South Park : Sarcastaball
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- Série TV par Clément Arbrun le 12 août 2013
Sport de cons bas
Dans un monde gangrené par la loi du LOL facile, à l’intérieur de cette globosphère où le junk a définitivement gagné, seule subsiste l’arme la plus redoutable : le crayon aiguisé du satiriste.
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Le satiriste est l’artiste désespéré, volontiers misanthrope, exagérant les traits d’une réalité affligeante pour mieux en exprimer toute la vacuité.
Plus que jamais, la seizième saison de South Park a magnifié la hargne de Trey Parker et Matt Stone, caricaturistes apolitiques forcenés si fascinants qu’il serait stupide de limiter leur talent à un art du trash détonnant. Ce qui caractérise une création exceptionnelle comme South Park (toujours indépendante, toujours vivante), c’est ce mélange des tons humoristiques : envolées gorasses ou scatos, références culturelles, allusions sociétales, obscénités, idées what the fuck crayonnées avec la plus belle radicalité, etc. Et ce qui rend ces dessins d’apparence brouillonne tout à fait jouissifs, c’est que l’incongruité d’un synopsis n’est qu’une excuse comique pour vriller vers le rire jaune. Le rire jaune, celui de la fatalité, l’humour du désespoir ! C’est là le principe de la caricature la plus outrée : toucher les zygomatiques en peignant le déplaisant.
POUR L'AMOUR DU JEU
Fulgurance parmi tant d’autres, Sarcastaball (huitème épisode de cette seizième saison) poursuit la note d’intention d’une foultitude d’épisodes allant plus loin que le délire acerbe bourrin en cristallisant les maux du malaise social. Comme souvent dans l’univers de Parker et Stone, tout part d’une grosse blague : atterré par les changements de règles du football américain scolaire, l’inénarrable Randy exagère la situation en pleine réunion parents / profs avec la plus méprisante des ironies. Hélas, le sport de chochottes qu’il invente et dépeint pour critiquer l’état des lieux est pris au premier degré, et va devenir l’activité number one du pays de l’Oncle Sam !
Plus qu’un truculent one man show du passionnant Randy, Sarcastaball est le charcutage en règle d’un culte du sport tant exécré. Il n’est pas exagéré de parler de "culte", puisque chaque particule, idéalisation ou nouvelle idole de la société américaine fut la victime des tarés Stone et Parker : stars décadentes, poulains de la télé-poubelle, modes diverses et par essence éphémères, consommation, technologies, religion, idéologies, univers médiatiques et artistiques… Ainsi, dans cette vision globale et féroce d’un grand "rien" social, le sport est une blague comme une autre, dont il est préférable de rire, et qui ne vaut guère mieux qu’une dégustation de sperme. Les spectateurs ne sont que pantins, pour ce qui tient non pas d’une valorisation de l’esprit d’équipe mais d’une concrète farce dont ils sont les dindons.
Le sarcasme de Randy devient le pendant dessin-animé d’un BASEketball. Souvenez-vous : cet ovni à trois mains (Parker, Stone, David Zucker), décrié mais pourtant si sincère dans sa moquerie et ses atours parodiques. Le but du baseketball était de détourner l’attention de l’adversaire par toutes sortes d’insultes et autres farandoles potaches. La régression assumée de l’entertainement rejoignait celle, plus effrayante, des matchs où s’épousent beauferie et ennui. Des années durant, les trublions ont accumulé par le biais de leur show les frasques contre le cirque sportif quel qu’il soit : Poor And Stupid parlait du Nascar, Crippled Summer du handisport, Stanley’s Cup du hockey, et le baseball, sport fétiche s’il en est de l’amateur de hot dogs, était savamment démystifié dans The Losing Edge… Et à chaque fois, il s’agit d’élever plus haut encore le concept qui est le suivant : répondre au régime du "faux" et de la bonne conscience hypocrite par l’intégrité du garnement incendiant tout sur son passage. Pas vraiment de happy end à la fin d’un récit au second degré permanent (Randy incarne la voix railleuse des créateurs), où des gosses enfilent soutient-gorges et échangent câlins pour "l’amour du sport" : ironie de la chose, ces gamins peuvent être envisagés comme les seules figures candides de l’entreprise, prenant au sérieux tout ce bazar non-sensique.
Moins premier degré qu’un Les Simpson, plus inattendu encore qu’un Malcolm car s’offrant l’étendue des possibilités du cartoon, South Park semble de plus en plus, entre deux tirs au bazooka, culminer des questionnements qui virent au méta-textuel.
SARCASM-ATHON
Effectivement, si l’on absorbe ces vingt minutes d’hilarité en rétrospective d’un enchaînement de piques alternées au fil d’une seule saison, la charge a en vérité tout d’une mise en abyme.
De Cartman Finds Love (le racisme est aujourd’hui de l’anti-racisme, et inversement) à Butterballs (tous les anti-harcèlement sont des harceleurs en puissance) en passant par A Scause For Applause (la religion est aussi modifiable d’une émission people), les valeurs n’ont plus aucune signification et tout empire. La preuve avec le magique Insecurity, lequel débouchait sur deux constats : du livreur de lait au livreur d’Amazon, la communauté est toujours aussi débilos, si ce n’est qu’elle use aujourd’hui de la plus dérisoire camelote pour alimenter sa paranoïa, jusqu’au point de non-retour (même le mec chargé de la sécurité ne se sent pas en sécurité !). Le non retour (la fin de la fin, l’Idiocracy), c’est là le sujet-phare de Raising The Bar : seize saisons d’insultes, de pastiches et de politiquement incorrect pour admettre que "la barre est tombée bien bas".TROP bas.
Prolongement d’un dépressif You’re Getting Old, lequel posait la question "pourquoi continuer à agir quand plus rien n’a la même saveur ?", Sarcastaball se sert du sarcasme comme running gag jusqu’au-boutiste, début et fin d’un divertissement comme South Park. Par définition, le sarcasme transcende l’idée d’une critique portée à un gouvernement spécifique ou à une nation donnée, puisqu’il s’agit d’une réaction pince-sans-rire à l’absurdité d’une situation en général. En cela, le sarcasme dépasse l’ironie (qui serait très appuyée) car il est bien plus subtil. Il s’agit avant toute chose de "déguiser", de masquer. Et qu’est-ce que South Park, sinon un pur chaos imprévisible où les messages qui surnagent voguent au gré d’un tempétueux océan ? Chaque histoire racontée semble naître d’une trouvaille incongrue. Ainsi un épisode peut-il mélanger un événement politique avec un événement économique (Obama Wins!) ou encore une nouveauté commerciale et un buzz artistique (The Human Centi-Pad), comme si un journal culturel était passé au mixer et rejeté dans un bain d’anarchie humoristique sans limites.
Ce sont par ses moyens détournés (innombrables pastiches, quiproquos insignifiants, énormes délires sans-queue-ni-tête dirigeant l’épisode vers le portnawak absolu) que Parker et Stone s’attaquent de plein fouet aux citoyens, classes ethniques, tabous, croyances, préjugés, personnalités, icônes et nouveaux mythes, du détail contextuel à l’universel, de l’ironie au sarcasme, de la broutille à ce foutoir qu’est la condition humaine. Demandez-leur de simplement brosser un petit truc rigolo mettant en avant la petitesse du pénis de Cartman, et les voilà qui taillent à la serpe une population de décérébrés expliquant la petite taille de leurs sexes en fustigeant le gouvernement démocrate d’Obama ! Parker et Stone sont les rois de la dissimulation : ils sont les rois de l’humour sarcastique, celui qui emprunte plusieurs voies pour finalement afficher son vrai dessein et faire très mal.
En proposant un Randy condamné aux sarcasmes (n’ayant même plus possession de ce que sa propre vanne a engendré), sarcasmes synonymes de succès, les auteurs de South Park semblent poursuivre une auto-analyse, après toutes ces années d’exploration du "dumb" sans fin. Jusqu’où le sarcasme peut-il aller ? A quoi bon éterniser le sarcasme ? La nécessité de l’humour est mise en parallèle avec le niveau de ridicule qui est dépeint, comme si la bêtise de l’humoriste était fatalement égale à celle du sarcastaball. Jouant un rôle progressivement dénué de tout intérêt (et c’est aussi le cas de la pratique qu’il a inventée), Randy, comme dans grand nombre d’épisodes le mettant en scène (A Nightmare On Facetimepar exemple) se dévoile finalement dépassé, out : le temps n’est plus au sarcasme, la blague a eut son heure.
Si dans leurs instants de créations les plus déchaînés les créateurs semblent résumer la vieà un gigantesque "SHIT", c’est ici le show lui-même qui semble être mis face à son possible essoufflement futur : là où le sarcasme s’effondre à force d’usages, là où le sarcastique n’a plus qu’à se taire. Comme d’habitude, Parker et Stone sont là où on ne les attend pas, et, savoureux anars, ils font tout pour rejeter l’étiquette qu’on souhaite leur imposer. Subtils, engagés, utiles à la société, ils avouent ne pas l’être, fichant en l’air toute sorte de caséification réductrice. Dans la peau de Randy, ils poussent le medium humoristique jusqu’à l’épuisement de l’auto-dérision à son meilleur.
Ce n’est pas innocent si Stan Marsh apparaît, dans Bass To Mouth ou dans Butterballs comme une sorte de décalque de l’image du "critique" militant : il veut bien dénoncer et lutter contre l’immoral…mais seulement quand cela lui apporte avantage ! Le fait d’élaborer une suite de sarcasmes jusqu’au paroxysme contribue à consolider cette auto-critique de plus en plus détectable dans la série. Entre cinq gags énormes et trois envolées lyriques à base de "Fuck me", South Park ne compile plus seulement les aberrations hallucinantes et joliment exagérées d’un système et de ses influences, mais en vient à remettre en question un sujet tout autant sensible et essentiel : la série en elle-même !
Finalement, avouer humblement sa propre futilité revient à démontrer davantage celle de son environnement : catégories sociales au sein d’un système foireux, masse manipulées (des élections à la paranoïa), fantasmes et autres faux prophètes…
Le sarcasm-athon de ce duo atomique n’a alors qu’une visée : s’il faut un jour sombrer, autant s’agripper à la médiocrité alentours pour mieux l’emporter avec soi.
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