Sur Ecoute - Saison 4
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- Série TV par Guénaël Eveno le 20 mars 2009
Des cadavres derrière les portes
Marlo Stanfield gagne du terrain dans le West Side de Baltimore mais la Major Crimes Unit de Lester n’arrive à lui attribuer aucun crime. Les rues ne sont pourtant pas calmes depuis la chute d'Avon Barksdale.
Marlo s’est alloué les services de Chris et Snoop, deux nettoyeurs implacables qui ont trouvé la parade pour faire disparaître les cadavres qu’ils sèment derrière eux. Mais une bavure d’un des hommes de Bodie va attirer l’attention de la criminelle, et notamment de Bunk. Randy, Dukie, Namond et Michael vivent leur jeunesse dans les corners et ils s’apprêtent à commencer une nouvelle année au collège de Baltimore dans lequel Prez, suite aux événements de la saison 3, fait ses armes en tant qu’enseignant. Celui-ci se rendra vite compte de la difficulté de la tâche qui l’attend. Carcetti se prépare quand à lui à affronter le maire Royce pour les primaires, aidé par toute son équipe de campagne. Il se positionne sur la criminalité et il parvient à devenir, à l’issue d’un heureux coup du hasard, le challenger du maire sortant.
En parallèle à Marlo, la major Crimes Unit cherche à coincer Clay Davies et d’autres gros bonnets qui trempent dans des affaires louches. Davies soutenant la campagne du maire Royce, ils sont paralysés par leur nouveau chef et doivent enterrer leurs enquêtes. Greggs et Lester rejoignent la criminelle. Pendant ce temps, Proposition Joe décide de manœuvrer Omar pour convaincre Marlo de se joindre à sa coopérative.
C’est une nouvelle saison atypique que voilà . Il n’y aura pas d’écoute à proprement parler car l’Unit est dissoute dans les premiers épisodes. Suite à la déception occasionnée par l’issue de l’enquête de Stringer Bell, McNulty s’est mis en retrait et goûte aux joies du type normal auprès de Beadie, et il tient bon malgré les sollicitations de toute part. Nous ne le retrouverons vraiment qu’à la fin de la saison. Tous sont éparpillés. La plus belle famille d’auteurs du petit écran, sous l’œil attentif du parrain David Simon, a profité de cet éparpillement pour nous donner un plus grand éventail de points de vue. Les interactions n’ont jamais été meilleures et tous les récits supportent une grande fluidité car on connaît le passé et les aspirations de tous les personnages composant l’échiquier et certains sont présentés sans même qu’on s’en rende compte (la technique de l’introduction ni vue ni connue qui a déjà fait ses preuves auparavant). Cette saison 4 explorera encore plus en détail les arcanes de la politique et les compromissions des puissants tout en collant d’encore plus près à ses personnages, s’attardant parfois même à mettre en valeur par de longs plans et des silences l’excellent jeu des acteurs. Beaucoup de choses se passent dans le secret, mais le secret principal est celui que recèlent les "vacants", les maisons vides de la ville.
Après la chute d’Avon Barksdale, le vent a tourné. La première scène avec la jeune Snoop dans le Hardware annonce la couleur d’une saison noire qui repousse les limites du tolérable. On découvre un nouveau personnage mémorable complètement barge et remarquablement interprété par Félicia Pearson. Elle et le taciturne Chris Partlow passent la saison à semer des corps qui ne seront retrouvés qu’à l’issue du douzième épisode dans les maisons abandonnés de la ville. C’est la saison de la passation de pouvoir d’une génération à une autre. L’arrogant Marlo est issu de ces gosses qui ont grandi à Baltimore, il symbolise la relève. Calculateur, dépouillé du semblant de valeur et d’humanité qu’avaient encore ses aînés, il jure avec des gars comme Bodie, un habitué personnifiant le cap entre les deux générations (celui-ci ira jusqu’à s’allier à McNulty pour faire tomber Marlo). Marlo a fini par instituer une véritable jungle au sein du jeu, plus de code, plus de famille ni de respect des règles et chaque doute finit par une balle dans la tête. C’est dans ce monde que devra évoluer la nouvelle génération. Cette saison s’intéresse particulièrement à elle et à son devenir, à travers les écoles, mais surtout en suivant jusque dans la rue quatre adolescents qui ont grandi dans les corners. Un point de vue qui renouvelle une fois de plus un show qui n’a de cesse de surprendre.
ENFANTS DU CHAOS
On nous prévient par une démonstration sur le terrain du major Colvin à un sociologue béotien : à dix-huit ans et même bien avant, les jeunes des corners sont déjà irrécupérables. On le savait déjà avec Wallace, Bodie et Poot dans la saison 1, mais le rappel est d’autant plus nécessaire qu’à ce stade, on s’est déjà habitué à ces quatre gamins de Fayette Street qui se serrent les coudes dans un environnement qui ne leur donne rien. On devine aisément que pour eux cette année va tout bouleverser et déterminer leur passage vers la délinquance.
Présentons d’abord le petit groupe à travers lequel une grande partie des événements de la saison seront vus. Randy est honnête et débrouillard et très doué pour le business, il vit avec sa mère adoptive Miss Anna après avoir parcouru les familles d’accueil. Il se verra embarqué dans une spirale à cause de sa trop grande confiance envers les adultes. Namond est le fils du porte flingue d’Avon désormais en prison, Wee Bey, et subit la pression de ses parents pour prendre la succession. Mais Namond est un gamin sensible et n’a guère sa place dans la rue. Dukie est encore plus intelligent mais extrêmement pauvre et peu apte à se défendre sans ses amis. Michael élève son demi-frère et semble plus mystérieux, plus indépendant que les autres, n’est guère impressionné par Marlo. Il est un de ces nombreux enfants dont la mère a complètement abandonné ses responsabilités pour devenir junkie, phénomène patent depuis les 80’s à Baltimore et qui a conduit de nombreux enfants à s’élever entre eux. La force que dégage Michael intéressera particulièrement Chris et Marlo.
Alors, héritiers malheureux de leurs aînés ou gamins promis à un avenir plus brillant ? A Baltimore, mieux vaut être chanceux que bon (dixit Bunk) et tout dépendra du sort pour ces gamins introduits dans le jeu malgré eux sans que l’on puisse leur donner une chance de rêver leur avenir. Autant que le résultat, le chemin fait avec eux vaut vraiment le coup. Très bien introduits durant le premier épisode par un stratagème pittoresque contre une bande d’un autre quartier, on les suivra au gré de leurs mésaventures entrecoupés d’initiations cruelles à la réalité et de moments comme les vivent n’importe quelle bande de jeunes. Tout est décrit finement, avec le bon langage, peuplé de moments et anecdotes qui ne sonnent jamais faux (l’histoire des zombies, très poétique, évoque leur vision des corps dans les maisons et une acceptation progressive de la dure réalité). Les acteurs sont formidables et rivalisent avec les institutions de la série. Voir l’issue du parcours de certains d’avérera difficile car au final un seul s’en sortira dans le groupe, et pas forcément le plus prometteur.
SCHOOL'S OUT
"Les enfants vont apprendre, mais où ?" - Ed Burns
Comme le montrent certaines images du générique, le thème principal de la saison sera l’absence d’éducation des jeunes. Pour nous acclimater à cette vue nouvelle un peu en marge des mondes qu’on nous a montrés jusqu’ici, David Simon et Ed Burns ont su judicieusement recycler trois figures de la série, trois témoins tous trouvés des dérives du système éducatif. En l’absence de McNulty, c’est au tour de Prez de tenir le gros rôle et ce n’est pas pour rien que Simon se plaît à dire que ces deux personnages sont les identifiants d’Ed Burns dans la série. Ce dernier a effectivement bossé dans la police et a été prof de collège. S’il a également fait le Viet Nam, ce dernier poste est de son propre aveu le pire qu’il ait eu. Prez quitte une institution en perdition pour en rejoindre une autre. Dans le premier épisode s'effectue déjà un parallèle entre des séances de formation des profs et de la police (sur le terrorisme) très théorique et loin des réalités, raillées par le personnel qui n’attend que des réponses à ses problèmes. Une manière de nous montrer que l’école ne sera pas meilleure que les institutions qu’on a vues jusqu’ici, qu’elle fonctionne autant en vase clos par des chiffres et des standards.
Cette saison parlera sans doute plus à notre pays qui a eu l’occasion, avec le très bon Entre Les Murs, d’aborder certains de ces problèmes à une échelle moins complexe. Notre système éducatif est différent mais on élude autant les problèmes au profit de sujets annexes et le passage automatique des élèves trop vieux commence à se développer (moins évident, mais qui menace aussi les plus délaissés de notre système). Prez découvrira à ses dépens qu’au lieu d’apprendre, on enseigne aux élèves les questions du test d’Etat pour faire du chiffre, et que ce chiffre lui même doit être trafiqué, à la vue des retards des élèves. Le terrorisme qui a fait couler certaines affaires de la Major Case Unit, c’est un peu dans cette saison la rigueur prônée par les inspecteurs au dépens de la socialisation. A ce sujet, Simon et Burns établissent une nouvelle expérimentation, effectuée par un personnage mémorable de la saison dernière réutilisé une fois de plus à bon escient : Bunny Colvin. Son story arc le conduit à aider, avec la collaboration d’un sociologue, le département d’études sociales de l’université de Maryland pour mener à bien un programme pilote visant à prévenir la délinquance de dix élèves (dont Namond). Les gamins des corners perturbent ceux qui peuvent rester en place, les gamins des perrons (copyright Colvin / Burns) et le but de l’expérience est de les séparer des autres pour les socialiser. La classe constituée montrera qu’ils ne s’intéressent qu’à ce qu’ils connaissent, les corners, et qu’il est difficile de leur faire apprendre quelque chose qui s'en éloigne. Ce n’est pas leur vraie école, la vraie est à l’extérieur. Ainsi lorsque "Prezbo" peine à enseigner les mathématiques à ses élèves, Chris n’a aucun mal à enseigner à tirer aux mêmes jeunes. Dans une scène très intéressante, Colvin emmène les gagnants d’un jeu au restaurant et on remarque qu’il est difficile pour ces enfants des corners de supporter ce qui ne cadre pas avec leur quotidien. Colvin comprend vite qu’ils apprennent pour leur monde, qu’ils savent ce qu’on attend d’eux et où ils atterriront. Cette classe sera pourtant, et malgré son arrêt, une expérience positive. Mais l’Etat, plus préoccupé par ses affaires internes, laissera l’expérience sur le carreau, comme elle a creusé un trou de budget dans l’éducation durant des années : Colvin se demandera au final à quoi peuvent servir ces études si elles ne sont pas relayées par autre chose que des universitaires.
L’expérience de Prez, au départ proche du cauchemar, s’avérera également riche en enseignements. Il découvrira qu’il faut que les gamins pensent ne pas apprendre pas pour qu'ils apprennent. Il finira même par s’attacher à quelques uns de ses élèves (Dukie en particulier) et par s’impliquer au-delà de son poste d’enseignant. On connaissait déjà son implication lorsqu’il était détective à l’Unit et cela fait du bien de voir cet excellent personnage trouver peu à peu sa place. Cutty passe aussi du coté du collège, un troisième recyclage astucieux qui permet de couvrir la gestion de l’absentéisme. A Baltimore, on ne fait venir ceux qui font l’école buissonnière que seulement un jour dans le mois afin de remplir le quota des subventions.
Durant toute cette saison, Simon et Burns nous montreront à quel point l’éducation est une question importante à tous les niveaux et que traitée par dessus la jambe, elle débouche à des impasses dangereuses compte tenu de ce qui pousse les gamins dans les rues. Dans le carré bienveillant Colvin / Cutty / Carver / Prez, tous ont un rôle majeur auprès de ces jeunes et ce malgré leurs métiers dissemblables, et représenteront une figure paternelle pour chacun de nos adolescents. Travaillant sur le terrain, ils rejoignent les flics nés que sont Bunk, McNulty, Greggs et Freamon, et ne sont pas moins nécessaires. Si la plupart échoue, c’est à cause des règlements lourds et des procédures. Le même constat auquel la série nous a habitué : on sait qu’il est difficile de lutter contre ce système, même si l’homme au cœur de la machine apporte un peu d’espoir. La chute des jeunes est la conséquence directe de l’obsolescence des système éducatif et des services sociaux. Mais parfois il y a un espoir. C’est vers cet espoir que se tournent les créateurs de la série en finissant la saison sur un jeune des corners passé de l’autre coté.
UN NOUVEL ESPOIR ?
Après l’introduction de la saison 3, nous continuons de suivre les arcanes de la politique par l’entremise de Thomas Carcetti. Les primaires de Baltimore nous invitent au cœur d’une campagne faite de coups bas et de dessous de table. Carcetti est désintéressé par ce jeu. Il maudit les heures de campagne, les sondages, les jingle pub, les fonds à récolter et les meetings et supporte les propos cyniques de ses directeurs de campagne (donc ceux du désabusé Norman). Un maire blanc à Baltimore c’est irréaliste et tout semble perdu à ce stade. Mais il y a pourtant un peu d’espoir en ce Carcetti pour son coté atypique, ses idéaux et le fait qu’il ait encore des scrupules (la scène de l’enterrement du "témoin"). Tout ça est bien sûr voulu.
La roue tourne en sa faveur lorsqu’il se voit récompenser de son geste de l’an dernier pour la protection des témoins. Dès lors, il devient le challenger de Royce et la campagne prend une nouvelle tournure. Le maire en fonction se sert du personnel de la ville pour mettre des bâtons dans les roues de Carcetti et commence à menacer quiconque ne l’aiderait pas à bloquer la route à son challenger. Il fait végéter l’enquête qui déservirait ses intérêts, lance des calomnies de dernière minute et son caractère est dévoilé au grand jour, celui d’un enfant qui ne veut pas perdre son joujou. La campagne est aussi intéressante de par sa couverture médiatique et la réception qu’ont les différents proatgonistes des débats télévisés et des élections. Carcetti devient vite l’homme providentiel.
Suite à son élection, le procureur Bond étant élu District attorney, Pearlman est promue aux homicides grâce aux assignations de Lester. Daniels finit par intéresser le nouveau maire qui cherche un noir pour remplacer Burrell. II lui fait très vite confiance, lui offrant le grade de colonel dans la perspective de plus. Dès lors, Daniels a la bénédiction de Rawls pour refiler la Major Crime à Lester. Carcetti claironne enfin qu’ils en ont fini avec les statistiques et que désormais, seuls les résultats compteront. Une vraie révolution pour le spectateur de la série qui commence un peu à y croire, malgré les ambitions clairement affichés de l'homme.
Mais à Baltimore, le maire doit bouffer la merde de toutes les communautés et en ce sens, la joie de Carcetti suite à son élection sera de courte durée. Décidant de virer Burrell, il ne parvient qu’à entraîner une situation ridicule lorsque ce dernier décide, pour se garantir, de faire monter les arrestations. Le changement est dans l’air mais les vieux de la vieille comme McNulty y croient peu. Les réunions avec compromis dans lesquelles le maire doit composer avec les membres du Conseil, pour certains aigris de ne pas avoir eu leur place, remplacent les séances d’humiliation de la saison dernière. Carcetti récupèrent à son compte les dettes de Royce, notamment sur l’éducation et doit se mettre à genoux devant Clay Davis, la personnification de tout ce qui va mal dans le monde politique. Le jeu se renferme petit à petit sur Carcetti malgré sa bonne volonté, et le dernier épisode, loin d’être une lueur d'espoir pour la politique de la ville, n’est qu’une introduction aux problèmes de la saison 5.
Cette saison 4 est une saison très noire et malsaine, cynique, qui renforce certaines légendes (Omar) et qui en crée de nouvelles. Une saison qui se rapproche également plus de ses multiples personnages, qui prend son temps pour les filmer et nous réserve d'autres interactions d’anthologie. Sur Ecoute a, l'air de rien, réussi à nous transporter dans le point de vue de ses auteurs. Il est étonnant que les agressions dont Bubbs est victime et sa descente aux enfers après le drame de Sherrod puissent autant toucher le spectateur. Lorsqu’après les événements de la première saison, on en vient à s’émouvoir pour un personnage comme Bodie, on peut dire que la série a réussi son coup.
Mais on n’a aucun problème à sourire lorsque Herc tombe sur Royce en fâcheuse posture avec une secrétaire et qu’il longe le couloir tout contrit devant les portraits des précédents maires, à être amusé par l’absurdité du coup de la caméra et des conneries qui coûteront les galons à ce même Herc, à voir le défilé des mères célibataires autour de Cutty, l’inimitable Lester qui sans l’air d'y toucher paternalise une Rhonda Pearlman souhaitant attendre l’issue des élections pour distribuer les assignations contre les puissants de la ville, voir Lester, Greggs et Sydnor amener en personne les assignations, Bubbs rencontrer Prez à l’école et lui parler de sa "couverture", l’accueil de Greggs aux homicides, le plaisir de retrouver Lester et Bunk faire équipe, le passage d’Omar en prison avec un contrat sur sa tête ou lorsque Carcetti vient visiter la criminelle. Et nous pourrions encore en citer d'autres. Autant de clins d’œil et de grands moments qui prouvent que Sur Ecoute est toujours capable de passer de la peur aux rires et du rire aux larmes en un claquement de doigt, augmentant sa portée et sa richesse à chaque nouvelle saison. Au bout de quatre ans, peu de séries peuvent encore se vanter de tant de qualités.
THE WIRE - SEASON 4
Réalisation : Joe Chapelle, David Platt, Christine Moore, Seith Mann, Dan Attias, Anthony Hemingway, Jim McKay, Brad Anderson, Agnieszka Holland, Alex Zakrzewski, Ernest Dickerson
Scénario : David Simon, Ed Burns, Richard Price, David Mills, Ezric Overmeyer, Richard Price, William F. Forzi, Dennis Lehane, George Pelecanos, Kia Corthron
Producteurs exécutifs : David Simon, Robert F. Colesberry, Nina Kostroff Noble, George Pelecanos
Photo: Uta Briesewitz
Interprètes : Clarke Peters, Jim True-Frost, Wendell Pierce, Seth Gilliam, Lance Reddick, Deirdre Lovejoy, Sonja Sohn, Domenick Lombardozzi, Aidan Gillen, Dominic West…
Origine : USA
Commentaires
Je découvre la série The Wire en ce moment. Merci pour cette critique pertinente de la série, qui me donne envie de poursuivre mon visionnage !
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