Septembre 2009
- Détails par Nicolas Bonci le 31 août 2009
Violer l'Histoire pour lui faire de beaux bâtards
C'est reparti pour une troisième saison après un entracte estival pas dégueulasse, entre les gros morceaux attendus répondant largement aux attentes (Public Enemies, Brüno, Là-Haut, Un Prophète, Le Temps Qu'Il Reste) et les petites pépites rafraîchissantes (Black, Bronson, Lascars, Le Roi de L'Evasion).
On évitera de s'attarder sur la qualité des productions françaises destinées au grand public (Bambou, Une Semaine Sur Deux, Jusqu'à Toi et le navrant Neuilly Sa Mère !), mais heureusement Audiard est là pour sauver les meubles ; on ne peut faire autrement que vous inciter à découvrir Un Prophète en salle et fissa. Neuilly Sa Mère ! ne peut pas être le succès français de l'été !
Bien évidemment le choc cinématographique des vacances, après GI Joe et Les Derniers Jours du Monde s'entend, est le monument de Quentin Tarantino. Avec Inglourious Basterds le cinéaste a su agglomérer sa richesse cinéphile et son propos avec une telle cohérence et une telle profondeur que public et critiques, si prompts à lister les références et citations qui parsèment ses œuvres, laissent volontiers de côté cet exercice dans le fond assez vain, pour se concentrer un peu plus sur l'œuvre elle-même.
L'aspect référentiel du film étant moins évident (mais ô combien présent et primordial), c'est vers l'autre caractéristique tarantinesque que se dirigent les reproches : Quentin fait trop de longues scènes dialoguées qui ne servent à rien ! Soit. Pourtant parmi ces "longues scènes de dialogues qui ne servent à rien" s'en trouve une, brillante d'efficacité derrière son aspect anecdotique, durant laquelle Tarantino démontre qu'on peut interpréter n'importe qu'elle œuvre à l'aune du "point Godwin" si tant est que l'on adopte un point de vue déviant ou extrême : ainsi pour un nazi essayant de deviner le titre de King Kong, le film de Cooper et Schoedsack est avant tout une allégorie évidente de la traite des Noirs.
Cette scène aurait dû suffire pour mettre l'auteur à l'abri de toute intention douteuse, mais c'était mal connaître le besoin névrotique qu'éprouvent certains de projeter sur autrui d'improbables problèmes de conscience. Ainsi l'inévitable Aurélien Ferenczi se demande sur le site de Télérama, comme pour s'excuser d'avoir apprécié un "film révisionniste" : "De quel droit Quentin Tarantino travestit-il l'Histoire ?", s'appuyant sur le papier du critique du New Yorker David Denby.
C'est vrai, depuis quand la fiction permet-elle l'uchronie ? Le fantasme ? La farce ? Le conte cathartique ? Le fond est atteint lorsque le journaliste croit pertinent d'écrire : "par exemple, la tirade du colonel Hans Landa où il compare les Juifs à des rats fait un peu froid dans le dos si on la sort de son contexte."
Ce qui fait froid dans le dos, c'est d'avoir ce genre de réflexion à propos d'un film qui met en scène le "visage de la vengeance juive" sur les braises chaudes sur IIIème Reich, c'est de ne pas avoir conscience que n'importe quelle réplique de fiction peut choquer une fois sortie de son contexte, c'est ignorer une référence directe aux films de propagande nazis. Ce qui fait très, très froid dans le dos, c'est d'avoir l'idée de sortir ce genre de phrase de leur contexte.
Pendant qu'une presse se demande si Tarantino ne serait pas un peu révisionniste sur les bords, un ministre ne trouve rien de mieux que de faire parler les morts pour défendre une loi anticonstitutionnelle !
"Je ne veux pas que l'on traîne dans le caniveau des pirates "L'atmosphère, atmosphère" d'Arletty, le "c'est dégueulasse" de Jean Seberg dans A Bout De Souffle, la biscotte de Michel Serrault dans La Cage Aux Folles. Ce sont les artistes qui m'accompagnent à cette tribune".
Frédéric Mitterrand a certes un peu plus de culture que Christine Albanel, mais niveau classe ça se joue, non ? Invoquer des personnalités décédées dans le cadre d'une loi si polémique (Hadopi), je ne sais pas si c'est du révisionnisme, mais ça fait vraiment froid dans le dos. En tous cas personne n'en parle, c'est donc que la politique a le droit de faire ce qu'on interdit à la fiction.
Bonus track : l'avis à chaud de Zug sur Inglourious Basterds, qui ne tenait pas dans notre tableau de notations, histoire de remettre une couche sur ce qui est selon nous incontestablement le film de l'année :
"Le pied, mon dieu quel pied j'ai pris ! Ce mec est un putain de génie. Peut être ton chef-d'oeuvre Quentin (comme le suppose un des ses alter ego à la fin) ? Oui, je pense aussi, oui.
Cette réflexion sur toutes les formes de langage, cette mise en abyme constante du cinéma et de la réalité, comment les deux s'interpénètrent, s'apprivoisent, s'opposent, se complètent... Faire du cinéma l'instrument de la chute du IIIème Reich, jouant alors sur le même terrain propagandiste que Goebbels... Génial ! Cet humour qui imprègne le film mais qui ne désamorce jamais les scènes de tension et bien au contraire y participe (la scène dans la taverne en sous-sol)... Génial ! Tout, j'ai tout aimé ! Même Mélanie Laurent que Tarantino met superbement bien en valeur, comme les femmes en général dans ses films du reste. Et cette ouverture, nom de dieu ! La théâtralité mortifère du chasseur de juifs qui en laissant s'échapper Shosana affirme sa supériorité et peut-être a-t-il déjà compris le reste du film (il lui offre un verre de lait lorsqu'ils mangent un strüddel !) et le rôle qu'il veut y tenir.
Tarantino s'approprie à merveille les codes, motifs et autres références pour nourrir son cinoche. Ce n'est pas qu'une succession de citations, d'ailleurs je suis sûr que celui-ci en est bardé mais ayant trait au cinéma allemand des années 20/30, elles me sont passées au-dessus de la tête. Mais on s'en fout ! Pourquoi ? Parce que Tarantino est tout entier tourné vers sa mise en scène, son projet artistique prime sur tout le reste.Et ça fonctionne car l'imbrication de sa narration et de sa culture cinéphilique est juste incroyable. Pourquoi Tarantino agace tellement de critiques ? Tout simplement parce que ces derniers n'ont pas le dixième (le centième ou le millième pour certains !) de sa culture cinématographique et ça les fait chier, de se voir renvoyer leurs lacunes. Et aussi parce que son cinéma parle à un autre niveau que la simple rhétorique intellectuelle. Tarantino est un cinéaste brillant, intelligent mais il est sans cesse conscient de sa mission ultime, le plaisir du spectateur lambda avant tout. Et pour tout ça et ses Inglourious Basterds, je n'ai qu'un mot à dire : MERCI !"