The Nice Guys
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- Critique par Nicolas Zugasti le 31 mai 2016
Cogné et lassé
Finalement, le seul film du Marvel Cinematic Universe qui mérite d'être porté aux nues reste Iron Man 3. Non pas pour sa qualité discutable mais bien parce que son succès aura permis le retour au premier plan de Shane Black.
Remis en selle, Black signe avec The Nice Guys sa troisième réalisation, de loin sa meilleure, qui s'avère être un petit bijou en termes de narration, d'implication et d'émotion. Non content de reprendre puis chambouler ses thématiques (rédemption de héros au fond du gouffre qui reprennent pied dans l'action, humour noir, jeu sur les apparences...) et les motifs du buddy movie qu'il aura contribué à populariser avec ses scénarios pour L'Arme Fatale 1 et 2, Le Dernier Samaritain ou Au Revoir A Jamais, Black signe un polar d'action où le devenir des personnages importent plus que la dose de fun promise par les différentes bandes-annonces.
C'est d'ailleurs sous l'égide de Joel Silver, son éternel support depuis leurs fructueuses collaborations dans les années 80 et 90, que le script co-écrit avec Anthony Bagarozzi va pouvoir se développer à l'écran. Un scénario qui au départ devait se dérouler à l'ère contemporaine et impliquait une sextape avant que Black ne change son fusil d'épaule et désire en faire une série qu'il tente de vendre sans succès à HBO. Il retravaille donc ses idées pour aboutir à une histoire prenant place dans le Los Angeles des 70's avec un détective privé à la masse et un cogneur sur gages devant coopérer pour retrouver la jeune Amelia, starlette du porno chassées par des tueurs.
L'intrigue, foisonnante mais jamais confuse, bascule constamment entre rires et violence sèche sans occulter les conséquences sérieuses de l'enquête. Black y fait preuve de son talent intact pour créer des interactions électrisantes entre les genres et des personnages à fort tempérament, et s'appuie ici sur un duo improbable interprété par Ryan Gosling et Russel Crowe dont l'alchimie fonctionne à merveille : Crowe, parfait en bourru taciturne au grand coeur, est assez naïf pour croire que March est une pointure dans son métier, mais c'est surtout Gosling qui impressionne, cassant son image de beau gosse taiseux il s'avère très doué pour la comédie, les gémissements et cris stridents impayables.Â
HOLLY ET LES CHICS TYPES
Ce qui rend The Nice Guys encore plus délectable sont ses différents niveaux d'interprétation. En situant son action à la fin des années 70, le film de Black ne se borne pas à une reconstitution des canons de l'époque mais discoure en creux sur la décadence de la société consumériste. Moins par l'émergence et l'essor d'une industrie du porno que par la collusion de l'Etat et d'intérêts financiers particuliers : le méchant de l'histoire n'est ainsi pas le pornographe mais la figure politique qui fricote avec le consortium automobile de Détroit. Shane Black ne formule pas à travers sa bande une critique explicite mais use de ses mécanismes pour amplifier la fin de l'innocence à laquelle doivent faire face les deux partenaires. Une fin d'ailleurs annoncée d'emblée par la première séquence montrant un jeune garçon se délecter de la double-page centrale du magazine chipé sous le lit des parents. Tandis qu'il y admire au premier plan les courbes affolantes de la porno star Misty Mountains (en référence à sa poitrine protubérante), surgit en arrière-plan une voiture dévalant la colline pour finir par traverser sa maison de part en part et se crasher quelques mètres plus bas. L'ado constate que la conductrice mourante n'est autre que Moutains, exhalant son dernier souffle les seins à l'air. Le garçon aura alors un ultime geste pudique en les recouvrant alors que l'on entend au loin les sirènes des équipes de secours.
La jeunesse que March et Healy considéraient comme déconnectée des contingences réelles est en fait beaucoup moins naïve et plus concernée. Certes, Black ne se gêne pas pour se moquer des activistes auxquels le duo se confronte mais leur candeur ne saurait disqualifier les idéaux défendus. De la même manière, les enfants sont beaucoup plus matures que leur jeune âge ne pourrait le laisser présager. On pense à l'hilarant garçon à vélo qui essaie d'entourlouper March en la lui faisant à l'envers, et bien sûr la propre fille de March, bien plus responsable et maline que son poivrot de père.
Ainsi, se sont March et Healy qui apparaissent complètement décontenancés par les mutations de leur monde, se raccrochant à des méthodes surannées, perdus dans une histoire dont les tenants et aboutissant leur échappent. La séquence les montrant sortir de l'ascenseur à l'étage où est réfugiée Amelia est particulièrement démonstrative de leurs difficultés et lacunes. Atterrissant au milieu d'un carnage, ils n'ont d'autre réaction que de redescendre, scène désopilante de par le décalage entre cette réaction et les hommes d'action qu'ils sont censés incarner. Tout l'enjeu de The Nice Guys se rapporte alors à leur capacité (ou non) à reprendre la main sur les événements et surtout, pour chacun, à trouver une nouvelle orientation à leur vie en pleine déliquescence.
Au fond, ce qui fait courir Holland March et Jackson Healy n'est pas tant de retrouver Amelia et la bobine du film porno dans lequel elle a tourné, mais le regard que Holly, la fille de March, porte sur leurs actions. Ils recherchent avant tout sa satisfaction, son approbation, qu'elle soit fière d'eux parce que ce qui a été entrepris a enfin réussi ou parce qu'une vie aura été sauvée, fut-ce celle d'un tueur. C'est par rapport à elle que Healy et March se définissent et qu'ils dépasseront leurs conditions, parvenant à être un bon père pour l'un, un homme bon pour l'autre, plus que des détectives talentueux.
NOTHING LASTS FOREVER
The Nice Guys est une véritable déclaration d'amour aux genres, célébrant le caractère subversif que le cinéma peut revêtir à l'occasion, quelle que soit la forme adoptée (avec ici une préférence pour un écrin considéré comme peu noble). Après tout, les activistes écologiques font transiter leur programme par le biais d'une œuvre pornographique, Black véhiculant le tout à travers une série B azimutée transcendant ses limites.
The Nice Guys, plus profond qu'il n'y paraît, parvient à créer une véritable empathie pour ses personnages pétris de contradictions et d'une humanité à fleur de peau. En cela le métrage est aussi touchant en ce qui concerne les protagonistes que la propre personne du metteur en scène. On prend un pied incroyable aux punchlines délicieusement ciselées par Black, aux séquences mêlant comédie, slapstick et gunfight mais The Nice Guys surprend par son éloge de l'imperfection et le regard à la fois désabusé et plein de tendresse qu'il porte sur le destin de March et Healy, double incarnation de la personnalité de Shane Black. Ainsi, le film complète le parcours du scénariste au sein de l'industrie, pouvant s'envisager comme une nouvelle illustration de ses tourments. Kiss Kiss Bang Bang et Iron Man 3 se terminaient bien, pourtant, mais restaient, au final, représentatifs de l'humeur d'un Black qui, lors de leurs conceptions, était loin d'être au beau fixe.
Tricard à Hollywood suite au flop d'Au Revoir A Jamais de Renny Harlin en 1996, dont il aura vendu le scénario pour le montant record de quatre millions de dollars, Shane Black connut une traversée du désert de quasiment dix ans avant de signer sa première réalisation en 2005, Kiss Kiss Bang Bang, déjà un polar d'action. Robert Downey Jr. y interprétait un voleur à la petite semaine engagé comme acteur suite à un malentendu. Afin de préparer son rôle, il fait équipe avec le détective privé des stars (Val Kilmer) mais le duo est vite embarqué dans une sombre affaire de mœurs. L'ambiance, très noire, reflétait alors l'état d'esprit d'un Black pas spécialement d'un tempérament optimiste à la base, lui qui s'est toujours senti coupable d'avoir eu du succès très jeune (il a 23 piges quand on lui achète le script de Lethal Weapon). Échaudé, désabusé, Black illustrait la distance prise avec l'industrie en brisant régulièrement le quatrième mur : le personnage de Downey Jr. s'adressait au spectateur, lançait des regards face caméra... Plutôt bien accueilli, Kiss Kiss Bang Bang ne fut pas un hit en termes d'entrées, et c'était donc reparti pour une période disette, jusqu'en 2013 et Iron Man 3. Ici aussi, on peut dire que cette marvelerie traduisait le ressenti de l'auteur : faire du Mandarin un homme de paille était une autre manière de prendre ses distances, cette fois-ci avec le genre, les exigences du studio et un lourd cahier des charges.
Il s'en sortit honorablement, et c'est ce regain de confiance qui s'exalte avec The Nice Guys. Fini la distance de sécurité : comme March et Healy, Shane Black s'implique totalement et passionnément dans l'histoire à laquelle il participe. En espérant que le tatouage à demi effacé de Holland March soit aussi prémonitoire pour lui que pour son créateur, qu'il puisse nous livrer encore des récits aussi généreux et enthousiasmants.
THE NICE GUYS
Réalisateur : Shane Black
Scénario : Anthony Bagarozzi & Shane Black
Production : Anthony Bagarozzi, Aaron Auch, Ethan Erwin, Joel Silver...
Photo : Philippe Rousselot
Montage : Joel Negron
Bande originale : David Buckley & John Ottman
Origine : USA/Chine
Durée : 1h56
Sortie française : 15 mai 2016