Brüno
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- Critique par Nicolas Bonci le 12 août 2009
Le gay savoir
Les spectateurs français amateurs de what tha fuck pelliculés peuvent se féliciter d'une chose : que la cible favorite du comique anglais Sacha Baron Cohen soit les USA et non l'Hexagone.
Sans quoi il y a fort à parier que ses productions connaîtraient le même sort que l'hilarant Talladega Nights, privé de sortie dans nos salles, l'interprète de Borat et Brüno osant y moquer la nation des droits de l'Homme par le biais d'un pilote français psychotique. Paradoxal quand le métrage en question dénonce davantage les spectateurs Yankees et leur goût immodéré pour le consumérisme bêta, mais sommes-nous jugés trop stupides pour accepter la moindre once de parodie dans un film étranger. Un genre de mésaventure qui n'empêche pas quelques uns de régulièrement amalgamer le pire et le n'importe quoi afin de propager l'image d'un peuple US unanimement beauf, crétin, réac et allergique à toute critique, quand bien même ce peuple fait un triomphe aux Talladega Nights et autre Borat. On peut donc légitimement se demander si effectivement on ne serait pas un peu plus concon sur les bords que nos vis-à -vis d'outre-Atlantique.
C'est ainsi nanti de l'aura de "celui qui permet aux américanophobes d'apprécier pour une fois l'humour bas du slip" que le fou furieux Cohen revient à la charge, pas découragé par les quelques centaines (voire milliers) de procès que lui a valus Borat.
Sous la défroque d'un fashionista autrichien gay, SBC quête la célébrité hollywoodienne, et ce à travers tous les moyens réellement entrepris par nos amis les people : cause humanitaire inédite, show TV d'une vulgarité abyssale, adoption d'orphelin du tiers-monde et même, en désespoir de cause, reniement de son identité. Et pour chaque étape, Cohen n'y va évidemment pas avec le dos de la cuillère : la Palestine se souviendra longtemps de son passage "pacificateur" (quelques outrages relèvent de la pure inconscience), le panel de téléspectateur pour le screen test de son pilote TV ne doit toujours pas avoir digéré le gland qui parle, et les mères de famille afro-américaines du talk show à la Jerry Springer sont sûrement encore sous le choc de l'échange d'un petit africain contre un iPod (mais un iPod édition limitée U2, hein !). La mâchoire se décroche si souvent devant les affronts de Brüno que lorsqu'une mère de famille accepte que son bébé pose en nazi ou perde cinq kilos en une semaine pour une campagne de pub, on laisse tomber l'angle de la potacherie provoc pour se demander si on n'aurait pas atteint ici une certaine métaphysique de la connerie et de la cupidité.
Et Cohen ne se contente pas de choquer juste pour le plaisir de bousculer des cibles faciles : par un gag aussi gonflé que visuellement fort, qu'on croirait sorti de South Park (des mexicains servent de meubles pour recevoir La Toya Jackson Paula Abdul), Cohen expose l'hypocrisie d'une large partie de ses camarades de la staritude qui se jettent sur une cause lointaine sans se rendre compte des problèmes qui s'agglutinent sous leurs yeux.
Constatant que tous ses efforts restent vains pour gagner le cœur de la jet set, Brüno décide dans le dernier tiers du métrage de devenir hétéro, quelques soient les moyens à mettre en oeuvre, un peu comme notre Roi De L'Evasion à nous qu'on a sauf que non en fait c'est pas vraiment comparable. L'initiation commencera pour l'autrichien le plus célèbre depuis Hitler par la rencontre avec un pasteur jadis gay qui convertit dorénavant les homosexuels en hétéro. Un "exchange ministry" auquel se confrontait déjà le comédien Bill Maher dans le parcours maïeutique Religulous (très intelligemment traduit chez nous en Religogol ou un truc approchant) de Larry Charles, habitué des extravagances documentaires puisque réalisateur des Borat et Brüno. Le climax de cette transformation hétéro prendra place lors d'un spectacle de catch en Arkansas qui restera dans les annales tant par la puissance du happening réalisé par Cohen et son acolyte que par les réactions de milliers de rednecks dont on vient piétiner les illusions. A se demander comment les cameramen ont pu sortir vivants après avoir filmé en close up ces durs à cuir chialer des litrons de déception. D'autant plus que dans Borat le concept du faux reportage réalisé par un faux journaliste justifiait la présence d'une caméra aussi bien pour les victimes des canulars que pour l'immersion du spectateur. Ici, Cohen et son réalisateur alternent des moments de pure fiction avec des séquences en caméra cachée (le républicain Ron Paul pris en guet-apens dans une chambre d'hôtel) et de mini faux reportages (une nuit chez des chasseurs qui ne veulent vraiment pas partager leur tente au point de s'en prendre au cadreur), le tout afin de coller à une trame s'articulant autour de plusieurs passages obligés. Un choix qui permet de donner une cohérence démonstrative à Brüno mais occasionne par moment quelques baisses de rythme.
Cette multiplicité des approches révèle, derrière un assemblage foutraque qui, par la force des choses, paraît souvent improvisé, une pré-prod importante consistant aussi bien à dénicher les spécimens adéquates pour chaque module qu'à sauvegarder la spontanéité des situations en masquant aux divers protagonistes la nature du tournage. Ce qui, par exemple, passe par la création d'une palanquée de sociétés fantômes pour l'équipe de production menée rien de moins que par des figures de l'humour gras et yankee, Jay Roach (la trilogie Austin Powers) et Jeff Schaffer (réalisateur de EuroTrip, renommé chez nous Sex Trip au bon souvenir de Cruel Intentions renommé en Sexe Intention, Wild Things en Sexcimes, et Bad Biology en… Sex Addict… Selon nos distributeurs en plus d'être cons nous sommes obsédés sexuels).
Sacha Baron Cohen, Larry Charles et leurs potes ne font, d'une certaine manière, que s'approprier des méthodes acceptées à la télévision, celles qui donnent des shows comme Strip Tease, des reportages abondamment illustrés par des images volées ou des "docu-fictions" dont la grossière antinomie du concept n'a jamais gêné personne. Il faut bien une revue pieuse comme Télérama pour s'arc-bouter contre les variations des procédés au sein d'un même projet pour en décider l'inanité globale : "Caméra cachée ou blockbuster travesti ? Rien qu'à voir le défilé des guest stars complices (genre Bono, de U2, ou Elton John), suggérant un radical changement d'échelle, difficile de laisser au film le bénéfice du doute".
Caméra cachée ou blockbuster travesti ? Et pourquoi les deux ne pourraient pas cohabiter ? Etrange manie que de confondre fin et moyens afin de mieux cloisonner les écoles. Surtout concernant un film qui prône le mélange des genres.
BRÃœNO
Réalisateur : Larry Charles
Scénario : Sacha Baron Cohen, Anthony Hines, Dan Mazer & Jeff Schaffer
Production : Sacha Baron Cohen, Jay Roach, Jeff Schaffer, Anthony Hines
Photo : Anthony Hardwick  & Wolfgang Held
Montage : Scott M. Davids& James Thomas            Â
Bande originale : Erran Baron Cohen
Origine : USA
Durée : 1H21
Sortie française : 22 juillet 2009