La Légende De Beowulf
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- Critique par Nicolas Bonci le 27 novembre 2007
Et des béotiens
Comme beaucoup, nous pourrions très bien passer outre cette Légende De Beowulf et vous conseiller la vision d'une gaminerie telle que Shrek 3 plutôt qu'un film d'heroic fantasy dans la droite lignée d'Excalibur tout en brandissent approximations et mensonges, quitte à dire par exemple que l'animation, ce n'est pas du cinéma ! Car un bon divertissement de cinéma, c'est Shrek qui pète dans la boue. Et comme il ne le fait pas plus haut que son cul, nul besoin d'avancer dans ce cas que les CGI sont froids et empêchent les émotions.
Mais dès que l'on aborde un texte fondateur mettant en scène un réseau de symboles psychanalytiques, l'image de synthèse redevient cette technologie anti-artistique. Pire : anti-cinéma ! On lit par exemple chez Chronic'art que "la nudité réfrigérante de cette pulpeuse Angelina Jolie numérique […] n'est rien d'autre qu'une idée". Ce à quoi on serait tenté de demander si c'est un défaut.Â
Il faut croire que oui, à en juger les réactions à ce papier d'Arnaud Bordas qui résume les enjeux de la performance capture, technologie utilisée sur cette Légende De Beowulf. Passons sur les lecteurs s'étonnant que l'on parle encore de cinéma pour un film en images de synthèse (des images dessinées au fusain et ensuite animées ne doivent pas non plus être du cinéma. McLaren, Kamler, Fischinger, Plympton ne sont pas des cinéastes) ou affirmant que le film Final Fantasy était une réussite alors que même ses créateurs ont admis que la mise en scène avait été horriblement compliquée et que cela s'en ressentait, la technologie de l'époque n'étant pas du tout appropriée. Mais quand un des interlocuteurs en arrive à déclarer que "Lean se trompe", que le cinéma "est un art d'un autre siècle", qu'il "est mort car le cinéma n'a plus d'objet" tout en énumérant gratuitement ses films fétiches pour prouver sa cinéphilie, on a envie de rappeler que cet art qu'il chérit tant ne se résume pas qu'à "des êtres de chair, de sang, de cris et de chuchotements". Le cinéma, c'est justement l'art des idées, de l'image et avant tout du mouvement, aucunement l'art constitutif de l'objet, n'en déplaise aux bazinophiles. Ainsi préfèrent-ils se perdre dans une prose défaitiste d'un autre âge plutôt qu'admettre qu'ils sont tout bonnement fascinés par ses diableries d'images qui nous ressemblent et gigotent dans tous les sens, fascinés comme tous les spectateurs du monde. Mais non, on ne peut se rabaisser à être le commun des mortels, il faut invoquer Bergman et l'astronomie pour se donner le droit de déclarer que le cinéma est mort et ainsi s'extraire de la masse vulgaire qui s'agglutine dans les salles. Et c'est lorsque l'on refuse de comprendre les mécanismes amenant encore et toujours les spectateurs à voir des films que l'on "tue" le cinéma.
"Plus adulte que le premier film, Shrek 2 joue exclusivement le second degré et accumule décalages savoureux et clins d'oeil perfides. Le rythme est proprement hystérique - au point qu'un second visionnage s'impose -, notamment dans un dernier tiers dantesque où l'on découvre que la vraie star du film n'est pas l'ogre vert mais bien son fougueux compagnon le Chat Potté à qui l'on décernerait sans hésiter l'oscar du meilleur ordinacteur."
Ainsi Olivier Bonnard de TéléCinéObs avait trouvé Shrek 2 "adulte" (toutes les références à la sous-culture télévisuelle, très adulte) et conseille d'aller profiter deux fois du "rythme proprement hystérique" et décernerait un Oscar au Chat Potté numérique. Quand à cette La Légende De Beowulf : "Les personnages, ersatz numériques d'Anthony Hopkins, John Malkovich ou Angelina Jolie, ont l'air plus morts que vivants : regard éteint, mouvements empesés, on ne voit que ça. Ça, et les mouvements de caméra délirants d'un Zemeckis qui fait mumuse comme un gosse avec un nouveau jouet. Pénible."
Sans second degré, cynisme et pet dans la boue il apparaît vite compliqué de faire accepter d'autres utilisations à la 3D. Tout parallèle avec le cinématographe juste digne des foires ne serait que fortuit. Vous pouvez lire le reste ici et apprécier au passage que bien évidemment Beowulf renvoie au conflit irakien. Au secours.
Finalement, c'est peut-être Emmanuelle Fois qui résume le mieux la problématique, rapportant que "le rendu visuel est tellement particulier, tellement étrange, que le propos à l'origine si ambitieux, laisse de glace." Cela ressemble à un aveu, comme si, totalement perdus à la croisée de deux médias pourtant semblables, le cinéma et l'animation, une majorité de critiques ne sait comment aborder la chose. Preuve étant cette inutile volonté de tout rapporter au jeu vidéo : sous prétexte que les images de synthèse proviennent du même outil informatique, elles devraient forcément avoir un quelconque lien sémantique ?
En attendant, vous pouvez toujours tenter de braver le politburo et aller apprécier à sa juste valeur ce film en salle, histoire de vérifier que les filés rapides s'arrêtant net pour décupler la puissance d'une réplique ne sont possibles qu'avec cet outil, que certaines idées de mises en scène simples et jamais vues sont les conséquences directes de cette évolution qu'est la performance capture, capable de fournir des plans effrayant de nouveauté (pensons au travelling découvrant le dragon devant les remparts, ou à celui nous amenant lentement, à travers la froide nuit danoise, dans l'antre du monstre). C'est d'ailleurs sûrement cette technologie froide et assassine qui rend l'interprétation de Grendel par Crispin Glover (le père de Marty dans Back To The Future) absolument sidérante, notamment lors de la première scène avec sa mère, entièrement en vieil anglais non sous-titré mais on ne peut plus prenante, compréhensible et surtout gavée d'émotion.
Si une immersion totale dans une chanson de gestes épique et fantasmatique ne vous suffit pas (certains plans de la scène des monstres marins et du combat contre le dragon sont la concrétisation visuelle de siècles d'imaginations et de traditions orales), vous pouvez toujours justifier l'achat de votre ticket au buro en arguant le discours méta du récit qui ne se contente pas d'illustrer un mythe mais cherche à comprendre comment celui-ci perdure : Beowulf laisse partir un ennemi qui osa le défier, cet ennemi ayant "une histoire à raconter" mettant le célèbre roi en valeur, et c'est toute la noblesse du héros qui en prend un coup. Mais comment mieux souligner l'importance du mythe, la beauté de l'histoire à transmettre ? Cette même beauté aujourd'hui refusée, dénigrée à tout prix. Chez Beowulf, mêmes les plus proches témoins se forcent à exagérer la réalité, puis à y croire pour en faire de plus beaux récits ; on pense à Wiglaf, premier conteur de 'l'exploit" contre Grendel, premier à devoir reconsidérer les faits de son Roi - et là encore remercions la performance capture pour nous laisser sentir à quel point ce doute entre mythe et réalité perturbe le pauvre compagnon d'arme. Cette remise en question du mythe sur fond de Christianisme naissant n'apporte que plus de valeur à ce long-métrage.
Et s'il fallait une preuve supplémentaire de l'intérêt de ce nouvel outil technologique, elle se résumerait à Ray Winstone. On se libérant de la contrainte du choix d'un interprète forcément jeune et body-buildé, Zemeckis pu s'offrir les services d'un acteur solide, complet, pouvant interpréter aussi bien Beowulf jeune que vieux. Et même son propre fils incarné par le dragon. La naissance d'une nouvelle manière de raconter des histoires fait donc ici écho, en son procédé même, à des archétypes mythologiques vieux comme le monde.
Mais Shrek, c'est mieux.
BEOWULF
Réalisateur : Robert Zemeckis
Scénario : Neil Gaiman & Roger Avary
Production : Robert Zemeckis, Steve Bing, Neil Gaiman…
Photo : Robert Presley
Montage : Jeremiah O'Driscoll
Bande originale : Alan Silvestri
Origine : USA
Durée : 1h53
Sortie française : 21 novembre 2007
PS : Pour en savoir plus sur la performance capture !