Les Trois Royaumes - Version intégrale
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- Critique par Nicolas Zugasti le 13 novembre 2009
Chaud Cao Cao
Les valeurs sûres ont la peau dure ! Grande année pour les maîtres que l’on croyaient vieillissant, après Eastwood et Miyazaki voilà que Woo se rappelle à notre bon souvenir. Et après Cameron en fin d’année, ne manqueront plus que Big John et McT en 2010 pour que la fête soit complète.
John Woo, pour donner corps à cette fresque épique illustrant une bataille et des textes fondateurs de l’Empire du Milieu, a bénéficié de l’appui logistique du gouvernement chinois tant financier qu’humain, l’armée fournissant des hommes pour la figuration. Résistant à cette pression, il a su adapter le (et non s’adapter au) Roman Des Trois Royaumes de Luo Guanzhang et Les Chroniques Des Trois Royaumes de Pei Shongzhi tout comme la vérité historique (bon, comme ça concerne les Chinois, aucun Ferenzci ne devrait mener la charge) pour livrer une œuvre personnelle où sont abordés et encore plus accentués ses thèmes de prédilections (foi, amitié, amour, loyauté) et y ajoute celui de la communion environnementale (nature, topographie des lieux). Woo fait preuve d’une grande maîtrise narrative et exigente, se refusant à régurgiter de manière simpliste pour le spectateur occidental un récit aussi représentatif de l’âme chinoise. Surtout, il fait preuve d’une subversion étonnante au sein d’un tel projet puisqu’en se bornant à reconstituer à sa manière la bataille de la falaise rouge, il choisit de louer les qualités humaines et humanistes des assiégés s’opposant à un impérialisme dévastateur et tragique. Si tout ceci est aisément discernable par l’entremise du montage international de 2h25 (et supervisé par Woo lui-même), cela vous explose à la gueule grâce la version originelle de 4h30. Même visionné sur un écran domestique, le film vous happe littéralement.
Concernant ces deux versions existantes, signalons que le DVD édité par Seven 7 sorti courant octobre est non seulement minimaliste côté bonus (et vu l’épopée qu’à dû constituer un tel tournage, c’est assez étonnant) mais l’absence du montage original est proprement scandaleuse. Bien sûr, il existe la solution de l’import (nd ministère anti-culturel : "Ou du téléchargement, hein ? Bande d’irresponsables !) mais ce traitement montre bien le respect accordé à l’intégrité d’une œuvre qui ne vaut pas grand-chose en matière de marketing et de parts de marché à conquérir : "T’as quoi là coco ? Le dernier John Woo ? Chouette, j’adore Nic Cage ! Quoi ? Il est même pas dedans ?! En plus ça dure quatre heures et des bananes ? Allez envoie, on fera raquer les fans de Resserre-moi l’Anneau là , le machin avec les hobbites. Attends, ton film là il y a que des bridés. Non, non, non, les gens vont rien comprendre, ils se ressemblent tous. Ouais, ben ça se voit que tu lis pas Brazil, un de leur rédacteur, Couard je crois, l’écrit très bien." Une retranscription fictive mais qui pourrait être tout à fait plausible.
Quitte à digresser un peu, un petit mot sur le titre français inopportun tant il n’entretient finalement qu’un lointain rapport avec le projet artistique de John Woo. En effet, la forme triangulaire imposée par le titre est totalement absente du métrage, qui se concentrera plus spécifiquement sur des oppositions et confrontations binaires que ce soit à l’intérieur de chaque camp ou par les actions menées de l’un envers l’autre. Certes, on observe l’émergence d’un triangle amoureux mais il n’est pas encore question de construction politique tripartite. Et pour cause, la bataille reproduite avec faste par Woo est le moment clé dans la chute de l’Empire Han et l’avènement des Trois Royaumes qui interviendra douze ans après. Le premier ministre Cao Cao, au nom de l’Empereur, veut unifier les multiples potentats composant l’Empire et décide de les soumettre par la force. Le stratège de Liu Bei (dirigeant du royaume de Wu) Zhuge Liang estime qu’un équilibre sera maintenu s’il ne subsiste que trois royaumes. D’où les stratégies d’alliances pour regrouper sous le commandement de Zhou Yu (Tony Leung dans le film) les autres seigneurs menacés par Cao Cao qui connaîtra en 208 après J.C. lors de cette fameuse bataille homérique sa plus cuisante défaite (imaginez la honte sur plusieurs générations : 200 à 500 000 hommes battus par 50 000 !). Elle sera connue comme celle de la Falaise Rouge (Chi Bi, le titre en V.O) à cause du feu ardent ravageant la flotte de Cao Cao qui donnera ses éclats rouges à la falaise.
Les Trois Royaumes marque donc le retour de Woo sur sa terre natale après une escapade de près de quinze ans aux Etats-Unis et le moins que l’on puisse dire c’est un retour triomphalpuisque après trois derniers films certes sympathiques mais manquant de vigueur (Mission: Impossible 2, Windtalkers, Paycheck), le réalisateur rassure sur ses aptitudes et semble avoir retrouvé paradoxalement sa liberté d’action et son enthousiasme aux commandes de ce projet d’envergure pharaonique qu’il souhaitait mettre en images depuis presque vingt ans. Les tableaux qu’il livre sont d’une beauté incroyable et son découpage millimétré lui permet de nous entraîner dans des combats inouïs voyant le spectaculaire s’accommoder merveilleusement d’une stratégie rendue aussi limpide et lui permet de construire, sans nous perdre, un écheveau stupéfiant d’intrigues, de rencontres diplomatiques qui rythmeront toute la première partie. Woo suivra notamment le fil des pérégrinations de Zhuge Liang (Takeshi Kaneshiro) qui tissera un lien pragmatique entre les différents seigneurs de la guerre et que les événements transformeront en amitié indéfectible. Zhuge Liang le stratège émérite dont la capacité à décrypter le langage de son environnement – qu’il soit végétal, élémental, animal ou humain – sera déterminante. Par son intermédiaire, Woo unira le micro et le macroscopique (la carapace d’une tortue qui dans un fondu enchaîné devient une formation militaire), la petite histoire (les sentiments d’amour et d’amitié entre lui et Zhou Yu) et la grande (le front). Ce que la version longue révélera (entre autres) est une rivalité empreinte de respect mutuel qui au lieu de les opposer les uniras.
En outre, voir les deux parties consécutivement expose pleinement l’ampleur prise par le récit notamment dans la complexité des personnages bien plus contrastés et troublants (Zhou Yu est un impitoyable stratège) et redonne une importance fondamentale aux femmes que le montage vu en salles avait salement évacuées. Notamment la jeune espionne Chiling Lin qui, lors de son opération d’infiltration, tombe amoureuse d’un soldat ennemi et noue avec lui un relation ambiguë et ambivalente (déguisée en soldat, elle n’est pour lui qu’un compagnon d’arme). Il en va de même de Wei Zhao, la femme de Zou Yu, convoitée par Cao Cao jusqu’à l’obsession (une reproduction de la belle trône dans son antre), ce dernier allant jusqu’à faire adopter à une servante lui ressemblant vaguement ses attitudes et ses postures. On reconnaît bien là Woo le romantique, tous les enjeux stratégiques, politiques, territoriaux volant en éclats face à un enjeu aussi puissant que l’amour d’une femme. Tout se résumera à sauver la belle, ce qui nous vaudra une confrontation finale aussi époustouflante, bien que plus intimiste, que les combats ayant précédés. Ce souffle épique constant, la hantise d’un personnage féminin rappelle le wu xia pian de Tsui Hark, Seven Swords dont Ravage renvoie la même impression tragique que Cao Cao. Deux films pourtant clairement opposés dans la réalisation (plus posé, moins chaotique pour Woo) mais qui reposent sur une même dramaturgie d’abord liée à leurs caractères. Woo n’oublie pas les morceaux de bravoures nombreux articulant son film, les combats sont extrêmement bien découpés, excitant au plus haut point et sont un mélange génial d’authenticité et d’icônisation wu xia (les héros charismatiques sont définis chacun par une aptitude spéciale et leur maîtrise est visuellement soulignée par leurs envolées et leur exploits guerriers à un contre vingt) et dont les mouvements et la célérité n’entament jamais la lisibilité.
Les Trois Royaumes est un vrai bonheur cinéphilique à découvrir impérativement dans sa version longue. Pour toutes les qualités exposées plus haut et parce que d’une certaine manière, cela venge ou plutôt console des versions tronquées et amputées (et qui le resteront sans doute malheureusement à jamais) des deux autres chefs-d’œuvres guerriers que sont Seven Swords et Le Treizième Guerrier.
CHI BI
Réalisateur : John Woo
Scénario : John Woo, Khan Chan, Cheng Kuo, Heyu Sheng
Production : Terence Chang, Dong Yu, John Woo…
Photo : Yue Lü & Li Zhang
Montage : Robert Ferretti, Angie Lam, Hongyu Yang
Bande originale : Tarô Iwashiro
Origine : Chine
Durée : 2h25 (version internationale) / 4h30 (version chinoise)
Sortie française : 25 mars 2009