates Des Caraïbes).

Les Aventures De Tintin : Le Secret De La Licorne
 

Le lecteur de BD aime aller à son rythme, c'est lui qui choisit la vitesse de défilement des cases. Au cinéma c'est le réalisateur qui l'impose. Spielberg ne s'est donc pas gêné pour envoyer la sauce sans interruption cent minutes durant. Le Spielberg toujours prompt à taquiner ses limites envoie paître les conventions du rythme du récit et atomise l'écran de morceaux de bravoure, de flashbacks, de transitions et d'idées visuelles quasiment sans aucune respiration. Imaginez la première bobine de Speed Racer étalée sur tout un film !
Si Spielberg se permet un tel rythme avec une caméra en éternel mouvement (au point d'être très justement comparé à Tsui Hark) c'est de toute évidence grâce au cinéma virtuel. Dans cet extrait qui pourrait paraître anodin on perçoit d'abord l'apport de ce cinéma virtuel par cette "caméra" flottante adoptant le léger roulis du cargo, mais surtout par ce geste de la 51ème seconde, lorsque Tintin se retourne brusquement face caméra pour voir si la voie est libre afin de rejoindre Haddock. Un tel plan en tournage en "dur" aurait nécessité un nombre de prises invraisemblable (coordonner l'avancée du cadreur avec le geste de l'acteur), si toutefois l'acteur pouvait retourner la tête aussi rapidement sans se cogner sur la caméra. La possibilité ici de capturer l'action telle quelle, sans forcer la pause pour que le spectateur comprenne le geste, cadré a posteriori de manière idéale, permet de dynamiser la chorégraphie de la scène. Et du film.
Seuls les rares moments de suspense ne profitent pas de ce travail, se révélant assez convenus dans leur exécution.

Fluidifiant la narration comme jamais et humanisant des entités de pixels (au bout de deux minutes on oublie que l'on ne voit que des CGI), cette "technologie qui libère de la technologie" 
donne également à son réalisateur l'opportunité de retravailler ses gimmicks. L'absence de caméra permet ainsi à Spielberg de jouer plus qu'à l'accoutumée avec les reflets, verres, loupes et miroirs (l'apparition de la Licorne, de Tintin !), invitant le spectateur dans la course à l'indice, l'amenant très souvent à voir ce que voit le jeune reporter. Dans le même ordre d'idée on dénombre une demi-douzaine de plans subjectifs dans lesquels les personnages portent à leurs yeux des jumelles, longue-vue, loupe, bouteilles, jouant ainsi avec les lunettes 3D du public.
Les trouvailles jalonnent le moindre bout d'écran, toujours dans le seul et unique but de faire vivre l'univers d'Hergé tout en impliquant l'audience. Une volonté qui trouvera son apogée dans un plan séquence inouï, fou, extravagant (on y retrouve le déjà fameux plan de la moto tyrolienne), dont l'enchaînement et le parcours du héros procure tout simplement le même plaisir, la même jouissance que lorsqu'on enchaîne des bonds acrobatiques dans un jeu vidéo de plateformes ! Depuis le temps que l'on théorise sur l'hybridation du jeu vidéo et du cinéma, voilà Spielberg qui apporte une voie radicale : se taper de gros rides en compensant la passivité du spectateur par la perfection d'un ballet d'action digne d'une Rube Goldberg machine.


Les Aventures De Tintin : Le Secret De La Licorne
 

Dans La Guerre Des Mondes, le personnage de Tom Cruise était présenté aux commandes d'une grue sur un port. Manière très spielbergienne d'effectuer une analogie avec les armadas sur pattes extra-terrestres. En 2005 il ne pouvait guère faire plus. S'il fallait une preuve supplémentaire de ce que représente pour l'auteur de Saving Private Ryan ce nouvel outil, il n'y a qu'à voir ce qu'il fait de ces mêmes grues à la fin de Tintin... Le cinéaste offre ainsi au petit reporter de la rue du Labrador un spectacle absolu, en totale adéquation avec l'esprit de la BD, satisfaisant près de trente ans d'attente qu'il compensait de temps à autres à sa manière (comme avec sa propre version du projet inachevé d'Hergé Un Jour D'Hiver, Dans Un Aéroport).

Malgré tout certains s'évertueront à voir en Spielberg un ennemi prêt à vampiriser la culture européenne, quitte à le deviner dans le film sous les traits du méchant, le collectionneur Ivanovitch Sakharine, prêt à tout pour "posséder" la Licorne. 
Spielberg est bien présent dans le film :  c'est le brocanteur qui laisse à Tintin la maquette à l'origine de l'aventure.


(1) Devant pareil trouble on comprend que le chroniqueur se félicite de voir le cinéaste revenir aux "images réelles". Problème : un film en performance capture génère lui aussi des images réelles.

(2
) En passant, allez voir quels personnages a incarné l'ex-fadasse Colin Firth après son passage dans le "volume" de tournage de Scrooge.

(3
) A mettre en parallèle avec le plan cynique et indicatif qui ouvrait Indiana Jones Et Le Royaume Du Script De Cristal.


8/10
THE ADVENTURES OF TINTIN: THE SECRET OF THE UNICORN
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Steven Moffat, Edgar Wright & Joe Cornish d'après l'oeuvre de Hergé
Production : Kathleen Kennedy, Peter Jackson, Steven Spielberg…
Photo : Janusz Kaminski
Montage : Michael Kahn
Bande originale : John Williams
Origine : USA / Nouvelle-Zélande
Durée : 1h47
Sortie française : 26 octobre 2011




   

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