Vin Diesel et Fast & Furious : lot de consolation

Les voitures qui ont mangé Vinnie

Affiche Fast And Furious 7

La sortie du nouvel opus de l'improbable franchise du moment s’est soldé par un carton plus improbable encore, explosant les précisions optimistes engendrées par un buzz démarré dans la douleur avec le décès tragique de Paul Walker.


Tout le monde paraît unanime : premier méga-blockbuster de l’année à franchir la ligne d’arrivée dans les salles obscures, Fast And Furious 7 est d’ores et déjà un phénomène (recettes mondiales de 800 millions de dollars en deux semaines !) et entérine une bonne fois pour toutes la conversion de la franchise en Roll’s Royce de l’actionner qui débourre depuis le virage entamé par le quatrième épisode. De simple ersatz de Point Break racolant sur le bitume du meilleur des clips de rap US, Fast And Furious est devenu THE place to be pour le gratin du cinéma d’action mondial, un véritable pourvoyeur de légitimité de gros bras qui se paye le luxe de coucher The Expendables sur son propre terrain (la franchise de Stallone ayant signé sa perte en essayant de siphonner le public des FF par le rajeunissement de casting du troisième épisode). Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : le bousin est une affaire juteuse pour les participants, et en premier lieu Vin Diesel, véritable chef d’orchestre d’une saga qui fut sa malédiction avant de devenir sa planche de salut. Car que l’on ne s’y trompe pas : si Fast And Furious est aujourd’hui l’emblème du cinéma de bourrins qui fait péter le décor, c’est bien à lui qu’elle le doit.

Fast And Furious
En 2002, année de sortie du premier opus, Vin Diesel n’est encore qu’un jeune acteur se dégageant tout juste une place dans le milieu : on commence à retenir son nom, et ses prestations impriment la mémoire de ceux qui ont pu le voir voler la vedette à ses partenaires dans Pitch Black ou Les Initiés. Ne manque plus que le véhicule susceptible de le faire exploser aux yeux du grand-public : ce sera donc le film de Rob Cohen, carton surprise que personne à l’époque n’avait vu venir, et sur le point d’engendrer un véritable phénomène de société dépassant les personnes impliquées, Diesel compris. De fait, si la réception critique s’avère mitigée pour ce qui n’est finalement rien d’autre qu’un teen movie gonflée à l'esprit de rébellion faussement transgressif, façon thug life ripolinée pour catéchistes en baggy, tout le monde tombe d’accord pour parler de révélation concernant son acteur principal. La puissance de son jeu, sa présence physique magnétique et son timbre de voix atypique fait l’objet d’un consensus à peu près général, surtout à une époque où la question de la relève des actions stars vieillissantes commence à se faire insistante. Diesel est immédiatement perçu, aux côtés de The Rock (qui ne se faisait pas encore appeler Dwayne Johnson), comme le salut providentiel d’un genre alors en recherche d’un nouveau souffle. Autant dire qu’en quinze ans, les choses n’ont pas bougé d’un iota.

Toutefois, juché sur son piédestal, Diesel voit grand. Et loin. C’est qu’à l’instar de ses prédécesseurs, le bonhomme a une culture et des ambitions bien éloignées de l’image du costaud bas-de-plafond que les médias se plaisent à véhiculer lorsqu’un acteur draine les foules tout en élargissant les manches de ses t-shirts avec ses biceps. Pas question pour lui rester au stade du bac à sable en continuant à jouer aux tutures ou de faire du snowboard dans des pubs Quicksilver déguisées en film d’action bad ass (le nullissime XxX). Personnifier le déclin d’un genre dont la survie se mesurerait à un démagogique jeunisme, très peu pour lui. C’est ainsi que contre toutes attentes, Diesel refuse le pont d’or offert par Universal pour reprendre le flambeau dans les suites des deux films l’ayant starifié pour s’aventurer dans d'autres contrées. Pas rancunier, le studio lui donne ainsi les moyens de réaliser son rêve et celui de David Twohy en lui permettant de transformer le petit film de SF qui les a faits connaître en échantillon d’une mythologie de space opera fastueuse. Le sort en est jeté : Les Chroniques De Riddick sera la consécration d’une franchise qu’il compte bien faire fructifier sur plusieurs supports (animation, jeu vidéo…). Avec les Chroniques, Diesel tient son atout maître, son morceau de pop culture noble taillé sur mesure. Son Seigneur Des Anneaux à lui, et son fascinant bad mother fucker de héros nyctalope, son Conan perso (le dernier plan fait d’ailleurs sévèrement du pied au film de John Milius).

Les Chroniques De Riddick
Paradoxalement, c’est à ce moment-là que l’étoile de Diesel commence à pâlir. Si Les Chroniques De Riddick explosera les compteurs de vente DVD a posteriori, et se révèle une réussite artistique épique à la mythologie foisonnante, son bide en salles condamne dans un premier temps l’acteur à mettre ses ambitions en sourdine. Ailleurs, ses tentatives pour s’extirper du carcan de son vedettariat ne rencontrent pas plus de succès, y compris quand il frappe à la porte d’un auteur prestigieux pour gagner ses galons d’acteur de composition (le pourtant très bon Jugez-Moi Coupable de Sidney Lumet), où qu’il choisisse de miser sur un petit frenchie qui porte à bout de bras un projet aussi risqué que fragile (Babylon A.D), dont la gamelle au box-office se fera l’écho d’un tournage cauchemardesque. Ari Gold nous l’a assez répété dans Entourage : il suffit d’un faux-pas pour que le hypé d’hier se transforme en has-been d’aujourd’hui. Or, Diesel vient d’en faire trois.

Bon gré mal gré, un retour au bercail s’impose, et tout laisse donc à penser que c’est par dépit que Diesel signe en 2008 pour un quatrième volet de Fast And Furious, qui réunit le casting d’origine pour relancer une franchise au point mort après l’échec du troisième volet. Du moins est-ce le sentiment véhiculé par la mine apathique qu’il arbore tout au long du film, comme s’il se montrait plus préoccupé par l’échéance de la pause-déjeuner que par la scène en cours. Les rumeurs de tension sur le plateau - notamment avec Paul Walker - entérinent ainsi la motivation toute relative de l’acteur, ainsi que sa réputation de diva ingérable gagnée sur le tournage de Babylon A.D. Paradoxalement, Diesel semble avoir ménagé quelques conditions à son retour : il a beau rappliquer à la demeure familiale la queue entre les jambes, pas question de retourner faire le kéké sur les courses clandestines. Le personnage de Dominic Torreto, et la franchise en général, doit s’adapter aux dimensions d’action star de Diesel(dans tous les sens du terme, l’acteur ayant, à l’instar de Stallone entre les deux premiers Rambo, triplé de volume depuis le film de Rob Cohen), qui se voit donc gratifié d’un petit trauma des familles pour justifier le retour en ville et l’aura de vengeur implacable nouvellement acquise par son personnage. Personnage qui passe le film à bien faire comprendre à tout le monde que, bordel, il est fucking back in town. Et ça va chier des joints de culasses.

Babylon A.D.
L’adhésion massive du public, qui permet au film de dépasser toutes les espérances en signant le plus gros score de la saga en salles, démontre deux choses : tout d’abord son implantation (le premier opus en particulier) dans le cœur d’une fan base qui s’est considérablement élargie depuis ses débuts. Ensuite, que sous réserve de la présence du casting d’origine, aussi indissociable de son identité que ses gimmicks les plus identifiables (petites pépées cadrées au ras du short, sublimation emphatique sur les bolides bariolés au son de la playlist rap Rn’B du moment, discours clanique et réac sur la famille, le groupe…), les spectateurs étaient prêt à suivre la franchise dans à peu près n’importe quelle direction.
En homme d’affaire avisé et carriériste opiniâtre (il est désormais producteur), Diesel flaire le bon coup. Les gens ne veulent pas le voir ailleurs que dans les Fast And Furious ? Il n’a pas pour ainsi aucune existence en dehors de la franchise ? Soit : tant qu’à vivre un mariage de raison autant en tirer profit. Même s’il continue de rêver de Riddick, la franchise numéro un dans le cœur de votre voisin persuadé de tyranniser l’asphalte avec l’aileron de sa 205 sera le catalyseur de ses désirs de cinéma : Diesel n’a pas les mains liées par Fast And Furious, c’est Fast And Furious qui est lié à lui et ses envies ; la star inverse le problème et compte bien faire d’un choix par défaut en moteur de son émancipation artistique.

De fait, le bien-nommé nommé Fast Five monte d’un cran dans les hostilités et tape dans le caper movie golmon, le genre permettant à Diesel et au réalisateur Justin Lin de justifier le retour des acteurs ayant parsemé la saga. Surtout, comme pour frapper un grand coup sur le terrain du meeting de gros bras occupé par qui vous savez, Diesel se paye une recrue de poids : le seul et unique Dwayne "The Rock" Johnson. Alors en pleine renaissance après avoir torché le cul des moutards dans des comédies familiales insipides, Johnson s’invite pour un choc des titans annoncé avec Baboulinet, qui ne manque pas de capitaliser sur leur baston pendant la promo. Le résultat est sans appel : Fast Five bat les recettes de son prédécesseur et surtout, conséquence directe de son changement de direction, commence à convertir à sa cause les anciens réfractaires à la saga. Dans la rue, le murmure s’est mué en rumeurs, relayées de lèvres en lèvres jusqu’à ce que l’exaltation commence à surpasser l’incrédulité : et si il y avait un nouveau shérif au royaume de l’actionner bourrino-débile ?

Fast And Furious 5
Le moindre que l’on puisse dire, c’est que Fast And Furious 6 se fait un point d’honneur à répondre à la question. Bien décidé à ne pas laisser s’échapper le public hameçonné par le précédent, Lin et Diesel montent d’un cran en intensité, jusqu’à franchir définitivement les limites du WTF à plusieurs reprises. Désormais promus au rang de quasi super-héros, ses personnages s’affranchissent des lois de la physique sans que l’on prenne peur pour leur vie, au risque de mettre en péril le lien d’empathie qui les unissait au spectateur, grandement tributaire de l’encrage "réaliste" (façon de parler hein) de la saga. Comme si, pressés de les faire jouer dans la cour des grands à égalité avec les archétypes du genre, le réalisateur et la star piétinaient carrément dans les plates-bandes du film de super-héros, au risque d’attiser le courroux de ceux qui n’ont toujours pas digéré l’intrusion des kékés de garage dans leurs univers de prédilection. A ce titre, une scène résume bien le hold-up sur le genre commis par la fine équipe : lorsqu’à la fin, Diesel met en joue un général haut gradé, qu’on devine ancien barbouze / commando / black ops du genre qui pataugeait dans les rizières à égorger du Viêt-Cong quand t’étais encore qu’un vague espoir dans les couilles de ton père, et le fait plier par la force de persuasion de son gun et de son regard impavide. On ne saurait être plus clair : "Dégagez les gars, le Beaujolais nouveau est arrivé, et il n'a pas le même goût que l’ancien". Déclaration qui, au regard des résultats d’Expendables, s’est avérée prémonitoire. 

Fast And Furious 7
Et maintenant, pourrait-on demander ? Et bien, comme on l’a dit, Fast And Furious 7 est parti pour se payer un triomphe finger in the noize et devenir le premier méga-blockbuster de l’année. Surtout, son succès programmé aurait lancé d’office la mise en chantier de trois suites (!), ce qui entérine ce sentiment qui transparaissait dans le sixième épisode, mais qui hurle littéralement de tout son crin dans celui-ci : la licence se dirige vers une déclinaison sous plusieurs suites et supports après avoir posé son univers étendu. Car au final, ce qui intéressait Diesel n’est peut-être pas tant la reprise du trône laissé vacant par Jerry Bruckeimer et Michael Bay que de lancer une méga-franchise prompte à concurrencer Marvel, et à lui permettre d’explorer ses désirs de cinéma. Si la narration feuilletonesque du 6, ses sous-intrigues toutes droit sorties d’un soap (l’invraisemblable retour de Michelle Rodriguez) et son délire du "tout est lié" façon scènes post-génériques de la Maison aux idées ne vous avaient pas mis la puce à l’oreille, alors le septième épisode, avec ses allures de Mission: Impossible idiot, ses personnages appelés à revenir et la démesure ahurissante de leurs prouesses (beaucoup mieux dégrossies que dans le précédent) devrait achever de vous convaincre. Une manière d’ouvrir le champ des possibles pour Diesel et son crew (malheureusement sans feu Paul Walker). Baboulinet devrait pouvoir concrétiser ce qu’il n’a pu réaliser avec Riddick, et ne pourra probablement pas faire au vu du parcours en demi-teinte de ce dernier (ce qui, vu le résultat, n’est pas forcément un mal).

Prisonnier d’un royaume sur lequel il règne plus que jamais, le cas de Diesel n’est pas sans rappeler celui de Stallone, qui dût mettre de côté ses envies de cinéma plus personnelles pour devenir l’égérie hypertrophiée du cinéma d’action des années 80 que réclamait la vox populi, allant jusqu’à convertir ses deux personnages phares (Rocky et Rambo) au dogme de l’outrance institutionnalisée.
Mark Sinclair Vincent a définitivement le champ libre pour consacrer les Johnny du bitume dans la culture actuelle du comic-book movie. Et tout compte fait, on ferait bien de mettre de l’eau dans le vin du bipartisme Marvel / DC comics, un outsider vient de mettre son grain de sel dans le blockbuster US de demain…




   

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