Interview - David Da Silva
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- Making-of par Nicolas Bonci le 22 août 2012
Forever Stallone
Statham, Lundgren, Li, Norris, Van Damme, Schwarzenegger, Couture, Willis… Ils débarquent aujourd’hui sur les écrans avec Expendables 2 : Unité Spéciale, le fantasme des cours de récré des années 80/90. Pour fédérer ces égos aussi gros que leurs bras, il n’y avait qu’un Sylvester Stallone.
C’est l’occasion de revenir sur la carrière de la star derrière Rocky et Rambo. Une carrière qui draina un lot de malentendus qu’il était temps de dissiper.
Pour cela, nous avons rencontré David Da Silva, collaborateur régulier de la revue Manivelle et du site Ecran Large, qui vient de publier Sylvester Stallone, Un Vrai Humaniste chez The Book Edition.
Entre interviews inédites des réalisateurs de Sly (on retrouve Norman Jewison, Martin Burke, Albert Magnoli, Stephen Verona…) et recherche documentée, David Da Silva dépoussière l'icône pour laisser apparaître l'humain.Â
Qu'est-ce qui t'a amené à écrire sur Sylvester Stallone ?
Il n'y avait pas de livre d'analyse sérieuse sur Stallone. Il arrive en fin de carrière et on ne trouvait rien en France sur lui. Les articles sur la filmographie de Stallone dans la presse spécialisée ne concordaient pas avec ce que je voyais. J'ai donc décidé d’écrire l’ouvrage que j'aurais aimé lire, avec une vision plus juste de l'oeuvre de Stallone. Je me suis rendu compte avec mes recherches, et plus encore maintenant que le livre est sorti, que c'est ce que les fans attendaient. Â
Comme tu dis, la bibliographie sur Stallone en France est assez pauvre. Qu’en est-il aux USA ?
Il y a bien plus de publications, et notamment beaucoup d'universitaires qui commencent à faire des études sur Stallone. C'est une génération qui a grandi avec lui et qui n'a donc pas le même regard complaisant des anciens. Je suis assez surpris par le succès du mien ici, qui montre qu'il y avait une attente pour cette approche de Stallone.
Dans ton livre tu compares les réceptions publiques et médiatiques des films de Stallone. On constate que ce qui était perçu et apprécié par le spectateur lambda il y a vingt ans se retrouve aujourd'hui dans les approches critiques. Comment tu expliques ce décalage dans le temps ?
A l'époque s'exerçait un fort anti-américanisme, on était en pleine Guerre Froide, le reaganisme avait de mauvaises vues, deux empires s'affrontaient... La critique pensait que tout ce qui était américain portait un discours pro-américain, alors que même dans Rocky IV, qu'on présente comme le film reaganien absolu, il y a une critique de l'Amérique de Reagan. D’une manière générale les films de Stallone blâment les USA et son gouvernement.
Même The Expendables a été critiqué au Venezuela par Chavez sous prétexte que le film est de la propagande US pour préparer l'invasion future de son pays, alors que le discours du film raille la politique américaine en Amérique du Sud : on voit un dictateur sud-américain mis en place par un ancien agent de la CIA et n'être qu'une marionnette !
Pour revenir à la question, je compare la carrière de Stallone à celle de Clint Eastwood. Pendant une grande période, Eastwood a été qualifié de facho, en particulier à cause des Inspecteur Harry. A partir d'Impitoyable, la critique s'est dit que c'était peut-être un auteur intéressant. Il se passe la même chose avec Stallone depuis Rocky Balboa. Durant la Guerre Froide on disait que c'était le pote à Reagan, dès qu'il y avait un élément un peu américain dans ses films c'était tout de suite de la propagande. Les critiques de l'époque se basaient beaucoup sur cette grille d’interprétation. D'ailleurs ça a donné sa marionnette aux Guignols qui représente l'impérialisme US.
Pour le public, je me suis basé sur les cultural studies, un mouvement sociologique qui part du principe que l'origine sociale d'un spectateur, son époque, etc., conditionnent sa réception d'un film. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé avec des analyses complètement différentes des critiques spécialisées.
Le grand public est beaucoup moins sensible à un drapeau américain dans un coin du cadre. Il s'attache davantage aux messages véhiculés par les personnages de Stallone : se dépasser, prouver quelque chose à soi-même, même si à la fin on perd. Il faut remettre ça dans le contexte des années 80 de Reagan, où la réussite économique prévalait sur tout, où c’est le gagnant qu’on mettait en avant. Et finalement il n'y a pas ce discours dans les films de Stallone. Au contraire, il y a beaucoup de gens qui échouent, qui essaient… Même dans Over The Top, il voulait faire perdre son personnage à la fin, mais le producteur a imposé un dénouement plus optimiste. Stallone ne veut pas pointer du doigt celui qui échoue.
Un chapitre du livre est consacré à ses fans, où l'on se rend compte que pour beaucoup, c'est grâce à Stallone s'ils ont réussi à faire quelque chose dans la vie. Ils étaient complexés, n'arrivaient pas à avancer, et ont pris modèle sur les personnages de Sly et sa philosophie pour leur servir de déclencheur. C'est pour cela que ses fans lui vouent un amour qu'on retrouve peu envers d'autres stars.Â
On réduit pourtant Stallone à une poignée de films qui occultent le reste.
Les plus gros succès de sa carrière sont Rambo 2, La Mission et Rocky IV, ceux qui ont également été le plus qualifiés de reaganien. Ce sont aussi les films les plus simplistes qu'il ait faits.
Les films sociaux de Stallone,La Taverne De L'Enfer, F.I.S.T, dans lesquels il s'est beaucoup investi (il a réaliséLa Taverne), ont été de gros échecs au box-office. Voilà pourquoi lorsqu'on pense "Stallone" viennent d'abord les Rocky IV et cie.Â
Quel est le véritable propos qui se dégage de ses films ?
Sa grande thématique est "le loser qui se dépasse", le loser dans une situation d'échec, qui retrouve un second souffle pour aller de l'avant. Toute la carrière de Stallone c'est ça. Pour le premier Rocky, il meurt de faim, il écrit le scénario en trois jours, et hop Oscar du meilleur film. Le premier Rambo, pareil, il sort de plusieurs échecs, La Taverne De L'Enfer, F.I.S.T, Les Faucons De La Nuit, il collabore au scénario de Rambo, que plusieurs acteurs avaient refusé à l'époque, notamment Dustin Hoffman, Paul Newman...
Avant son grand retour en 2006 avec Rocky Balboa, il était complètement ostracisé à Hollywood, plus personne ne croyait en lui, il avait enfilé les bides, des mauvais films (Compte A Rebours Mortel, Mafia Love, Driven...), il en était même réduit à faire de la télé-réalité avec The Contender. Pour une des plus grandes stars des années 80, c'était triste. Et il s'est surpassé. Il a écrit Rocky Balboa, qui est un très bon film, même si un peu convenu car calqué sur le premier. Mais une réelle émotion s'en dégage. John Rambo était très réussi, et a très bien marché. Il y a eu ensuite la consécration avec The Expendables. Situation d'échec, personne ne l'attend, et il revient. C'est l'histoire de ses films.
Ce qui est intéressant avec John Rambo, c'est que tout le monde attendait un Rambo 4 en Irak ou en Afghanistan pour aller combattre Al-Qaïda, et, contre-pied total, il va en Birmanie, dans un conflit dont tout le monde se fout et met en avant le peuple Karen.Â
En parlant de contre-pied, qu'est-ce qui l’a amené à la comédie au début des années 90 ?
Le besoin de changer d'image. Il sortait de Rambo 2, Rocky 4, Cobra, Rambo 3… Il en avait marre et était sévèrement critiqué de tous les côtés. Cette évolution a commencé avec Tango & Cash, les lunettes, le costard, ce côté un petit peu intello, pour casser son image de brute sans cervelle. Pour la comédie il était aussi inspiré par ce que faisait Schwarzenegger, mais ça n'a pas marché. Je trouve que Stallone est bon quand il est dans de la comédie dramatique, comme le premier Rocky, La Taverne De L'Enfer… Dans la comédie pure, il n'est pas bon, et les projets qu'il a choisis n'étaient pas terribles non plus.
Qu'est-ce qui anime Stallone ? A-t-il des modèles ?
Pour Rocky, il s'est inspiré d'un combat de boxe, Mohamed Ali contre Chuck Wepner, un inconnu dont tout le monde était persuadé qu'il allait perdre, et finalement il a tenu les quinze rounds !
Mais d'une manière plus générale son grand modèle est Edgar Allan Poe, qui, à son époque était considéré comme un loser, un marginal, avec une consécration posthume, et Stallone s'en est inspiré : malgré l'adversité il croit en lui et sa passion.
Il voulait d'ailleurs réaliser un film sur Poe.
Oui. C'est un projet qu'il traîne depuis des années mais qu’il n'arrive jamais à concrétiser faute de financement des studios. Il a écrit un scénario au milieu des années 80, et on en a entendu parler il y a quelques temps puisqu'il devait le faire avec Robert Downey Jr. dans le rôle de Poe. Finalement ça a échoué.
C'est dommage, parce que par exemple Mel Gibson voulait à tout prix faire un film dans sa vie, La Passion Du Christ, il l'a donc auto-produit. Il a mis son argent dedans et l'a fait. Si Stallone tenait vraiment à ce film sur Poe il pourrait le faire. Mais il préfère taper dans les valeurs sûres pour le moment.
Il a mis en scène La Taverne De L'Enfer en 1978. Qu'est-ce qui lui a donné envie de passer si tôt derrière la caméra ?
Réaliser a toujours été son but, il veut avoir un contrôle total. Même quand il n'est pas crédité en tant que scénariste, il intervient sur les films.
Avec La Taverne De L'Enfer, il voulait retrouver l'esprit des films de Frank Capra, qu'il adore, ces films des années 30, 40, aux alentours de la seconde Guerre Mondiale, se déroulant dans des quartiers populaires. Il s'est inspiré du quartier dans lequel il a grandit, Hell's Kitchen à New York. Il y fait évoluer trois frères aux personnalités différentes : le naïf, qui se rapproche de Rocky ; l'arriviste, et le pessimiste blasé. A travers ces trois tempéraments différents, Stallone voulait mettre en avant l'importance des liens familiaux dans la vie de chaque individu, et montrer que la réussite sociale ne prime pas. Le personnage de Stallone essaie de s'enrichir pendant tout le film pour quitter son quartier, mais finira par y rester, avec ses frères, soudés.Â
Stallone ne serait pas le chaînon entre le monde des stars de la A-list et celui des artisans d'un cinéma de genre, populaire ?
C'est à la fois une immense star et quelqu'un proche du peuple. Il s'investit dans ses films, a été nominé pour l'Oscar du meilleur acteur, on le comparait à Al Pacino ou Marlon Brando, il aurait pu faire une bien meilleure carrière. Et au bout d’un moment il a décidé de plaire à son public, de faire des films pour lui. Il a alors enchaîné des longs-métrages d'action, favorisé les succès, les films trop grand public, ce qui l'a un peu perdu je pense puisqu'il en arrivait à se caricaturer, avec Cobra par exemple.
Il s'exprime peu sur son côté créatif et son travail en tant que réalisateur.
Stallone est très présent sur les aspects créatifs de ses films. Les Rocky, c'est lui, ce sont des films d'auteur. Mais il ne veut pas se mettre trop en avant, car s'il parlait publiquement de son travail sur les films en tant qu'acteur, réalisateur, scénariste, il aurait peur de paraître trop narcissique. Sur un plateau c'est le maître, mais en interview il essaie d'être plus humble, de minimiser la mainmise qu'il a sur les projets.
Il a aussi une mauvaise réputation car il a renvoyé pas mal de réalisateurs : Gary Nelson des Faucons De La Nuit, Russel Mulcahy de Rambo 3, Andreï Kontchalovski de Tango & Cash.Â
Est-ce que le désir de contrôle de Stallone l'a éloigné des grands réalisateurs ?
Oui, c'est évident. Il le dit lui-même. Schwarzenegger a eu une plus grande carrière que lui grâce à James Cameron, Paul Verhoeven, John McTiernan… Stallone n'a pas fait ça. Au contraire, il voulait tout contrôler, il menait la vie dure aux metteurs en scène, donc un réalisateur avec de la personnalité évitait de travailler avec Stallone.
Il a eu deux projets avec William Friedkin à la fin des années 80, Gangster et The Executioner, qui ne se sont pas concrétisés car la relation entre eux s'est rapidement envenimée. Ça aurait pu changer la carrière de Stallone.
Un beau film dans lequel il a joué est Haute Sécurité, de John Flynn, un réalisateur des années 60/70 vraiment intéressant. Il avait convaincu Stallone de ne pas intervenir sur le tournage sous peine de refuser le projet. Et dedans Stallone est très bon, sobre, ce qui laisse encore plus penser qu'il aurait pu avoir une toute autre carrière s'il s'était entouré de grands cinéastes.Â
Comment tu penses qu'il va vivre l'épreuve du décès de son fils Sage ?
Ça va être difficile puisque Sage avait vraiment une place à part dans la vie de Stallone. Le personnage de son fils apparaît régulièrement dans sa filmographie : dans les Rocky à partir du 2, la relation conflictuelle dans Over The Top à l'époque où Stallone divorçait…
Si c'est confirmé que c'est un suicide, ça va être compliqué… Stallone a engagé un détective privé pour enquêter sur les derniers jours de son fils et tenter de savoir si c'est une surdose accidentelle de médicaments ou pas. Dans tous les cas je pense qu'il n'arrêtera pas pour autant le cinéma, car c'est sa thérapie, une véritable catharsis vu qu'il y met beaucoup de chose de lui-même.
Quels films tu voudrais mettre en avant, qui te touchent particulièrement ?
J'adore F.I.S.T., qui conte la baisse du syndicalisme aux Etats-Unis. Les ouvriers et travailleurs étaient fortement représentés, le syndicat mettait à mal le gouvernement, et maintenant il est quasiment inexistant face à l'ultra-libéralisme. Ce qui est intéressant dans ce film, c'est son idéologie contraire à celle de Reagan, pour qui il n'est pas possible d'intervenir dans la vie des gens et des entreprises. Ce que disent Stallone et Norman Jewison dans F.I.S.T. c'est que si l'Etat n'est pas présent, les ouvriers sont à la merci de la férocité des patrons. D'ailleurs le dirigeant du film est inspiré par Henry Ford, et le personnage de Stallone par Jimmy Hoffa, notamment via les liens avec la mafia avec qui les syndicats étaient obligés de coopérer afin de pouvoir lutter contre les puissants. Donc le rapport avec Reagan…
En travaillant sur ton livre tu as découvert quoi de nouveau sur Stallone ?
J'étais déjà assez documenté avant, mais ça m'a confirmé son investissement dans ses films. Même s'il n'est crédité que comme acteur, il travaille le scénario, les dialogues, donne des conseils aux metteurs en scène… Quand on voit un film avec Stallone on sait qu'il y est impliqué à 200%. Même dans des films comme Mafia Love ! Le réalisateur, Martin Burke, m'a dit qu'il n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi professionnel que lui, travaillant constamment son personnage, proposant sans cesse des idées. Ce n'est pas quelqu'un qui prend son salaire, vient dire ses lignes et se réfugie dans sa caravane. Ça explique peut-être sa longévité.Â
Tu attends quoi de Expendables 2 ?
Je ne suis pas très fan du premier. C'est un bon film d'action mais j'ai été assez déçu car j'ai adoré Rocky Balboa et John Rambo, et je m'attendais à plus d'ambition artistique en fait. Donc maintenant que je sais, je m’attends surtout à une bonne série B avec de la punchline, des gueules des années 8O, mais j’aimerais que Stallone revienne à un cinéma ambitieux. Peut-être que la mort de Sage va l’amener vers quelque chose de profondément personnel.
La fin de Rocky lors d'une projection en plein air sur les fameuses marches du musée des Beaux-Arts de Philadelphie en septembre 2006.
Merci à David pour sa disponibilité.