Les archives McTiernan - Last Action Hero
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- Dossier par Nicolas Zugasti le 18 octobre 2011
L’homme qui murmurait à l’oreille des héros
Poursuite de l’exhumation des archives consacrées au grand John McTiernan avec cette fois un film qui à l’époque, en 1993, fut mal compris à la fois par la critique, les fans même de Schwarzenegger et McTiernan et plus encore du studio qui le produisait.
S’il n’a pas tourné 58 Minutes Pour Vivre, séquelle officielle de Piège De Cristal, John McTiernan a préféré livrer avec Last Action Hero un film s’insérant officieusement entre les deux aventures de John McClane, continuant à poser les jalons de son questionnement et de la remise en question du statut de l’action man tel qu’il est coutumièrement admis et montré.
Avec Piège De Cristal, John McTiernan n’a pas seulement contribué, il a redéfini la manière de filmer et représenter l’action au cinéma. Un succès suscitant l’émergence d’ersatz plus ou moins inspirés mais qui n’ont jamais vraiment compris pourquoi Die Hard avait à ce point changé la donne (on y reviendra dans une autre partie mais McT a tourné ce film largement sous influence de mouvements d’appareils hérités du cinéma européen).
Alors, quand le réalisateur auteur de deux énormes succès consécutifs (Predator et Piège De Cristal, donc) s’attelle à un autre film d’action avec LA méga star de l’époque, Arnold Schwarzenegger, tout le monde n’attend rien de moins qu’un méga succès à l’actif du duo. Seulement voilà , avec Last Action Hero, Mctiernan avait une toute autre idée en tête que de livrer un énième hit de l’action ou le plus grand blockbuster de l’Histoire. Après avoir défini de nouveaux codes de l’action, ce qui l’intéressait désormais était de démonter, de mettre à jour toutes les ficelles hollywoodiennes. Soit révéler les conventions en vigueur et admises inconsciemment par tous. Et ça, la grande Mecque du cinéma ne lui pardonnera pas.
Ainsi, à l’occasion de la promo de Basic, lors d’une interview donnée à DVD Vision, Léonard Haddad suggérait qu’avec Last Action Hero, le réalisateur voulait s’excuser "auprès du public d’avoir été l’auteur de Piège De Cristal, le père de tous les mauvais blockbusters d’action qui lui ont succédé."
Réponse de McT : "Mais je ne m’excusais pas, je me moquais gentiment du genre que j’avais contribué à faire naître, sans m’en douter, sans le vouloir."
Dans le numéro 577 des Cahiers Du Cinéma, il précise : "Postmoderne est exactement le terme qui définit Last Action Hero. Tout comme on construit aujourd’hui des immeubles neufs pour qu’ils ressemblent à des constructions anciennes, presque comme un commentaire sur les immeubles anciens. Last Action Hero était effectivement un commentaire sur le film d’action."
Un film qui marqua clairement l’incompréhension de l’approche du réalisateur par les costards-cravates du studio et qui vit les débuts de ses déboires avec le système.
Et si un hypothétique director’s cut du 13ème Guerrier est pour l’instant à l’état de fantasme absolu des fans, il semblerait qu’une version remontée par McT de Last Action Hero fasse partie de la catégorie arlésienne qui feront baver les aficionados pendant des générations.
Dans le n°8 de Starfix Nouvelle Génération, il révélait ainsi au cours d’une interview, donnée à Erwan Chaffiot et Cyril Delavenne lors de la promotion de Thomas Crown, concernant le plaisir pris à martyriser l’industrie hollywoodienne dans Last Action Hero : "C’est un film que nous n’avons pas eu le temps de peaufiner. Entre la fin du tournage et sa sortie, seulement cinq semaines se sont écoulées. Ce que vous avez vu au cinéma n’était qu’un premier montage. Je prépare une nouvelle version pour ce film."
Et dans le même ordre d’idée, il poursuit dans l’interview de DVD Vision sur son insatisfaction quant au montage présenté en salles :
"Quoi qu’il en soit, ce film-là bénéficierait grandement d’être coupé d’une bonne vingtaine de minutes, mais ce n’est pas prévu non plus. Il est sorti trois semaines après le dernier coup de manivelle, parce que le studio a été pris de panique et n’a pas voulu renoncer à lancer un gros blockbuster en face de Jurassic Park. D’où deux problèmes majeurs. Premièrement, ce film est à peine monté. On a l’impression que la pellicule est directement sortie de ma caméra pour être projetée sur l’écran, avec juste les claps enlevés au début et à la fin des plans. Deuxièmement, ils ont refait le coup de Medecine Man, en le vendant pour ce qu’il n’était pas : un énorme truc d’action censé concurrencer les dinosaures, alors que ce n’était qu’un petit conte enfantin PG13, une version poétique de Cendrillon. J’aurais souhaité qu’ils laissent ce film être ce qu’il était, un truc gentil, doux, plutôt que tenter d’en faire une machine de guerre destroy. Cette campagne promo, c’était vraiment n’importe quoi."
Et encore, les termes utilisés par McT peinent à illustrer la grandiloquence, le grandiose d’une communication agressive. Cette fois-ci, laissons carrément la parole à Neil Canton, à l’époque patron de la Columbia, qui expose l’infinie confiance du studio dans le produit fini. Des propos mis en forme par Marc Toullec dans la preview du n°83 de Mad Movies : "C’est un film follement inventif. La fusée de la Nasa que nous utilisons pour la campagne de marketing donne une idée des hauteurs que nous avons atteintes. Nous avons voulu faire le film le plus populaire de tout l’univers." Comme le relate Toullec, "en ce mois de mai, pour un demi million de dollars, une fusée de la Nasa part pour l’espace avec Last Action Hero et Schwarzenegger sur son fuselage."
L’acteur bodybuildé étant d’ailleurs au centre de toutes les attentions au moment de parler de ce film, plus que le réalisateur lui-même. Toujours dans le papier du Mad n°83, McTiernan ne tarit ainsi pas d’éloges sur le comédien qu’il avait déjà dirigé dans Predator : "Les plaisanteries adressées à lui-même comptent parmi les éléments qui ont fait le succès d’Arnold. Il cligne de l’œil sur tout ce qu’il accomplit. Arnold possède également un égo très fort, mais pas dans le sens traditionnel du mot. Il n’agit pas ainsi pour se mettre en valeur. Il laisse les gens s’amuser de lui. Arnold est une personnalité très étrange dans ce sens. Il est, probablement, la star la plus rationnelle que j’ai jamais rencontrée. On ne peut pas dire qu’il soit réellement un comédien. Il mène plusieurs existences et ne met jamais son égo en jeu."
Last Action Hero fuit un cuisant échec au box-office mais également dans la perception que les critiques ont eu du film. D’ailleurs, au sein même de la rédaction du 4 rue Mansart, le film fut au cœur d’une passe d’arguments enflammée entre Vincent Guignebert et Marc Toullec, retranscrite dans le n°46 d’Impact. Cinq pages et demi dantesques où chacun développe ses arguments et balance ses piques.
Finalement, pour connaître quelques unes des raisons pouvant expliquer un tel four, il faut se reporter à l’interview de Schwarzy par Cyrille Giraud dans ce même numéro : "Depuis le tout début du tournage, Last Action Hero a été au centre d’une campagne de presse. Les journaux américains lui ont tout reproché : son budget, l’intervention de plusieurs scénaristes, mon salaire… Ils n’ont épargné personne et sont parvenus à décourager les gens d’aller voir le film. Pourquoi ? Le fait que j’étais alors au sommet de ma carrière m’a placé dans leur collimateur. Avoir du succès est, à ce titre, extrêmement dangereux : on est du coup plus exposé, plus sujet aux attaques. Attaquer un comédien inconnu n’intéresse personne ; par contre, tirer à boulets rouges sur la star du moment est nettement plus gratifiant. Le boulot des journalistes a porté ses fruits : Last Action Hero est un échec."
"Je pense malheureusement que le public américain n’est pas réceptif à un film aussi sophistiqué. De plus, beaucoup de gens, à commencer par ceux qui peuplent Hollywood, n’apprécient guère qu’on égratigne leur héros, qu’on révèle les ficelles, les combines, les clichés, bref, tout ce qui se déroule dans les coulisses. Hollywood ne nous a pas pardonné d’avoir livré au public ses secrets de fabrication."
En tout cas, une chose est certaine, si le film est loin d’être raté c’est entièrement grâce à la vista de John McTiernan, les executifs ayant mis le projet sur de mauvais rails. Et c’est le script doctor appelé en désespoir de cause, Shane Black, qui raconte les avaries rencontrées à Rafik Djoumi au cours de l’interview carrière du scénariste dans le n°77 d’Impact :
"Tout le monde a travaillé sur ce script, cinq interventions différentes et une sixième non retenue. Voilà un bon moyen de jeter l’argent par les fenêtres. Mais il y avait un tel potentiel dans ce film, de quoi amuser, faire réfléchir, émouvoir. En définitive, c’est un film d’images et de concepts mais il n’est pas drôle, il ne vous implique pas émotionnellement. John McTiernan est quelqu’un de brillant, et j’insiste là -dessus, je tiens à déclarer publiquement que c’est un réalisateur exceptionnel, mais j’avoue que dans ce cas, je crois que son intellectualisme avait quelquechose de déplacé. Mais la plus grosse erreur, celle sur laquelle la responsabilité de tout le monde est engagée, c’est d’avoir essayé d’en faire un énorme succès. Avant même que l’histoire soit écrite, on entendait déjà "200 millions. Il rapportera au moins 200 millions !" On ne planifie pas un méga-succès, on ne peut que se crever à faire un bon film et compter sur la chance. Dès le début, ils étaient tant obsédés par l’idée de plaire qu’ils ont fini par ne plaire à personne."
"Pour moi, Last Action Hero demeure une mauvaise expérience, un film où j’ai dû commencer à écrire des scènes d’action avant même de construire les personnages. Nous avons reçu ce script écrit par deux gamins, Zach Penn et Adam Leff, à propos d’un gosse qui rencontrait son héros de l’écran. Bien qu’ils n’aimaient pas tant le script, les studios étaient raides dingues du concept. Je suis arrivé sur le projet avec David Arnott. Nous avons donc gardé la base mais en changeant quasiment tout le reste. Au final, je pense que nous avions fini par pondre quelquechose d’assez bon. Ça avait beau être un film de Schwarzie, c’était plutôt vif et cru. Pour le studio, le film était censé s’adresser aux mômes. Ils voulaient que tout le monde vienne le voir, les parents, les grands-parents, les marmots. C’est devenu crétin. Quand j’ai découvert le film, ils avaient fait disparaître tous les gags."
"Oui, bon, il en reste un peu mais franchement, on l’avait blindé. Il y en avait dans tous les coins. Et puis il y a ce môme qui passe la moitié du temps à sourire. A la première projection, j’étais terriblement gêné. D’habitude, j’aime au moins la moitié du film sur lequel j’ai travaillé. Sur Last Action Hero, ça représente tout au plus 20%."
"Sinon, oui, il reste des choses intéressantes, notamment quand ils reviennent dans la réalité et que les repères sont brisés, que les voitures n’explosent pas quand on leur tire dessus. Arnold est un gars ouvert, et le fait qu’il joue face à lui-même, à plusieurs niveaux, me plaisait énormément. La scène dans son appartement est intéressante. On le voit devant une armoire remplie des mêmes costumes, puis il fait cette déclaration où il avoue détester sa condition de héros. Cette scène posait problème. Elle créait une troisième réalité. Elle a fini par être réduite, ainsi que tout ce qui s’y rapportait."
Néanmoins, malgré toutes les difficultés auxquelles il a été confronté, toutes les imperfections dont le film est truffé, McTiernan aura tout de même réussi à livrer un méta-film vraiment jouissif.