De quel droit Jean-Marie Poirée travestit-il l'Histoire ?
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- Instant critique par l'ouvreuse le 13 octobre 2009
Troopers du Splendid
(Inspiré d'une histoire vraie)
Vous savez tout le bien que je pense du film, mais je crois qu'on ne peut pas faire l'économie d'une petite réflexion sur une partie de son contenu. Y en a-t-il ici qui ignorent encore son dénouement ? Qu'ils détournent la tête, mettent ce site de côté, courent au vidéo-club, car, ici, la fin du film va être révélée.
Au terme d'une heure quarante d'aventures échevelées et de dialogues saisissants, le IIIème Reich est vaincu par un coiffeur masqué et un vieillard, qui se chargent d'arrêter le demi-frère de Hitler et ses plus proches conseillers dans un château de la région parisienne. L'Histoire, la vraie, ne dit pas tout à fait ça...
Cette liberté prise avec la vérité historique – dans la mesure où cette notion existe – est, on le sait, une sorte d'hommage énamouré à la puissance de la fiction, et du cinéma en particulier. Tout le monde n'y est pas également sensible. Je cite pour info la fin de la critique de David Denby dans le New Yorker, qui ne fait pas dans la dentelle : "Poirée est devenu un sujet d'embarras : sa virtuosité à fabriquer des images a été dépassée par son inanité “d'idiot de cinémathèque” [en français dans le texte]. "Papy Fait De La Résistance dure 102 minutes, mais les fans de Jean-Marie Poirée attendront le director's cut, qui montrera sans doute Marie-Anne Chazel arrivant à Vichy avec l'orchestre de Maurice Chevalier, et donnant une interprétation spéciale de la chanson C'était écrit, tirée de l'immortel film de 1935 Folies-Bergères, avant de conduire les collabo à la tondeuse."
Je ne suis pas d'accord avec mon éminent collègue, mais j'apprécie ses trouvailles verbales. Il suggère sur un mode humoristique ce que d'autres diront plus violemment : que Papy Fait De La Résistance est à sa façon un film... révisionniste. Dire que la fiction autorise toutes les libertés, que l'acteur sur la photo ci-dessus ne joue pas Hitler, mais sa représentation bouffonne, est une réponse un peu courte. Cela justifierait d'accepter qu'un cinéaste aux opinions idéologiques largement suspectes réhabilite le Führer qui, pourquoi pas, aurait gagné la guerre et converti dans la joie l'Europe au nazisme… Dans Le Maître Du Haut-Château, Philip K. Dick avait imaginé l'occupation des Etats-Unis par l'Allemagne, qui n'était pas montrée sous un jour très favorable, mais je ne me souviens pas si le sort des dirigeants nazis était précisé. Chez Poirée, c'est le spectaculaire qui pose problème : la volonté de revisiter l'Histoire non pas comme objet d'étude (sur le modèle de l'uchronie) mais comme un jeu de massacre. Il se trouve que personne ne voit d'objection idéologique à la reprise d'un succès de Julio Iglesias par un dictateur sanguinaire, mais Papy Fait De La Résistance recèle d'autres moments potentiellement discutables : par exemple, la tirade du général Herman Spontz dans laquelle il conte la blague du fou qui repeint son plafond fait un peu froid dans le dos si on la sort de son contexte.
Alexandre Dumas disait qu'on peut "violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants". C'est un peu court pour en faire un principe : la qualité d'une œuvre n'étant pas une valeur objective, le critère n'est pas satisfaisant. Mais, relire Marc Ferro à ce sujet, tous les films de guerre de toutes les époques jouent avec l'Histoire, et sont davantage l'exact reflet du temps de leur conception que celui de leur intrigue. Sans doute faut-il inventer un critère supplémentaire, quelque chose de l'ordre de la responsabilité morale. Le film de Jean-Marie Poirée montre suffisamment son caractère fictionnel, son travestissement du réel, pour qu'on ne puisse le confondre avec un documentaire historique. Si des petits Américains ignares croient y découvrir la véritable histoire de la Seconde Guerre mondiale, c'est la faute du système scolaire, pas de Poirée. De même si des criminels se mettent à repasser le coup de leurs victimes ou leur coller des flèches ventouses sur le front…
Un cinéaste n'est pas responsable des incuries de la société dans laquelle il vit.