Le Réveil De La Force : La guerre des étals
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- Critique par Guillaume Meral le 22 décembre 2015
Le mythe à l'époque de sa reproductibilité technique
Le moment tant attendu est arrivé, celui que les millions de fans de par le monde anticipent depuis que Disney a annoncé sa volonté de relancer la licence acquise à coups de milliards : Star Wars, Le Réveil De La Force est enfin sorti.Â
[Cet article révèle des éléments clés de l'intrigue]
L'énorme communauté s'apprête à être vengée de la prélogie, de ses errances narratives et esthétiques qui ont caractérisé la malheureuse entreprise de Lucas, et retrouver l'univers tel qu'ils ont appris à l'aimer. Et si il y a bien une chose que les pontes de Disney ont compris (le carton de Jurassic World leur donne raison avant même que leur film ne passe l'épreuve du premier week-end), c'est qu'il ne sert à rien de deviner les attentes d'un spectateur pour le satisfaire à l'idée de sortir un billet de dix. Plus besoin d'études de marché pour croiser les données statistiques sur les préférences des individus classés par âge, sexe, couleur de peau devant un comité d’exécutifs qui statuera sur la meilleure façon d'atteindre le public cible. A l'heure d'Internet, à plus forte raison sur un univers aussi fétichisé par sa fanbase que Star Wars, il suffit de lire ce que les internautes réclament et le leur donner sans contrarier les doléances formulées sur les forums ni les suggestions murmurées par les réseaux sociaux. Si une major est prête à débourser quatre milliards de billet verts pour acquérir les droits d'une franchise, ce n'est sûrement pas pour s'encombrer du facteur risque.
Pour mesurer à quel point ce nouvel épisode roule sur du velours, il suffit de constater l'absence quasi-totale de réserves dont sa promotion a bénéficié : pas de papier de Télérama pour déplorer l'hégémonie que le film de J.J. Abrams s'apprête à imposer sur les salles, pas de critique pour pester contre cette nouvelle preuve de suffisance de l'impérialisme culturel américain (il y a toujours l'inénarrable François Forrestier pour prendre la posture du mec à qui on ne la fait pas mais c'est peu). Et si ce n'est pas la première fois que Star Wars bénéficie de cet état de béatitude généralisée (se souvenir de La Revanche Des Sith acclamé tel un chef-d’œuvre dark and epic justifiant à lui-seul l'existence de la prélogie avant même que les premières reviews ne tombent), on ne saurait oblitérer cette écrasante réalité : Le Réveil De La Force était adopté bien avant ce mois de décembre. Depuis qu'Harrison Ford est apparu dans le dernier plan du premier trailer pour être exact, accompagné de son fidèle wookie et des acclamations d'une foule d'internautes qui n'en pouvait plus de voir son fantasme de cinéma se concrétiser sur grand écran (soit un papy de 70 ans en costume reprisé sortant du nettoyage à sec). Qui place la saga créée par George Lucas en haut du podium de l'imaginaire a à cet instant su que Star Wars serait repris en main "par un fan, pour les fans", qu'il retrouverait l'univers tel qu'il avait été emballé sous blister dans un coin de sa tête, préservé des aléas du monde extérieur. Dans ces conditions, la sortie n'était plus qu'une formalité destinée à faire retentir le tiroir-caisse.
Disney ayant très bien compris l'intérêt qu'il y avait à donner des gages d'authenticité à un public rompus aux caresses des exécutifs depuis dix ans, la présence de J.J. Abrams aux manettes tombe sous le coup de l'évidence. Outre sa capacité éprouvée à fédérer en donnant des os à ronger à tout le monde (un peu aux noobs, un peu aux geeks, un peu aux sérievores, aux cinéphages...), Abrams fait également partie de cette vague de réalisateurs qui revendiquent leur attachement à des supports menacés de disparitions. Voir le débat actuel sur l'usage de la pellicule dont il se présente comme un farouche défenseur, tout comme les effets "en dur" à même le plateau auxquels il n'a de cesse de donner publiquement sa préférence face aux images de synthèse. Mais si chez les autres réalisateurs ce combat prend des allures de profession de foi (Quentin Tarantino, Christopher Nolan, Fabrice Du Welz), il sert chez Abrams à différencier la télé d'où il vient du "cinéma, cinéma". Une posture qui permet de conférer à ses films une stature cinématographique sur des critères de reconnaissance gimmick qui dissimulent mal ses carences narratives, quand le tout ne vire pas à l'opportunisme pur et simple (Super 8 et son cachet "film personnel" qui avançait à coup de petit Spielberg illustré). De fait, Abrams ne pouvait trouver dans la version actuelle de Star Wars meilleure occasion pour que ses propres fétiches communient avec ceux du public. Dans Le Réveil De La Force, le cachet 35 mm répond à l'appel, de même que les valeurs de plans majestueuses réveillées par un Scope "leonien" ou "leanien" (selon la référence affichée par le cadre), les maquillages et maquettes effectuent leur grand retour dans une 3D techniquement impeccable. Bref, tout est là pour rappeler aux fans qu'ils se trouvent non seulement au cinéma, mais surtout devant un Star Wars, c'est-à -dire un film tourné selon les préceptes de l'époque dans laquelle la mémoire collective a embaumé la saga (seule la 3D et les quelques effets numériques font office de pièces rapportées, sans vraiment s'opposer à l'homogénéité de la démarche).
Aussi voyantes que soient les ficelles qui sous-tendent le procédé, force est de constater que le tout réussit à faire illusion pendant une bonne demi-heure. Le temps pour Abrams de piquer à Spielberg sa gestion de l'espace pour une scène d'ouverture qui gère habilement les différents niveaux de profondeurs du relief et d'introduire plutôt efficacement ses personnages. Malgré tout émerge déjà de l'ensemble une fragilité tangible, comme si l'équilibre précaire entre l'emballage classieux et le sens du récit chaotique et téléphoné du réalisateur menaçait de se rompre en faveur du second. C'est qu'on se refait pas, et il suffit d'une scène recoupant les trajectoires de deux des protagonistes principaux en tentant d'instaurer dans l'action une dynamique relationnelle poussive pour comprendre qu'Abrams n'avait pas repoussé ses limites, mais simplement retardé leur sortie.
C'est à peu près le moment où, à la faveur d'un rebondissement incroyablement arbitraire, Harrison Ford choisit de faire son entrée dans le costume qui l'avait rendu célèbre. Dès lors, contraint de tisser des liens entre les nouveaux personnages et la mythologie qui les précède, Abrams se fait débordé comme jamais par ses propres tics. Complètement dépassé par l'ampleur de la tâche qui lui est assigné (combler dans le fil du récit les trous des décennies précédentes), le réalisateur de Star Trek se met à enquiller les péripéties de manière frénétique, oralisant ses sous-intrigues introduites au forceps pour les faire exister, traitant par-dessus la jambe les éléments les plus intéressants (le sabre de Luke) ou cédant à une désinvolture scénaristique qui ferait hurler tout un chacun dans n'importe quel Marvel (le plan final pour faire sauter la nouvelle Etoile Noire...). D'où la contradiction entre une forme qui voudrait convoquer le spectre du grand spectacle classique avec un sens du rythme qui ne laisse jamais son histoire bénéficier de la respiration que son cadre essaie artificiellement de lui accorder.
Or, cette narration bordélique ne fait pas qu'impacter les apports du film à l'univers de la saga (Kylo Ren, prototype du bad guy écrit à la truelle, perd ses nerfs comme un ado travaillé par ses hormones à chaque mauvaise nouvelle), elle présente également des répercussions sur le récit qui la précède. La Force, concept spirituel dont l'apprentissage légitimait un processus de découverte de soi dans les premiers films se retrouve démystifié à l'aune du parcours de l'héroïne qui réussit à la maîtriser on ne sait trop comment lorsqu'il s'agit de faire avancer l'intrigue. Des coquilles de cette nature, Le Réveil De La Force les aligne comme des perles, n'arrivant jamais à raconter le mythe dont il est le dépositaire sans se reposer sur la complicité litigieuse du spectateur. Abrams ne cherche pas à dupliquer la structure d'Un Nouvel Espoir dans la perspective d'effets miroirs qui renverraient vers le passé pour mieux s'en affranchir, il s'agit carrément de se servir du spectateur et de ses acquis comme d'une béquille (enfin à ce niveau, on peut parler de fauteuil roulant) sur laquelle repose la compréhension de l'univers dépeint tant le film s'empêtre dans des nœuds indénouables afin de concilier ses différentes vocations. On défie ainsi quiconque arrivant vierge de toutes connaissances de Star Wars de comprendre quelque chose à l'interrogatoire de Rey par Kylo Ren alors que la première réussit à trouver la Force pour résister au second (et nous ressort le vieux truc de Jedi à la Austin Powers. Quoi c'est pas ça ?!). Le fait est que là où la prélogie de Lucas s'échinait à plaire à la nouvelle génération pour la ramener dans le giron de Star Wars, la nouvelle trilogie amorcée par Le Réveil De La Force n'a guère d'autres perspectives que de prêcher les convertis.
Cet Episode 7 fonctionne ainsi sur la connivence permanente avec le spectateur, son savoir, ses émotions passées et son imaginaire pour inférer avec le fracas abrupt qui se déroule sur l'écran. Comme si le film se faisait avec lui finalement, les choix scénaristiques se révélant à l'avenant d'une prise de risque située en dessous de zéro : la distribution des cartes selon une configuration semblable à celle du long-métrage de 1977 (l'Empire domine, les rebelles dans la Résistance) quand bien même il aurait été plus judicieux d'inverser la problématique. Les personnages vétérans qui font leur retour pour jouer exactement le même rôle que dans la précédente trilogie (Han Solo de nouveau contrebandier roublard de l'espace, vraiment ?) au mépris de l'évolution narrative que les films inauguraux leur avaient aménagés. Les nouveaux qui pompent leur trajectoire sur les anciens (Rey, rien de moins qu'une Luke 2). La direction artistique, fashion victim en puissance autour d'un mausolée vintage voudrait ignorer les quarante ans qui nous séparent d'Un Nouvel Espoir.
Incapable de fonctionner de façon autonome, Le Réveil De La Force reste complètement tributaire du spectateur-connaisseur envers lequel il multiplie les signaux de reconnaissance pour s'assurer sa participation. En cela, Disney a parfaitement réussi son coup, produisant un objet ressemblant à son public, dépendant comme lui des figures tutélaires dont il continue à téter le sein plutôt qu'oser les confronter à l'épreuve du temps de peur de les abîmer. Et compte tenu des enseignements du box-office cette année, une chose est sûre : quatre milliards, c'est plutôt une bonne affaire finalement.
STAR WARS: THE FORCE AWAKENS
Réalisation : J.J. Abrams
Scénario : J.J. Abrams, Lawrence Kasdan & Michael ArdntÂ
Production : J.J. Abrams, Lawrence Kasdan, Kathleen Kennedy, Bryan Burk...
Photo : Daniel Mindel
Montage : Maryann Brandon & Darren Gilford
Bande originale : John Williams
Origine : USA
Durée : 2h15
Sortie française : 16 décembre 2015
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