L'Etrange Festival 2016

No reason

Affiche Etrange Festival 2016

La rentrée scolaire, le retour des morts-vivants du métro, les affiches à moitié déchirées de blockbusters estivaux vite vus vite oubliés mais heureusement l'Etrange Festival est toujours vaillant et audacieux malgré ses vingt-deux printemps.


Du 7 au 18 septembre dernier, le festivalier eut un rab’ d’une journée pour naviguer dans une programmation plus importante, gonflée d’une rétrospective "Gaumont vu par l’Etrange" au cinéma Les Fauvettes. Mais plus que des projections, l’Etrange est aussi une manière de célébrer le no reason, l’original, l’alternatif, l’inventif au passé, au présent et au futur dans un esprit transmedia. Le cinéaste Frank Henenlotter était là pour rappeler à quel point ses Basket Case, Elmer et Frankenhooker ont pu bercer les beaux jours des vidéo-clubs, et surtout inspirer. Jaz Coleman, leader du groupe Killing Joke, vint donner de la voix à travers un concert et quelques présentations de films dans le cadre de sa carte blanche. L’artiste Stéphane Blanquet est aussi venu partager ses œuvres et ses films coup de cœur. Des valeurs sûres comme Bill Plympton, Anurag Kashyap, Alejandro Jodorowsky, John Michael McDonagh ou Sono Sion se sont installés dans la compétition internationale, à côté de belles promesses pour l'avenir. Le festival continue de dénicher les talents à travers des premières œuvres intéressantes, parfois imparfaites ou maladroites, mais qui comportent ce qui manque assurément au tout venant des sorties en salles : de l'excès et du point de vue. Parmi les jeunots, deux français qui montrent que le cinéma de genre hexagonal a encore de l’avenir si on daigne investir en lui. Sans plus attendre, un petit florilège du meilleur de cet Etrange Festival 2016.


LA CHAIR ET LE SANG
L’Etrange ne serait pas l’Etrange sans son catalogue de micro-sociétés déviantes. Elles se conjuguent cette année à différents niveaux, de la famille naturelle à celle recomposée en passant par la cellule étudiante. L'exemple le plus inspiré de cette édition est franco-belge et fut projeté à Cannes : premier long de Julia Ducournau, Grave explore un point de vue original, celui de Justine, jeune végétarienne surdouée au cœur du bizutage d’une école de vétérinaire. Forcée d'ingérer de la viande, la gamine voit son appétit et son comportement progressivement changer.

Grave

Grave évolue entre exploration solitaire d’une communauté malsaine et fable horrifique sur le passage à l'âge adulte. Naturaliste, le début du récit prend le parti d'explorer les mœurs des étudiants et les réactions de l’héroïne dans ce nouveau monde effrayant. Personnage référent au sein d’un univers hostile, Justine attire immédiatement notre sympathie, rendant le glissement vers l’horreur, très assumé pour une production hexagonale, bien plus intense. De plus, Julia Ducournau se garde de toute justification de ce virage, laissant une ambivalence salvatrice sur l’origine du mal. Au final, c'est davantage la relation entre deux sœurs qui reste au centre de cette cruelle allégorie, mais qui parvient à se passer de tout jugement. Une relation d’autant plus juste qu’elle est portée par deux actrices bluffantes, Garance Marillier et Ella Rumpf.

http://www.youtube.com/watch?v=VCNDVeNDwsU

Grave de Julia Ducournau, sortie salles : 15 mars 2017


C’est aussi les liens du sang qu’explore We Are The Flesh, premier long-métrage du Mexicain Emiliano Rocha Minter ardemment soutenu par Alfonso Cuaron, Carlos Reygadas et Alejandro Innaritu, soit une bonne partie du gratin cinématographique du Mexique.
A une époque qu’on devine post apocalyptique, un frère et une sœur débarquent dans un bâtiment dévasté ou vit un type halluciné et visiblement timbré qui prépare une étrange mixture hallucinogène. L’homme leur propose de les héberger en échange de menus services. Progressivement, il invite ses hôtes à explorer son monde hors de la civilisation pour expérimenter toutes sortes de déviances. Et en termes de déviances,
We Are The flesh a le mérite d’affoler le compteur au risque de virer au catalogue. "Tiens il manque le cannibalisme" se dit-on après avoir fait les comptes au trois-quarts du film. Et banco à la scène suivante !

We Are The Flesh

Pourtant, We Are The Flesh est loin de rebuter. Il dégage même une poésie noire avec un mix plutôt réussi de Gaspar Noé (pour sa photo et l’univers glauque) et du Alejandro Jodorowsky des 70’s (pour la folie et le surréalisme). Tenemos La Carne doit aussi beaucoup à son ambiance hors du temps et à son acteur principal, Noe Hernandez, qui donne de sa personne (dans tous les sens du terme) tout au long de la bobine. Le final a de quoi rendre coi.

http://www.youtube.com/watch?v=7UNcpItRTdg

Tenemos La Carne d'Emiliano Rocha Minter, sortie DVD : courant 2017.


La transmission familiale est également le quotidien d’un clan d’allumés qui ne pratiquent ni inceste, ni cannibalisme, mais n’en restent pas moins infréquentables. Nous parlons d’un business d’enlèvements et de séquestrations avec le nouvel opus de Marcus Dunstan, auteur des sympathiques The Collector et The Collection après avoir débuté comme scénariste dans le pire de la franchise Saw (du 4 au 7).
Le pitch est simple et direct : dans le sud profond, John et Rosie se tiennent en marge de la légalité pour s’en sortir, mais découvrent à leur grand effroi que la famille voisine fait encore bien pire en enfermant des pauvres bougres dans des cages. Pour libérer sa tendre moitié prisonnière de la horde de tarés, John doit alors rivaliser d’ingéniosité. Point de torture porn à l’horizon, les motivations des geôliers se bornent à une forme de survie et en cela sont bien plus humains que les dégénérés habituels, originalité notable qui brouille un peu les repères. De fait,
The Neighbor acquiert une tonalité de survival 70’s tirant sur le thriller pour un rendu pas désagréable du tout, entre simplicité et honnêteté. Le score reconnaissable de Charlie Clouser (compositeur de Saw), crissant et entêtant, rehausse ce suspens avec maestria.

http://www.youtube.com/watch?v=Sa1uci4R5EM

The Neighbor de Marcus Dunstan, sortie indéterminée.


RÉALITÉS
Il n’y a plus d’Etrange Festival sans Sono Sion, mais il n’y a pas plus étrange qu’un bon Sono Sion. Le plus prolifique des cinéastes japonais marque une nouvelle fois son empreinte au Forum des Images via un documentaire plus centré sur le personnage que sur sa filmo accompagnant un des films de sa cuvée 2016, Antiporno. A l’origine, une commande passée par la Nikkatsu qui souhaite faire revivre un de ces genres fétiches, le pinku eiga (en français "roman porno", mais dans les faits on est dans le légèrement érotique) à l’occasion du centième anniversaire des studios. Cinq réalisateurs japonais sont chargés d'y faire honneur, dont l'auteur de Why Don’t You Play In Hell? qui a joyeusement détourné la commande.

Antiporno

Avec Antiporno, Sono Sion nous plonge dans une journée banale pour Kioko, star de sa génération, autoproclamée "plus grande salope du monde", mais qui se morfond dans son grand appartement. Lorsque son assistante entre en scène, Kioko l’humilie, une humiliation qui s'intensifie avec l’arrivée d’une équipe de journalistes de mode. Puis tout part en vrille, mélangeant réalité et fiction, passé et présent. Barré et imprévisible, Antiporno revient à la hargne des Love Exposure et Cold Fish en plus absurde, alors qu’on pouvait croire Sono Sion engoncé dans un cycle de production commerciale à la chaîne façon Takashi Miike. Film méchant, Antiporno tire à vue sur les non-dits liés au sexe dans les familles japonaises. On retrouve également bon nombre de motifs visuels obsédant le cinéaste, au point d’apparaître à plusieurs reprises dans le documentaire tourné peu avant la production du film. Voir l’un après l’autre éclaire encore un peu plus sur la cohérence artistique d’un des réalisateurs les plus passionnants du moment !

http://www.youtube.com/watch?v=asVcjwpwMgU


Antiporno de Sono Sion, sortie indéterminée


Autre surprise française de ce festival, Sam Was Here revient de loin. Faute de financement, Christophe Deroo et son équipe se sont délocalisés aux Etats-Unis. On ne s’en plaindra pas, tant les paysages désolés personnifient à merveille le village désert et oppressant prêt à avaler le Sam du titre.
A son grand malheur, Sam est le descendant des héros malheureux de 
La Quatrième Dimension, entré au hasard de son chemin dans une autre réalité où il se trouve accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, puis pris en chasse par un mystérieux animateur par émission de radio interposé. Comme les sketchs de Rod Serling, l’aventure est ici épurée, mue par un concept allégorique et se garde de toute rationalisation. Malgré son faible budget, Sam Was Here est une production de qualité qui délaye un suspens au cordeau, qu'on pourrait rapprocher de Pontypool par sa manière de lier l’horreur à la communication : les habitants du village, dénués de visage (ils sont masqués) et de discernement semblent pris d’une folie contagieuse alimentée par l’animateur. De quoi faire réfléchir sur les positions souvent arbitraires de nos propres médias.

Sam Was Here

Sam Was Here de Christophe Deroo, sortie indéterminée.


C'est peu dire que Detour était attendu au tournant, car l'Anglais Christopher Smith a depuis longtemps gagné le cœur des fantasticophiles : Creep, Severance, Triangle et Black Death sont toutes des œuvres très différents qui réussissaient à exploiter au mieux leur postulat de départ. Un peu disparu au profit de la télévision et d’un film de Noël qu’on oubliera (Get Santa), le monsieur s’attaque désormais au néo-Noir avec une bande au titre évocateur (hommage à Edgar G. Ulmer ?). Harper, jeune étudiant en droit souhaitant en finir avec son beau-père, suit un couple de paumés dans leur fuite en avant. On croit déjà connaître la fin. Mais pas vraiment. Smith élabore son montage pour balader le spectateur, le héros de film Noir se divisant brutalement pour suivre deux routes parallèles, du moins en apparence.

Detour

Là où le temporel Triangle était narrativement irréprochable, l’exercice de style de Detour est parfois à la limite de la démonstration, le montage servant principalement à jouer avec la connaissance du spectateur pour dissimuler les fausses pistes. Mais il questionne aussi les choix offerts au héros de film Noir, souvent considéré comme un personnage tragique dont la chute est inexorable. Le libre arbitre redevient une variable dans la mécanique de chute d'Harper, et on en viendrait à espérer une résolution à la True Romance pour le sympathique jeune homme et sa paumée de femme fatale. Avec une brochette de trois acteurs exceptionnels, Smith réussit un film mineur, certes pas au niveau des précédents, mais qui démontre que l'Anglais est toujours dans la place.

Detour de Christopher Smith, sortie indéterminée.


ON ACHÈVE BIEN LES (YEUX DES) CHEVAUX 
La redécouverte de cette édition a été fournie par Jaz Coleman, leader du groupe Killing Joke, dans le cadre de sa carte blanche. Peu d’étrange au programme mais beaucoup de malaise et de clairvoyance dans un des opus les moins connus du grand Sidney Lumet. Equus conte l’histoire d’un psy (le Richard Burton des 70’s, forcément habité) confronté à un cas des plus étranges, un jeune homme travaillant dans une écurie (Peter Firth, vu dans Tess de Polanski) crève les yeux d’une dizaine de chevaux au cour d’une nuit. Face au coupable, le psy perd pied et en vient à questionner son propre métier, comprenant peu à peu la signification du rêve qu’il fait chaque nuit où il se voir exécuter de jeunes enfants.

Equus

Les années 60 et 70 ont vu naître de nombreux drames psychanalytiques complaisants, mais c’est d’un fait divers glauque que Lumet fait naître un des rares films parvenant à surplomber le genre, questionnant la nature même du métier de psychiatre. Le praticien entretient sa propre psychanalyse à travers le cas étudié, prenant à témoin le spectateur. L'aspect bavard du récit pourrait rebuter s’il ne mettait en perspective la condition meurtrière du retour à la normalité, lorsque le malade est dépossédé de la passion qui le faisait vivre (ici, la religion) pour rentrer dans le rang. Parallèlement, le cas se résout à la manière d'un détective dans de passionnants flashbacks rétrospectifs avec lesquels Lumet étudie avec la même empathie toutes les victimes collatérales du drame, jusqu’au plus petit second rôle, pour révéler une solution qui était sous nos yeux.
Equus trouve instantanément sa place parmi les plus belles péloches du cinéaste, étant à la psychanalyse et à la religion ce que 12 Hommes En Colère est au système judiciaire, Serpico au polar, Network à la télévision ou Point Limite à la politique. Tu nous manques, Sydney. (D'ailleurs son livre Making Movies sort enfin en français le 6 octobre chez Capricci)

http://www.youtube.com/watch?v=Tsx5wNyzmRo


PAIRE D'AS
L’animateur Bill Plympton est venu en personne présenter La Vengeresse (et croquer quelques dessins aux festivaliers les plus chanceux). Pour ce nouveau projet, une fois n’est pas coutume Plympton s’est allié à Jim Lujan, qui eut en charge le design et le scénario.
On y suit Rod Rosse, chasseur de prime aux allures de comptable qui partage son affaire avec sa mère. Le hitman est engagé par un sénateur, ancienne star du catch nommée Deathman, pour retrouver une jeune femme qui a dérobé un mystérieux colis. Mis en concurrence avec quelques compères, Rosse se rapproche malgré lui de la voleuse. 

La Vengeresse

Plympton est tombé amoureux du scénario de Lujan au point de lui prêter son coup de crayon si distinctif, mais s’est également immergé dans son univers, très inspiré de l’univers de Tarantino. Bridé par un canevas éprouvé, on retrouve moins de trouvailles délirantes typiques de l’auteur de L’Impitoyable Lune De Miel, le parti-pris étant de se concentrer sur la galerie de personnages de l'Amérique du catch, des bikers et des détectives, tous des archétypes hauts en couleur. Si les auteurs orientent leur film vers le registre comique, la relation de Rosse avec la vengeresse du titre sonne extrêmement très juste et parvient à conférer à ce nouveau Plympton un aspect fort touchant.

http://www.youtube.com/watch?v=dWmqpFpq-O8

Revengeance de Bill Plympton & Jim Luhan, sortie indéterminée.


Au-Dessus Des Lois de John Michael McDonagh (auteur de L'Irlandais) était une des projections les plus attendues. Le cinéaste ne révolutionne ici en rien la recette du buddy movie avec son duo de flics ripoux à la fois poseurs et cyniques mais quelque peu sympathiques par la liberté que leur procure leur grande désinvolture. Il y a là quelque chose de vivifiant à regoûter à ces vieilles histoires très codées, ornée d'une réalisation correcte et d’une bande son aux petits oignons.

War On Everyone

Mais on en vient à regretter que la distance s'avère trop pesante et que le réalisateur n’ait pas opté pour un peu moins de surenchère dans ses gags, si bien que la première partie de Au-Dessus Des Lois sonne souvent faux. On peut néanmoins compter sur Michael Pena et Alexander Saarsgard pour mener le show avec une osmose qui fait plaisir à voir, le Eric Northman de True Blood trouvant enfin un rôle correct à afficher à son tableau de chasse. Loin des précédents opus de John Michael, bien qu’il en emprunte des motifs récurrents, Au-Dessus Des Lois empiète sur le terrain de Martin McDonagh, le frangin, auteur entre autres de Bons Baisers De Bruges. Une bonne pantalonnade à laquelle on préférera le récent The Nice Guys sans aucune retenue, mais qui fait quand même du bien dans le contexte d’un festival.



War On Everyone de John Michael McDonagh, sortie DVD : courant 2017.


PALMARÈS

Prix Nouveau Genre : Headshot des Mo Brothers ex-æquo avec Jeeg Robot de Gabriele Mainetti

Prix du public : Poésie Sans Fin d’Alejandro Jodorowsky (sortie en salles le 5 octobre 2016)

Grand Prix Canal+ (court-métrage) : Klem de Mathijs Geijskes

Prix du public (court-métrage) : Strangers In The Night de Conor McMahon




   

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