The Dark Knight Rises
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- Critique par Nicolas Zugasti le 31 juillet 2012
Camion Bane
Attention, mieux vaut lire ce qui suit en ayant vu le film. A l’image de la poignée de pétards lancée en désespoir de cause par Batman à la face de Bane sur le point de lui casser le dos, la conclusion dantesque attendue est terriblement décevante dans les effets produits.
Taxé un peu trop vite de génie de la réalisation après sa très réussie Inception, Christopher Nolan revient dans les rues sombres de Gotham afin de clore une trilogie charpentée par le mythique The Dark Knight. Et ce, avec la ferme intention de faire encore plus fort. Mais tout ce qu’il parvient à renforcer sont les défauts par ailleurs identifiés et qui en plus ont tendance à supplanter ici les quelques bonnes idées un peu développées.
Nolan a toujours aimé mettre en scène les tourments de ses héros torturés. De Memento jusqu’à Inception en passant par Le Prestige, Insomnia et les deux volets de son Batman, ses personnages principaux spont en proie à de sacrés dérèglements psychologiques et même psychiatriques, choisissant finalement de rester cloîtrés dans leurs névroses. Jusqu’à présent, la structure de ses films offrait une certaine adéquation entre construction narrative et ce que vivent ou ressentent ses personnages (les inserts des souvenirs puis fantasmes ou imagination de Dormer parasitant sa perception et accentuant sa désorientation et celle du récit d’Insomnia, Le Prestige qui est construit comme un tour de magie, celui de l’homme transporté attisant l’inimité entre les deux magiciens Borden et Angier, jusqu’à la réapparition finale…). Cela souffrait parfois de certaines lourdeurs mais le réalisateur parvenait à remplir son office de manière efficace et souvent habile. Ce n’est absolument plus le cas avec The Dark Knight Rises qui a bien du mal à enchaîner après l’intense TDK.
Nolan tente de relier le tout à la Ligue des Ombres et le projet d’éradication de la ville par Ra’s al Ghul dans Batman Begins, tout comme de renouer avec l’injonction paternelle de se relever après une chute voire même à faire ressurgir les fragments de sa romance maudite avec Rachel Dawes, mais c’est fait trop maladroitement, sans réelle invention ou évolution. Il n’y a pas de fluidité dans l’énonciation, ces éléments semblent saupoudrés aléatoirement pour tenter de ranimer quelques vagues réminiscences des deux premiers opus.
En endossant le mauvais rôle lorsqu’il assuma la mort du procureur, Batman investissait encore plus profondément la marge jusqu’à finalement disparaître faute de combattants. En effet, les mesures votées du temps de Dent ont permis de nettoyer les rues de la ville de sa vermine criminelle. Seulement, l’inactivité forcée et donc l’utilité d’un vengeur masqué et de son retour ne sont jamais vraiment questionnées, tout juste servent-elles à appuyer sa déchéance puisque tout ceci sera promptement balayé par la tirade d’une audacieuse crédibilité du policier John Blake (Joseph Gordon-Levitt) annonçant qu’il a percé le secret de sa double identité rien qu’en croisant son regard d’orphelin en colère (comme lui). Il n’en fallait pas plus à notre justicier pour se reprendre en main…
Nolan tente néanmoins des choses intéressantes en présentant un Bruce Wayne métaphoriquement au fond du gouffre lorsqu’il apparaît, huit ans après la mort d’Harvey Dent, claudiquant et reclus dans son manoir puis littéralement lorsqu’il est jeté dans cette oubliette à ciel ouvert en terre inconnue, le dos brisé. Il devra alors retrouver la peur, que son entraînement parmi les ninjas de Ghul et les évènements des films précédents avaient éradiquée, afin de survivre, de renaître. De même, le renversement de valeurs fomenté par Bane, mettant la ville sans dessus-dessous, voit la lie reprendre le contrôle aux nantis. Ou l’espoir que veut détruire ce même Bane chez Batman comme chez les habitants de Gotham tandis que dans le même temps il sera entretenu, préservé, par un John Blake organisant la résistance et apportant son soutien aux forces de l’ordre emprisonnées sous terre.
Mais ces oppositions intrigantes d’un métrage ou d’une séquence à l’autre souffrent irrémédiablement de l’absence d’une mise en scène ad hoc se contentant ici d’accumuler les champs / contre-champs, d’ellipses sabordant entre autres la gestion temporelle de la seconde partie et surtout le manque de cohérence de tout ce fatras scénaristique.
Dans le cinquième film de Nolan, Le Prestige, le mentor (interprété par Michael Caine) de l’illusionniste Borden (Christian Bale) disait à une petite fille à qui il montrait un tour (et s’adressait au passage au spectateur) : "Now you're looking for the secret. But you won't find it because of course, you're not really looking. You don't really want to work it out. You want to be fooled."
Or, The Dark Knight Rises en prend totalement le contre-pied, tout se déroule comme si Nolan avait justement abandonné le désir de maintenir l’illusion, raffermir la suspension d’incrédulité du spectateur. Les incohérences dans un blockbuster, film de genre ou n’importe quelle œuvre ne sont gênantes que si elles ne remettent pas en cause l’adhésion à l’histoire racontée. Autrement, dit si elles sont acceptables ou peu dérangeantes dans le programme du film. Malheureusement, ici elles sont tellement légion qu’elles parasitent l’attention et neutralisent toute forme d’implication. Entre la trahison de Selina Kyle, le plan foireux de Bane reposant sur des variables hyper aléatoires (il fallait que Miranda prenne le contrôle de Wayne Entreprises grâce au vote des autres actionnaires à son profit, que tous les flics de la ville, ou presque, fassent une descente dans les égouts, que personne ne fasse le rapport entre l’intervention musclée dans la bourse et les choix d’investissements peu judicieux entraînant la ruine de Bruce Wayne, etc.), l’attentisme des flics pendant que Gordon et une petite équipe poursuivent les hommes de main de Bane sous terre, la couche de glace du fleuve qui résiste au poids d’un Batman solidement harnaché, l’incohérence criarde du récit de l’origine de Bane (évasion et défiguration) qui n’éveille absolument AUCUN soupçon chez celui censé être le plus grand détective du monde (après Sherlock bien sûr) et bien d’autres, impossible de rester impassible. Nolan semble se foutre éperdument des éléments gravitant autour du squelette du récit pour asséner au plus vite tout un tas d’idées qui serviront à l’exposition de l’effondrement moral, psychologique, sentimental et physique de Batman et travailler ensuite à sa résurrection (le "Rises" du titre donc). Mais sans un minimum de liant, comment voulait-il que l’on en ait quelquechose à faire ? Comment voulait-il que tout s’emboîte de manière satisfaisante ?
Surtout, en disséminant de manière aussi disparate et relâchée ces éléments, il dynamite lui-même l’ampleur voulue pour sa conclusion. Nolan ne manque pas d’ambition, mais il faudrait qu’il se donne les moyens de cette envergure et surtout qu’il fasse confiance à l’intelligence des spectateurs.
Après avoir conçu un spectacle pyrotechnique grandiose (explosions de tous les ponts, sauf un, reliant la ville au continent, effondrement du terrain de football américain pendant une partie), Nolan se la joue petit bras dans l’évocation de l’occupation de la ville puisque jamais on ne ressent une réelle tension ou oppression exercée par le maillage territorial de Bane et ses sbires. Le chaos reste assez propret et le tribunal simili kafkaïen présidé par Jonathan Crane dit l’Epouvantail demeure gentiment empreint de la folie inhérente au personnage. La prise de pouvoir par les habituels rebus de la société et / ou ses plus démunis est un leurre de Bane qui est décidé à tout faire péter mais elle semble tout aussi peu intéresser Nolan.
Mais l’énervement caractérisé survient lorsque l’on prend définitivement conscience de la condescendance de Nolan envers son public tant il s'échine à le prendre par la main à coups de dialogues redondants ou surexpllicatifs à pratiquement tous les moments clé, au cas où il n’aurait pas pigé ce qu’il se passe à l’écran. Alors qu’à contrario une scène comme la prise d’otage dans Wall Street aurait nécessité quelque explication sur la motivation de Bane à se précipiter à l’extérieur alors qu’il bénéficie de la couverture de nombreux otages ; ou le fait que l’on passe inexplicablement du jour à la nuit en un raccord (entre autres joyeusetés over the fuck). Peut-être est-ce simplement un manque de confiance dans sa mise en images, son découpage, ce qui est tout aussi dommageable.
C’est surtout le personnage pourtant fondamentalement intéressant de John Blake qui en pâtit le plus. Quel besoin de lui faire répéter mot pour mot la tirade de Gordon sur la nécessité de parfois jeter les règles aux orties alors que l’on avait compris son revirement, son allégeance défaillante au gré de son opposition avec les militaires gardant le dernier accès vers l’extérieur, sa plaque qu’il jette peu après la résolution finale ? Mais le pire survient lorsqu’au moment de récupérer le sac laissé à son attention par Bruce il devra révéler son vrai prénom, Robin. Sérieusement ? Alors Nolan passe le film à montrer la transformation progressive de ce personnage en une figure héroïque qui sera capable à terme d’être le partenaire de Batman ou carrément de lui succéder mais balance explicitement le nom de son side-kick le plus emblématique histoire que toutes les connexions se fassent correctement dans nos petits cerveaux atrophiés. Comme si tout n’était pas devenu définitivement évident, voire transparent, lorsque Batman sermonne Blake en lui conseillant la prochaine fois qu’il voudra combattre en solo de revêtir un masque (sic). Outre que cette "révélation" est d’une débilité affligeante elle est une insulte aux fans du comic book et aux cinéphiles lambda. Mais bon, à ce stade du métrage, on était plus à ça près.
Narrativement à la ramasse, il ne fallait pas escompter sur les séquences d’action pour se rattraper, la platitude avec laquelle Nolan les filme, comme à son habitude, ne parvenant jamais à nous extraire de la torpeur généralisée. Les deux face à face entre Batman et Bane se contentent ainsi de la brutalité des coups, la dramatisation étant limitée aux difficultés physiques du Batman se tapant de plein fouet le mur de muscles Bane. De plus, l’affrontement final tente de créer une certaine exaltation avec mouvement de foule de bélligérants en arrière plan mais cela ne prend pas, réalisation trop timorée et trop attachée aux deux adversaires pour susciter la moindre excitation.
Malgré tout, la désespérance animant le dernier quart d’heure a presque fonctionné et l’on se retrouve alors avec une pointe d’inquiétude (enfin une émotion !) quant au destin de nos héros lorsque tout semble perdu (Lucius Fox manque d’être noyé dans l’inondation du complexe devant accueillir la bombe à désamorcer, le dernier pont de sortie explose devant les yeux ébahis de Blake, Gordon, Selina et Batman arrivent tout juste à stopper le camion transportant la bombe mais le peu de temps restant les condamne assurément). Même la prise de conscience un poil ridicule de la véritable identité du Batman par Gordon atténuait à peine le sentiment d’urgence et l’élégie naissante. Mais il a fallu que le sacrifice du Chevalier Noir soit un simulacre.
Nolan a posé ses couilles sur la table pour les retirer au dernier moment. La fin de Batman coulait de source vu tout ce qui a précédé dans les deux heures trente antérieures, l’émergence de Blake comme nouveau relais de la justice active et la manière dont Bruce envisage lui-même la figure du héros qu’il a inventé : un concept, un symbole qui pourrait sinon être repris par chaque habitant du moins être une source d’inspiration. Mais non. Et il faut en plus que Nolan nous fasse comprendre avec une incroyable balourdise que le justicier n’a pas péri (Fox apprend que pilotage automatique du Bat a été rajouté par B. Wayne en personne, le flambant neuf bat-signal caressé par Gordon), se permettant le luxe, ou plutôt la bêtise, de terminer sur le contre-champ du visage d’Alfred s’illuminant à la vision qu’il a en face de lui sur cette terrasse d’un café de Florence comme fantasmé depuis des années. Un dernier plan absurde et indigent qu’un cinéaste digne de ce nom ne se serait pas permis. Que ce soit la réalité ou pas (une inception comme certains le théorisent ?) n’y change rien.
Après s’être remarquablement approprié le personnage de Batman en le redéfinissant par le biais de ses motifs et thèmes récurrents, Nolan est incapable de conclure avec l’emphase que les deux premiers opus annonçaient, exigeaient. Ternissant même une légende patiemment reconstruite au sein d’un univers joliment orienté vers le polar et le film noir à tendance fantastique. Espérons que ce ne soit qu’une erreur de parcours et qu’il revienne à plus d’habileté et d’humilité.
THE DARK KNIGHT RISES
Réalisateur : Christopher Nolan
Scénario : Christopher Nolan, Jonathan Nolan, David S. Goyer, d’après le comic-book créé par Bob Kane et Bill Finger
Production : Christopher Nolan, Charles Roven, Jordan Goldberg, Emma Thomas…
Photo : Wally Pfister
Montage : Lee Smith
Bande originale : Hans Zimmer
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h44
Sortie française : 25 juillet 2012