Seven Swords
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- Analyse par Nicolas Zugasti le 29 mai 2009
Raiders of the lost Hark
"Et voici le meilleur réalisateur du monde !" Ainsi parlait Tarantino lorsqu'il présenta Tsui Hark aux autres membres du jury cannois qu'il présidait en 2004. Certes ce n'est pas le meilleur de ses films, mais Seven Swords aurait dû exposer son talent à une reconnaissance internationale.
Au début du XVIIe siècle en Chine, la dynastie mandchoue des Qing vient de prendre le pouvoir. Face aux révoltes nationalistes organisées par les sociétés secrètes d'artistes martiaux et dans l'optique de renforcer son contrôle, le gouvernement décrète une loi bannissant la pratique des arts de combat. Ravage, un ancien général de la dynastie précédente décide d'aider à l'application de la loi afin de faire fortune en attaquant et massacrant de nombreux villages. Près de la frontière, un village résiste encore et toujours à l'envahisseur. Pas de potion magique pour les y aider mais la pratique des arts martiaux et l'intervention de maître Fu, ancien bourreau, qui, soutenu par deux villageois, s'en va au Mont Céleste quérir l'aide de l'ermite maître Shadow Glow qui dépêche quatre de ses disciples pour former un groupe de sept combattants apte à sauver le village et porter la révolte contre l'empereur.
Un synopsis déjà bien développé qui ne rend pourtant compte que d'une infime partie du récit développé par Tsui Hark. Une ampleur démesurée que le scénario a bien du mal à contenir. Celui-ci adapte un célèbre roman signé Liang Yusheng intitulé Les Sept Epéistes Du Mont Céleste, ouvrage faisant partie de la série du Mont Céleste, narrant les aventures de Cho Yi Hang, la sorcière aux cheveux blancs, et de maître Shadow Glow et leurs disciples, le groupe des sept étant composé de quatre élèves de Shadow Glow, deux de la sorcière et un de Cho Yi Hang. L'adaptation faite par Tsui, en adjoignant aux combattants deux habitants de Martial Village, permet l'union entre la mythologie et le réel. Des liens que le film va s'ingénier à tisser de plus en plus profondément et intensément afin de livrer une oeuvre majeure, profonde, épique et héroïque. Et pourtant, le film sera loin de faire l'unanimité, il sera même parfois incompréhensiblement déconsidéré par rapport aux néo wu xia pian tels Tigre Et Dragon, Hero ou même Le Secret Des Poignards Volants.
Avec Seven Swords, Tsui Hark n'escomptait pas seulement livrer une relecture du film de Akira Kurosawa Les Sept Samouraïs et redonner ses lettres de noblesse à un genre, le wu xia pian, en train de se résumer à des acteurs suspendus à un fil et des voiles multicolores tourbillonnant, mais bien livrer LE wu xia pian ultime. Une démesure et une ambition qui sont représentatifs de la personnalité de Hark. Tellement généreux qu'il se retrouve régulièrement restreint par des impératifs économiques.
Seven Swordsle vérifie une fois de plus et semble même représenter la dernière limite franchie par le réalisateur qui se contentera par la suite d'œuvres plus modestes.
Au départ envisagé comme une fresque de six heures, puis ramenée à une durée de plus de quatre heures avant d'être au final un film de 2h30, l'univers créé devait également se décliner sous forme de deux séries télé – l'une constituant une préquelle, la seconde une séquelle – d'un jeu vidéo et de bande-dessinées.
De tous les dérivés envisagés ne subsiste plus qu'une série de 39 épisodes de quarante minutes produite en 2006 et qui reprend l'histoire traitée dans le film et la développe, ainsi qu'un album de BD qui constitue une sorte de préquelle, composée de sept courts récits mettant en scène les porteurs des fameuses épées. Chacun est donc représenté apprenant la maîtrise de son arme et mener individuellement la lutte contre la dynastie Qing venant tout juste de supplanter celles des Ming. Les histoires ne resteront pas dans les mémoires mais l'intérêt réside ailleurs et notamment celui de revenir plus en détail sur l'origine des légendaires épéistes et de lier chacun à un style graphique différent. De belles images assemblées dans un montage dynamique et qui n'éclairent que partiellement les caractères mis en scène par Hark.
SEVEN BLADES
Oeuvre incomplète, Seven Swords n'en est pas moins passionnante. Et malgré les restrictions subies, les imperfections, le foisonnement de pistes narratives se télescopant, le film est à ranger aux côtés de The Blade du même Tsui Hark comme une référence incontournable. Les liens et les correspondances entre ces deux films, à dix ans d'écart, ne sont d'ailleurs pas anodines.
En 1995, déjà , Hark avait souffert de ne pouvoir livrer la vision totale qu'il avait de The Blade mais avait encore plus souffert de l'incompréhension qui avait accompagnée sa réception. A l'image de Mc Tiernan la même année avec Die Hard With A Vengeance, définitivement célébré comme un gros bourrin tournant des films d'action super fun, Tsui Hark était réduit à sa capacité à filmer avec maestria des affrontements violents et sanglants. Plus que des films illustrant magnifiquement le genre dans lesquels ils s'inscrivent, The Blade et Die Hard III constituent des oeuvres immenses car avant-gardistes, leurs auteurs définissant le récit suivant une approche réaliste pour filmer l'action, McT inventant de nouvelles trajectoires avec une caméra accrochée aux basques de McClane, tandis que la caméra embarquée de Hark donne une impression inédite et surprenante de reportage au sein d'un genre habituellement marqué par le sceau du classicisme. Ainsi, les personnages disparaissent du cadre suivant leurs déplacements ou leurs actions, entraînant parfois de brusques recadrages, laissant ainsi une liberté d'action totale aux interprètes.
Avec Seven Swords, Hark poursuit ses expérimentations, moins sur la façon de filmer que d'envisager les combats. Dans un souci d'authenticité, les performances câblées sont donc proscrites, n'en subsistent que quelques traces, ceci afin de redonner son importance aux exploits physiques et souffrances corporelles. Et comme dans The Blade, le sang, les larmes, la sueur, mélangés à une poussière environnante traduisent le retour à l'organique opéré par Tsui Hark au sein d'un genre opératique par excellence. Ce réalisme frappant les deux films se traduit à l'image par un abandon de la verticalité caractérisant des œuvres plus mainstream afin de se cantonner à une horizontalité plus véridique. Cette exigence d'authenticité se retrouve elle dans les sentiments exprimés et au niveau des mouvements de caméra moins virevoltant ou tape à l'oeil. Pas d'élévation artificielle, elle est le fait des paysages naturels et sublimes du Mont Céleste (province de Xinjiang), de l'évolution morale des différents personnages qui transcendent leurs griefs.
Seven Swords est un film mutilé (dans sa durée, dans son programme puisqu'un décret impérial interdit l'usage des arts martiaux) le rapprochant un peu plus de The Blade et son sabreur manchot. Deux films complémentaires pouvant être considérés comme des reflets inversés. Les principaux liens tissés le sont dans cette recherche de vélocité entamée avec The Blade et contrariée avec Seven Swords. Au mouvement presque perpétuel de l'un s'oppose des plans contemplatifs dans l'autre. C'est particulièrement frappant lors de l'infiltration des guerriers dans le repaire de Ravage (Fire-Wind en V.O) où Chu (Donnie Yen) tente de soustraire la favorite du barbare, Perle de Jade, à la garde de son bras-droit, les trois protagonistes se retrouvant figés, seule la caméra se déplace de part et d'autre de l'axe crée par un mur avant que ne débute un combat caractérisé par une économie de mouvements. Un contraste saisissant avec la célérité obsessionnelle du manchot qui multiplie les mouvements de toupie et les tournoiements pour rivaliser avec un ennemi capable de voler.
A cette agilité permanente, Seven Swords oppose une puissance physique afin de lester les personnages. Et notamment Ravage qui, contrairement à l'ennemi de The Blade, apparaît moins mobile, d'ailleurs souvent représenté assis en pleine introspection et participant peu à l'action. Ainsi, les duels concluant chaque film constituent deux manières divergentes d'illustrer un même enjeu, la maîtrise de sont art (martial ou cinématographique). En plein air et tout en fluidité pour The Blade, confiné entre deux murs rapprochés pour Seven Swords.
Enfin, les correspondances entre les deux films se déploient dans leur vision politique et résistante des arts martiaux. Émancipatrice pour The Blade, le manchot y a recours afin de compenser son handicap et pour s'affranchir de codes féodaux (il est destiné à prendre la suite de son maître à la tête de la forge, il subit les attaques de pillards profitant de sa condition de paysan infirme). Clandestine dans Seven Swords où nos sept guerriers multiplient les actions subversives (infiltrations dans le camp de Ravage, l'aide apportée au village résistant).
TSUI HARK, REALISATEUR DE L'EXTRÊME ET INSOUMI
C'est à une heure de trajet d'Urumqi, capitale de la région autonome du Xinjiang, à l'extrême nord-ouest de la Chine, que Hark a fait bâtir le village qui sert de décor principal. La température y avoisine zéro degré et certaines journées de travail duraient vingt heures d'affilée, l'équipe ayant dû subir des écarts de températures extrêmes, entre les - 30° Cau sommet des Monts Célestes et les 50°C du désert. Des conditions infernales pour un tournage marathon et qui n'aura en rien altéré la détermination du réalisateur, toujours prompt à haranguer acteurs et techniciens pour livrer le meilleur d'eux-mêmes. Un Tsui Hark presque possédé par ce projet de grande ampleur et dont on perçoit sans mal l'importance qu'il représente pour lui. En contant au gouvernement l'histoire de ce village martial refusant de se soumettre au décret impérial huit ans après la rétrocession de Hong Kong à la Chine, Hark exprime en filigrane son irréductibilité, sa liberté artistique. Évoquer la rétrocession devient pratiquement une référence redondante et trop usitée mais on mesure mal son impact sur la société hong-kongaise. Plus qu'un gimmick de critique, son influence est bel et bien essentielle et prégnante dans les films les plus marquants issus de l'ancienne colonie.
Au-delà des tours de forces visuels favorisant sa dimension épique, c'est son caractère politiquement engagé qui rend ce film, certes imparfait, si singulier. Seven Swords développe ainsi l'idée d'une réaction armée contre l'oppression, évoque sans ambages le racisme (figuré par la coréenne Perle de Jade qui est victime d'une suspicion spontanée lorsque la présence d'un traître est envisagée), l'esclavage qui se mue en servitude volontaire (Perle de Jade) et qui se veut avant tout une ode à la tolérance, au pardon (Mulang, dont le père fut tué par le chef du village défend pourtant celui-ci au péril de sa vie) et à la liberté (Chu allant jusqu'à la violence physique pour déconditionner Perle de Jade).
En tous cas, la seule chose de sûre lorsqu'on visionne un film de Tsui Hark, c'est que les certitudes du spectateur comme toute forme de classicisme narratif sont balayées, malmenées par la volonté du réalisateur d'expérimenter de nouvelles formes pour raconter des histoires. Et comme pour la plupart de ses films, écrire, tenter de développer quelques réflexions, c'est prendre le risque de partir dans tous les sens, coucher ses idées sur papier sans véritables articulation logique apparente en se laissant emporter par les sensations que les images ont su engendrées. Et c'est encore plus flagrant avec ce film. Puis avec le recul et une seconde vision se dessine une oeuvre à la complexité narrative insoupçonnée définie parfois comme bordélique tant Hark stimule le spectateur par quantité de sous-intrigues et de personnages. A ce propos, il est erroné de parler de personnages secondaires car bien que Chu prenne une place prépondérante dans l'intrigue, les autres chevaliers apporte leur pierre à l'édifice.
Parcours initiatique, le film explore le thème de l'héroïsme non plus à travers le cheminement d'un héros unique mais ici éclaté en sept facettes. Cet héroïsme est de plus abordé par le biais des destins de l'institutrice Fang, confrontée à la violence de manière dramatique et traumatisante, ou son propre fils Hua qui n'hésitera pas à dénoncer ceux aidant maître Fu mais fera l'objet d'une rédemption, après avoir porté secours à sa mère menacée, en réintégrant le cercle d'enfants du village. Les protagonistes périphériques font ainsi l'expérience du bien, et pour Hark, cette mise à l'épreuve se fait nécessairement par la violence qui forgera leur personnalité. Le chaos dans les films de Tsui Hark n'est pas seulement assujetti à un contexte historique, un environnement urbain ou rural en perpétuelle transformation, c'est aussi un bouleversement moral, narratif (voir les flash-backs inopinés qui semblent peu appropriés ou mal placés) et formel.
NE FAIRE QU'UN AVEC SON ARME
Il est d'usage de dire qu'une arme doit devenir le prolongement naturel du guerrier afin d'accroître l'efficacité des gestes accomplis. Une sorte de liaison symbiotique doit s'installer. Avec Seven Swords, Tsui Hark instaure un lien différent car inversé puisque se sont les sept combattants qui deviennent le prolongement de leurs épées. Le titre même du film l'annonce. La maîtrise viendra non plus de la compréhension et de l'application de techniques de combat mais en se laissant guider instinctivement par les aptitudes de son arme. L'épée Infini est dotée d'une lame coulissante que Wu (Charlie Young) apprivoise progressivement en la maniant comme une flûte, soit avec rythme et dextérité.
Les caractéristiques des épées, à peine abordées dans le film, définissent leur propriétaires. Et Hark de le représenter superbement lorsqu'après avoir sauvé le village, le visage de Chu est tour à tour exposé ou laissé dans l'ombre suivant que Chimère est sortie de son fourreau ou non. Ici l'épée éclaire littéralement sur le guerrier.
La personnalité de chacun semble contenue dans ces armes et c'est définitivement en voyant se battre les sept que se dessinera leur caractère. Mulang (Leon Lai) l'exprime distinctement lorsqu'il effectue quelques passe d'armes avec un des villageois réfugiés dans les grottes, ils ne s'affrontent pas, ils conversent. On apprend à connaître une personne à sa manière de se battre, de se mouvoir. Exactement ce que Séraphin dit à Neo lors de leur première rencontre/affrontement dans Reloaded avant que ce dernier puisse parler à l'Oracle. La séquence au Mont Céleste n'a pour d'autre but que d'introduire les épées dans le récit. Tout juste apprendrons-nous leurs noms et celui de leurs porteurs. Les véritables présentations se feront dès la séquence suivante lorsque les sept repoussent l'assaut du village par les troupes de Ravage. Sans un mot, par la simple successions d'actions, nous entrevoyons leurs diverses personnalités. Le mouvement comme substitut de la parole.
C'est cette recherche continuelle du mouvement qui caractérise d'ailleurs le mieux le cinéma de Hark. Comment inventer de nouvelles formes d'action, les filmer, impressionner durablement la mémoire du spectateur ? Et dans ses expérimentations, le réalisateur en vient à imprimer à sa caméra une chorégraphie à même d'enregistrer au mieux ces corps en mouvement. C'est la caméra au ras du sol dans The Blade, c'est la caméra virevoltante dans Time And Tide, ici c'est la caméra qui se meut au rythme imposé par les sabres. Leur influence est telle que le cadre lui-même est soumis à leurs actions, instable dès lors que l'épée Transcendance tranche le sol ou vibrant au rythme de la pulsation engendrée par le tintement de Chimère.
Conteur hors-pair, Hark ne se laisse jamais dépasser par l'ampleur du projet et parvient à conserver un certain rythme en usant de symboles pour révéler la signification d'une scène, ce qui lui permet de se passer de tout superflu. On l'a vu pour les relations armes / possesseurs mais c'est également prégnant dans la manière d'évoquer l'apprentissage guerrier de Wu et surtout de Han. Ainsi, la scène du lâcher de chevaux dont on peut douter de l'utilité dans le récit : pourtant, si l'on considère l'initiation de Han, simple villageois dont le maître Shadow Glow a fait un élu, le développement de ses capacités exige de renoncer à sa condition paysanne, ce que l'abandon de son cheval traduit à merveille.
Enfin, Hark parvient à renforcer la mythologie mise en scène sans qu'il soit besoin de la rappeler, de la montrer, par le biais du personnage de maître Fu.
Fu Qingzhu qui, après avoir été un tortionnaire de l'armée impériale, se rachète en devenant le guide spirituel des sept. Répugnant désormais à tuer, son arme à la lame souple, imprévisible et tactique est digne d'un sage. Fu interprété par nul autre que Liu Chia-Lang et dont la carrière (il a été notamment un tueur dans Return Of The Swordsman) vient à se confondre avec le passé du personnage, lui conférant une épaisseur et une authenticité inédite. La filmo de cet acteur renommé conférant à l'ensemble une dimension mythique remarquable.
Comme Le 13ème Guerrier de McTiernan, Seven Swords est un métrage amputé d'une bonne partie de son intrigue, ce qui a impliqué un remontage certes imparfait et défigurant la vision originelle de son auteur, mais demeure un film puissant et exaltant. En mettant en scène une dizaine de personnages dont le passé à lui seul mériterait un film, Hark a sans doute vu trop grand. C'est peut être le seul reproche que l'on peut lui opposer, être aussi foisonnant voire confus pour certains. Mais avec une structure aussi éclatée, le cinéaste a fait exploser une narration plus classique et linéaire qui avait finie par s'imposer et expose les limites de l'uniformisation. Comme souvent avec Tsui Hark, ses films sont un joyeux bordel mais des oeuvres fortes, profondes et passionnantes.
CHAT GIM
Réalisateur : Tsui Hark
Scénario : Liang Yusheng (roman), Cheung Chi-Sing, Chun Tin Nam, Tsui Hark
Production : Cheng Yun, Nansun Shi, Pan Zhizhong, Tsui Hark...
Photo : Keung Kwok-Man
Montage : Angie Lam
Bande originale : Kenji Kawai
Origine : Corée du Sud/Hong-Kong/Chine
Durée : 2h33
Sortie française : 30 novembre 2005