Predator
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- Analyse par Pierre Remacle le 10 mars 2008
Dans la jungle, terrible jungle…
Le Major Dutch Schaefer (Schwarzenegger), mercenaire, est le meilleur dans sa partie. Lui et son équipe ont donc été contacté par Dillon (Carl Weathers, alias Action Jackson ainsi qu’Apollo Creed dans les Rocky, oh yeah), un ancien collègue et ami de Dutch devenu gratte-papier à la CIA, pour une mission bien particulière.
Il s’agit d’un sauvetage de VIP politiques, prisonniers de guérilleros dans un camp perdu au cœur d’une jungle d’Amérique du sud. Le plan est simple, mais rien ne se passera comme prévu.
Il y a d’abord ces cadavres dépecés de membres d’un autre commando que Dutch et son équipe trouvent sur leur chemin. Qui a donc pu massacrer ainsi ces hommes ?
D’autre part, il semblerait que la mission pour laquelle on a engagé Dutch ne soit pas exactement un sauvetage. Mais le véritable problème n’est pas là  : une étrange présence rôde dans la forêt. Et elle semble avoir pris comme cible le commando de Dutch. Un à un, les membres du commando sont éliminés par la mystérieuse créature. Finalement, il ne reste plus que Dutch, qui s’engage dans un combat à mort avec ce chasseur surhumain. Qui sortira vainqueur de ce duel au plus profond de la jungle primitive ?
JUNGLE JOHN
Bon, voilà . Dit comme ça, ça fait un peu penser à un résumé de téléfilm style Hollywood Night avec en vedettes l’ancien catcheur Hulk Hogan et l’ex-playmate de Playboy Shannon Tweed. En effet, avec un scénario pareil, on aurait pu s’attendre à un énième film d’action direct-to-video tout pourri par la mérule. Et cela aurait probablement été le cas si le réalisateur n’avait pas été John McTiernan. Hé oui l’immense McT en personne: le réalisateur des deux meilleurs films d’action du monde (Die Hard et Die Hard With A Vengeance) du meilleur thriller politique du monde (The Hunt For Red October) et de ce qui aurait pu/du être le meilleur film de fantasy barbare du monde (Le Treizième Guerrier). A l’instar de Dutch, on peut dire que cet homme est lui aussi le meilleur dans sa partie. Le fan du monsieur retrouvera ainsi dans Predator tout ce qui fait la "patte" de ce génie.
Par exemple, la mise en scène de la problématique de la "langue", thème ô combien récurrent dans tous ses films. Personne n’a oublié les terroristes Allemands de Die Hard, les dialogues Russes/Anglais de Red October ou encore l’hallucinant "apprentissage de la langue" du Treizième Guerrier. Dans Predator, ce sont les membres du commando qui ne comprennent pas leur otage, qui parle Espagnol. On peut également parler du débarquement de Dutch et de son équipe dans la jungle, qui retrouvera des années plus tard un écho dans le très bon et mésestimé Basic. Il y a aussi cette fabuleuse capacité à positionner le personnage principal de ses films (ici, Dutch, mais aussi le Predator) comme héro ultime : à ce titre, l’évocation du nom de John McClane (le plus grand rôle de Bruce Willis) suffit comme illustration du talent d’icônisation signé McT.
Sans oublier cette interaction si typique, si "McTiernanesque" (appellation en cours de brevet) entre le décor et les personnages : le plan d’arrivée du camion des terroristes au Nakatomi Plaza dans Die hard, l’utilisation des vitres dans ce même film (qui a donné son titre à la version française d’ailleurs : Piège De Cristal)… Dans le même ordre d’idée, la jungle est plus qu’un simple décor dans Predator. Au risque de balancer une banalité, on pourrait dire que la jungle y est un personnage à part entière, auquel McT donne la primauté absolue. Au fond, l’art du camouflage, si essentiel lorsque l’on parle de chasse, n’est pas autre chose : une utilisation optimale des avantages que vous offre le décor dans lequel vous évoluez. Cette technique se voit ici magnifiée par un McT en état de grâce (c'est-à -dire, son état de tous les jours).
Mais bien plus que tout ces gimmicks, ce qu’on retient au final est la maestria filmique quasiment sans égale de McT, qui élève un scénario limite débile en œuvre rendant un hommage terminal à la chasse. Cette maestria s’exprime entre autres via des images époustouflantes (pour n’en citer qu’une entre mille, le Predator soulevant son trophée humain d’os et de vertèbres face à la jungle) mais aussi et surtout via une confiance absolue dans l’intelligence du spectateur par rapport à sa compréhension de l’image. Nous y reviendrons.
CHASSE A L'HOMME
"Un film avec Schwarzie ? Bah, encore un film d’action bas du front. Y a pas de contenu là -dedans".
Si certains parmi les derniers films du culturiste du Tyrol (Le Sixième Jour, L’Effaceur, End Of Days… jeu, set et match) peuvent en partie donner raison à ce genre de déclaration, il n’est pas question de tenir ce genre de discours quand on parle de Predator. Nous ne sommes pas ici devant un film "moi-vois-moi-tue", bien au contraire. La puissance de propos de Predator laisse en effet songeur des heures après sa vision. Predator parle de rien moins que la nature de l’Homme. De l’évolution. Mais avant toute chose de l’art de la chasse et de sa place au cœur de l’humanité.
Pourquoi chasser ?
On peut chasser pour de nombreuses raisons. Pour manger, pour vivre : au fond, c’est la loi de la jungle dans sa brutale simplicité (chasser ou être chassé). Mais ici, c’est autre chose. C’est bien plus que cela. La raison de chasse du Predator est différente.
C’est pour se prouver sa supériorité : chasser une proie, c’est être son maître. C’est être son supérieur, au premier sens du terme. Une symbolique : le Predator qui se déplace au sommet des arbres… sur les plus hautes branches de l’évolution ? On ne sait pas l’atteindre. Chasser, c’est être au sommet des races : la race dominante et élitiste qui peut se permettre de soumettre les autres races et de les chasser à son bon vouloir. Se prouver que l’on vaut mieux qu’elles. Le Predator ne fait rien d’autre. Il se rassure lui-même. Il se prouve qu’il mérite d’exister et qu’il mérite son avancée technologique : il se réapproprie son acquis. Car le monde, l’univers n’est qu’une grande jungle. Et le chasseur est le seul à avoir son destin en main. Le seul à donner un sens à sa vie. Cela est illustré par le fait que le Predator ne touche pas à une proie sans armes (l’otage Sud-américaine). "A vaincre sans péril…"
Tuer une proie sans armes ? Quel intérêt ? Ce serait se manquer de respect envers soi-même. Ce serait se rabaisser. Or on ne brade pas le sens de son existence.
Et l’homme dans tout ça ?
Au départ, Dutch est désemparé devant la menace. Puis il se reprend en main. Il est poussé à revenir vers la bestialité par ce qui permet justement à l’homme de dominer le monde. Ce qui fait de l’homme la créature la plus dangereuse qui existe : son instinct de survie. Dutch redevient l’homme primitif qui a conquis la Terre (on le voit à travers le rituel des peintures de chasse que Dutch se dessine sur le corps). On peut discerner une allégorie de l’ascension de l’homme à l’état de race dominante de la terre dans la sortie de Dutch de l’eau : en rampant hors du limon primitif et originel, Dutch naît à nouveau. Quand les armes modernes ne servent plus à rien (le M-16 et la mitrailleuse Gatling ne font que déboiser la jungle au lieu de toucher leur cible), Dutch retourne à l’état sauvage. A l’état naturel pourrait-on dire. C’est de cette nature, de l’environnement qui l’entoure que Dutch va tirer les ressources nécessaires à sa survie : des pieux aiguisés. Un arc et des flèches. Des pièges. D’ailleurs, il est révélateur de constater que c’est lorsque Dutch ne fait littéralement plus qu’un avec la nature (il est complètement recouvert de boue, exemple supplémentaire de cette interaction personnage/décor si chère à McT) que le Predator ne parvient plus à le voir. Plus que son invisibilité, c’est son invincibilité que Dutch gagne en fusionnant avec la terre. En acceptant sa nature de "Terrien". En redevenant ce que l’homme est, a toujours été et sera toujours : le prédateur ultime. En se rappelant qu’après tout, il lutte sur SON territoire. Et c’est à ce moment que le Predator se comporte comme les hommes plus tôt dans le film : il se met à canarder la jungle à l’aveuglette, sans savoir où tirer pour toucher une cible invisible. En hurlant dans la nuit après avoir posé ses pièges, Dutch procède à plusieurs choses : il défie le Predator, il hurle sa renaissance, il pose un acte de propriété de la Terre. Il crie sa supériorité à la face du ciel. Il hurle parce qu’il existe, parce qu’il est prêt à se battre. Parce qu’il va gagner. Parce qu’il est chez lui et qu’il est le maître.
LA NATURE DE LA BÊTE
Le duel final entre Dutch et le Predator est l’occasion pour eux de prouver leur véritable valeur. De savoir qui est le chasseur ultime. Plus encore : de savoir qui est l’être ultime. Celui qui a le pouvoir de vie et de mort sur l’autre. Lors de ce duel, le Predator reconnaît son égal en Dutch et décide de se battre au corps à corps. Fini les armes de "lâches". Bas les masques (littéralement, d’ailleurs: le Predator découvre enfin son vrai visage) : il est temps de montrer sa véritable nature. Justement, chacun des deux combattants s’interroge sur la nature de l’autre. Mais si Dutch se demande ce qu’est le Predator, la phrase "Mais bon Dieu, qui es-tu ?" est aussi renvoyée en reflet vers l’homme.
Que sommes-nous ? Quel est cet être capable de vaincre le Predator lui-même ? Quelle est notre nature ? Le Predator nous pose sans la comprendre la question qui nous hante depuis toujours : que sommes-nous ? On peut mettre ce point en parallèle avec l’intrigue-prétexte : l’équipe de Dutch est convoquée pour ce qui est soi-disant un sauvetage alors qu’au final il s’agissait d’un simple massacre. Dutch et ses hommes ratiboisent tout un campement sans sourciller, mais quand Dutch apprend le pot au rose, il est fou de colère contre Dillon qui l’a trompé. Pourquoi cette fureur ? Peut-être parce que la terreur de Dutch est de n’être qu’un tueur gratuit. Un être qui tue sans raisons valables (en l’occurrence, le prétexte de sauver des otages est donc faux). Est-ce cela notre nature ?
Est-ce cela la réponse à la question du Predator ?
Toujours est-il que le vieux dicton "qui va à la chasse perd sa place" s’applique ici : le Predator perd. Mais il n’est pas facile de céder sa place sur la plus haute place du podium. Un Predator vaincu n’admet la défaite que dans la mesure où le vainqueur ne peut pas s’asseoir sur le trône rendu vacant. D’où la mini-bombe atomique que le Predator utilise en dernier recours. Ce genre d’attitude rappelle un peu les tensions de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Car en cas d’envoi des missiles d’un côté, le choix de l’autre était d’emmener son ennemi avec soi dans la tombe (et accessoirement annihiler toute vie sur terre et de créer une nouvelle ère glaciaire), ou accepter sa défaite sans emporter son ennemi. Le Predator se comporte ainsi à la manière des Soviétiques telle que cela est interprété dans le célèbre roman graphique The Watchmen d’Alan Moore (dans le passage inter-chapitre consacré au personnage Doc Manhattan). Sauf qu’ici l’homme survit. L’homme est bien le chasseur ultime. Le prédateur ultime. L’être ultime ?
Est-il "de celui qui fit l’agneau le chef-d’œuvre" ?
LE GRAND SILENCE
Le silence compris en tant qu’absence de dialogues est un aspect que l’on retrouve dans tous les grands films de chasse. La chasse utilise en effet tous les sens : l’ouïe est mise à contribution pour percevoir l’existence de l’autre (et par conséquent y mettre un terme). Du coup, toute phrase est inutile. Aucun mot n’a de sens ici : il n’y a que la chasse. Les seuls échanges seront via des pièges : on se parle via les ruses déployées pour gagner. Les paroles s’envolent, les cicatrices restent. Et elles seules comptent au bout du chemin. C’est pour cela que les vingt dernières minutes de Predator sont quasi-muettes. C’est d’ailleurs également le cas pour Collateral, le chef-d’œuvre récent du grand Michael Mann. Ainsi que pour The Hunted (Traqué) du toujours solide William Friedkin. Et plus encore dans La Proie Nue (Cornell Wilde, 1966), film qu’on pourrait jusqu’à qualifier d’expérimental dans la mesure où les trois quarts du métrage sont pratiquement sans parole. On peut même se demander si McTiernan n’a pas vu ce film, tant certaines éléments se retrouvent dans les deux œuvres. Par exemple, les seules paroles de La Proie Nue sont celles des guerriers de la tribu Africaine lancés à la poursuite du héros, et ces dialogues ne sont pas sous-titrés. A ce titre, il est remarquable de constater que le spectateur attentif et concentré n’a finalement pas besoin de sous-titres. On peut en effet traduire instinctivement ce qu’ils disent sans comprendre une seule parole. Cela force le spectateur à se focaliser sur l’image pour comprendre ce qui arrive. Démarche dont le caractère épuré et respectueux des spectateurs force l’admiration. De plus, le réalisateur travaillant ainsi se supprime volontairement tout filet de sécurité (tel Cortez qui brûla ses navires une fois arrivé sur le nouveau monde : en se supprimant cette sortie de secours, on motive ses troupes. Du reste, cette référence historique est également citée dans A La Poursuite D’Octobre Rouge de… McT) : à partir de ce moment, sans paroles, seul l’art de la réalisation compte. Et McTiernan ne craint personne dans ce domaine.
Plus remarquable encore : ce système "muet" met à contribution le spectateur. Cela le force à utiliser son intelligence et plus encore sa compréhension instinctive de ce qu’il voit pour interpréter ce qui se passe (pas d’explications, pas de voix-off, pas de sous-titres : rien que des images). Ce respect du spectateur, cette confiance absolue placée en lui est de plus en plus rare de nos jours. Et c’est la marque des plus grands d’y recourir.
QUAND SONNE L'HALLALI
Que dire de plus ? On pourrait parler de références… On a déjà cité La Proie Nue. Predator n’est pas sans rappeler deux autres chef-d'œuvres de deux réalisateurs qu’on ne présente plus : Aliens de James Cameron d’une part, pour l'aspect commando en route vers une mission dangereuse, et The Thing de John Carpenter d’autre part : comme dans ce dernier film, Predator s’ouvre sur un plan dans l’espace où un vaisseau mystérieux vient se poser sur Terre. Ce n’est pas le seul point commun entre ces deux films : il y a aussi la quasi-absence d’éléments féminins et la menace étrange et incompréhensible venue d’ailleurs.
On pourrait également parler de la musique tribale d’Alan Silvestri, nous immergeant dans l’enfer vert et l’angoisse indicible face à ce que l’homme ne peut comprendre. On pourrait s’extasier devant l’apparence du Predator, prodigieux maquillage n’ayant pas pris une seule ride et renvoyant ceux d’Alien Versus Predator dans les limbes du ridicule, vers lesquelles son scénario indigent l’a plongé. Cette apparence du Predator n’est pas le moindre tour de force du film : visage impressionnant, masque légendaire et aspect reptilien (la peau)… Pourquoi reptilien au fond ? Est-ce une référence à notre cerveau reptilien, l’ancêtre du cerveau humain et qui est à la base de notre survie ?
On pourrait remercier McTiernan de nous donner un film qui, en n’insultant pas notre intelligence et, encore mieux, en la faisant fonctionner, nous rend notre honneur de spectateur.
On pourrait tout simplement dire que Predator est un chef-d’œuvre.
PREDATOR
Réalisateur : John McTiernan
Scénario : Jim & John Thomas
Production : Joel Silver, John Davis, Lawrence Gordon…
Photo : Donald McAlpine
Montage : Mark Elfrich & John F. Link
Bande originale : Alan Silvestri
Origine : USA
Durée : 1h47
Sortie française : 19 août 1987
Commentaires
egalement le commentaire sur le silence , je comprends pourquoi les reves nous montre des images !!
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