A La Poursuite D'Octobre Rouge
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- Analyse par Nicolas Zugasti le 31 octobre 2014
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Au sujet de la redéfinition des codes de l'action movie par John McTiernan, on évoque plus facilement Die Hard, Last Action Hero ou Die Hard With A Vengeance, voire même Predator. Pourtant, A La Poursuite D'Octobre Rouge participe pleinement de son intention d'envisager l'action autrement.
Au faîte de sa gloire et de sa renommée après avoir livré coup sur coup deux classiques impérissables, Predator puis Piège De Cristal, McT aurait pu se contenter de poursuivre dans la même veine. Mais le cinéaste est un esthète qui préfère s'ouvrir à de nouveaux horizons plutôt que de s'enfermer dans une répétition des mêmes tropes. Et c'est le livre de Tom Clancy qui a retenu son attention, un récit difficile à adapter tant il repose sur des dialogues. Comme il l'a réussi avec les scénarios de grosses séries B qui tâchent, McTiernan va parvenir à transcender le matériau d'origine pour y traiter ses propres thématiques, notamment sur la représentation du langage, son appropriation visuelle pour être compris de tous (tant au plan linguistique que cinégénique), l'impérieuse nécessité de communiquer et se faire comprendre. Par l'intermédiaire du personnage de Jack Ryan, le réalisateur fera de A La Poursuite D'Octobre Rouge un récit initiatique teinté d'onirisme et de mythologie où le gratte-papier envoyé sur le terrain se muera, grâce à son expertise, sa connaissance et son intuition (et un peu de chance également) en véritable passeur entre deux mondes.
Alors qu'il n'y a plus d'espace à conquérir, John McTiernan impulse de nouveaux enjeux du cinéma d'action en proposant de tracer de nouvelles trajectoires pour ses héros. Après la jungle organique, celle de verre et de béton de la tour Nakatomi, McT s'attaque à un espace plus exigu, celui confiné dans le calme et la réflexion d'un sous-marin. Un espace mental que sa maîtrise va soumettre à une incroyable tension progressive où la géopolitique se mêle à un prégnant sentiment humaniste.
On se souvient de quelle manière McTiernan parvenait dans Piège De Cristal à faire dialoguer des protagonistes isolés en créant, par le jeu de cadrage et le biais de son montage, un espace mental où se reconstituait les interactions. Dans la séquence qui nous intéresse, le cinéaste va plus loin car cela ne concerne pas seulement deux personnages mais deux équipages. Dans ce monde du silence où l'on se repère aux sons, McT tente par ses mouvements de caméra de traduire visuellement ces signaux, et instaurera une tension qui impliquera aussi bien un enjeu immédiat que global.
L'USS Dallas est lancé à la poursuite de l'Octobre Rouge, un sous-marin ennemi dont les officiels américains essayent de déterminer s'ils compte effectivement se rendre ou si c'est une tactique belliqueuse. Jones (Courtney B. Vance), chargé de le détecter, désespère de retrouver sa trace. Il n'y a à l'écran que le sous-marin américain et un récif.
Tandis que Jones se fait gentiment tancer par ses collègues, il repère le son si particulier du système de propulsion du sous-marin russe qui le rend normalement indétectable. L'opérateur américain impose d'un geste le silence et tandis qu'il se tourne vers sa gauche, concentré sur ce qu'il écoute, la caméra opère un travelling avant, raccordé dans le plan suivant qui passe de l'autre côté du rocher pour découvrir l'Octobre Rouge. Jones l'a retrouvé au son et McT l'illustre visuellement.
La séquence continue alors sur le second Borodin (Sam Neil) qui pénètre dans la cabine du commandant Ramius (Sean Connery) pour l'informer des suites du sabotage dont ils ont été victimes et sur la manière de débarquer leur équipage.
Au moment de partir, Borodin s'enquiert de sa future nouvelle vie aux Etats-Unis, s'ouvre à son commandant sur son envie de vivre dans le Montana. Là s'insère un plan parasite de Jones face à son écran de contrôle puis l'on passe à un plan de Ramius interloqué par la tournure de la discussion. Le plan de Jones silencieux n'est là par hasard puisque le collage avec celui de Ramius dans l'instant instaure une proximité, l'Américain semblant aussi étonné par ce que Borodin évoque. Notons que Jones n'a pas son casque d'écoute sur l'oreille comme pour mieux entendre ce que Borodin a à dire.
C'est un premier signe de la contraction de l'espace que McTiernan va opérer pour rapprocher les deux camps.
Borodin s'est assis, se mettant au même niveau que son interlocuteur, allongé, signifiant ainsi que la conversation sera plus personnelle, intimiste.
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Puis McT fait le point sur un élément anodin mais qui va marquer un changement de cap important aussi bien physique que langagier. Le verre de thé sur le bureau glisse vers la gauche de l'écran, indiquant la manœuvre dite de "Ivan le fou" effectuée par le sous-marin pour faire un tour sur lui-même afin de s'assurer que personne ne le suit. A bord du Dallas, la courbe de la caméra se voit prolongée jusqu’à Jones qui perçoit et reconnaît la manœuvre. Il explique alors à ses partenaires, vu le rapport poids/vitesse de leur bâtiment, du risque de percuter l'Octobre Rouge. Dans le même temps, Ramius va également s'ouvrir aux raisons profondes qui motive son action. Ce verre de thé marque rien moins que la nouvelle inclinaison prise par le sous-marin mais également par la conversation et le récit.
Ce qui va maintenant tenir en haleine sera la capacité du Dallas à éviter l'Octobre Rouge et ce que révèlera Ramius sur ses intentions.
McT va corréler ces enjeux par ses choix de cadrage et de montage, insérant des plans des visages attentifs des deux équipages sur le ballet sous-marin et sur Borodin et Ramius au cœur des confidences.
Bien sûr, personne d'autre que Borodin ne peut entendre ce que dit Ramius mais en superposant la voix-off du commandant russe sur les images des équipages à l'écoute, McTiernan produit un espace commun, formalisant l'impression prégnante que paroles et mouvements sont décisifs. D'autant que McT s'ingénie à orienter à ce moment-là les deux camps regardant dans la même direction. Alors qu'un travelling latéral de la droite vers la gauche nous fait découvrir les membres du Dallas concentrés sur les paroles en off de Ramius, le même mouvement continue le plan suivant raccordant sur un officier de l'Octobre Rouge.
Le temps de quelques instants, le temps semble s'arrêter au discours d'un homme fatigué, lassé, qui décide d'en finir avec quarante années consacrées à une guerre et un idéal futiles par rapport à ce qui aurait dû monopoliser ses attentions, sa femme, désormais décédée, et une existence en accord avec ses convictions profondes et simples.
Passé cette révélation, le récit et le sous-marin russe peuvent reprendre leurs cours et Ramius de donner ses recommandations à Borodin qui s'apprête à quitter la pièce.
Dans le prolongement, les membres de l'équipage américain sont soulagés de ne pas avoir été détectés mais selon la construction opérée par McTiernan, on peut considérer qu'ils sont également au courant de l'intention de Ramius de passer à l'Ouest. N'ayant jamais été en contact rapprochés, on pourra finalement ramener cela à une intime conviction que Jack Ryan viendra confirmer. D'ailleurs, la séquence suivante annonce l'arrivée en hélicoptère de l'analyste de la C.I.A.
Cette séquence est un bel exemple du brio de John McTiernan, multipliant tout au long de A La Poursuite d'Octobre Rouge les lieux et enjeux que sa maîtrise spatiale et narrative permettent de lier avec cohérence, à -propos, fluidité et émotion.
THE HUNT FOR RED OCTOBER
Réalisateur : John McTiernan
Scénaristes : Larry Ferguson & Donald Stewart d'après le roman de Tom Clancy
Production : Larry DeWay, Mace Neufeld, Jerry Sherlock
Photo : Jan de Bont
Montage : Denis Virkler & John Wright
Bande originale : Basil Poledouris
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h14
Sortie française : 29 août 1990