Malcolm
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- Série TV par Clément Arbrun le 1 octobre 2012
Fratrie of life
La banlieue américaine. Le cadre familial typique : un couple et quatre garçons. L'american way of life. Occupations ménagères, école, taf, ennuis périphériques. Rien de bien palpitant.
Et pourtant ! Voilà que tout se retrouve explosé par l'irrévérence propre au morveux sans foi ni loi. Trashitude et anarchie salvatrice ! Une sitcom comme Malcolm In The Middle (simplement baptisé Malcolm chez nous autres "cheese-eating surrender monkeys" comme dirait Matt Groening) est sérieusement unique dans la paysage cathodique. Tellement exceptionnelle que peu ont pris le temps d'en dire deux trois mots. Dont acte. Mettez la musique à fond, re-peignez la baraque du voisin à coups d'œufs moisis et profitez confortablement du spectacle.
Toute famille a un père, naturel ou spirituel. Le papa de Malcolm se nomme Linwood Boomer. Qui ça ? Mais si ! Linwood Boomer, aka Adam Kendall, l'époux de Mary Ingalls, la fille du coupeur de bois de La Petite Maison Dans La Prairie. Le symbole de la force, de l'union, de l'éternelle Amérique qui se contente d'une orange pour les fêtes. Plus précisément, si de 1978 à 1981 il incarne le Jean Dridéal, le début du vingt-et-unième siècle sera le moment de sa totale consécration artistique (au sens de "qualité"). Après avoir déjà produit et écrit pour quelques séries comme Red Dwarf (version américaine du show de Rob Grant et Doug Naylor), Flying Blind (créé par Richard Rosenstock, futur scénariste au sein de Arrested Development), Troisième Planète Après Le Soleil (déjà l'histoire d'une famille ricaine... mais perçue par des extraterrestres !) et Townies (avec Molly Ringwald !), Boomer parvient à imposer Malcolm en 2000. Malgré le malus des projos tests, les spectateurs trouvant la série trop trash (alors que précisément c'est là son atout majeur), le show va durer pas moins de cent cinquante et un épisodes, dispersés sur six ans d'existence.
Boomer le bougre s'inspire de sa propre enfance et s'entoure de prodigieux scribouillards. Il décide de rendre too much, mais plus accessible, ce que furent ses années ingrates. Car Linwood était une tête d'ampoule. Cette référence au robot de Géo Trouvetou, allusion directe à la métaphore de l'ampoule qui apparaît, lumineuse, au-dessus de la tête, dès qu'idée il y a, n'est donc pas usée que pour Malcolm mais également pour son créateur. Survivant à des années collège où il affichera la mine la plus antisociale possible, devenant quasiment un sociopathe à cause de son statut de surdoué, réagissant à tout par le cynisme le plus hautain et destructeur, Boomer ne se doutait pas qu'en adoucissant un chouia son moi du passé il allait inventer l'un des persos fictifs enfantins les plus attachants du petit écran, une sorte de croisement improbable entre le nerd bastonné des teenage movies et ce Tom Sawyer moderne qu'est Bart Simpson.
Puisqu'il est déjà question de références, venons-en au fait. En bâtissant sa série, Boomer a su exploiter un concept classique pour l'enrichir d'idées dingos, détourner un schéma de base traditionnel en le transformant en antre de création pour potaches. On peut toujours relier Malcolm à tant de séries, mais ce sont finalement ces séries qui se relient à Malcolm. C'est là le fruit d'une collaboration réfléchie entre scénaristes, chaque gratte-papier ayant fait - ou allant faire - ses armes sur d'autres shows tout aussi révélateurs car allant de l’étude de groupe à la joyeuse caricature. Effectivement, si la majorité des scénaristes sont de fidèles collaborateurs de Boomer, beaucoup ont leurs noms accolés à d'autres horizons télévisuels et pas des moindres : Community (autre série employant allègrement le too much et l'absurde), Friends (autre histoire de cercle communautaire, cette fois ci de "potes" et non pas familial, où aucun perso n'est vraiment raisonné et raisonnable), Le Loup-Garou Du Campus (série pour ados inégale mais décalée) ou encore American Dad et Les Griffin.
Tiens tiens, deux séries pour le moins satiriques carburant au stéréotype atomisé du foyer américain, ce home, sweet home… La goutte d’eau étant de dénoter chez certains scénaristes une collaboration à la série Roseanne, vie quotidienne d'une famille pas commune, ancêtre de Les Simpson, où l'éternel John Goodman prévoyait l'arrivée du non moins enveloppé Homer. En vérité, Malcolm est comparable à tout cela tout en s'en détachant. Si le show de Groening voit ici son non-sens, ses persos détraqués (dont la figure du père irréfléchi / fou et celui du / des petits délinquants), ses gags bigger than life retranscrits en live, cette ambiance un poil anarchique qui passe de l'animé au "vrai" chez Boomer, ce dernier décide de pousser l'immoralité jouissive du spectacle à un point imminent où l'acte du goofy est perçu comme une normalité.
Les épisodes des Simpson contiennent leur lot de bons sentiments humanistes et de moralité doucement amenée, chaque caractère perçoit ses gaffes, le réconfort n'est jamais bien loin, il est question de fraternité plus que de destruction totale. Mais dans l'univers de Malcolm, un univers retranscrit directement par Malcolm, notre narrateur face caméra, aucun membre ne peut sauver l'autre et tout est dévié. En une hilarante peinture sociale et burlesque pleine de bêtises infantiles (même quand il s’agit d’adultes), de coups tordus, de délires et autres maux comportementaux, Boomer fait du décalé non pas un freak mais une condition sine qua non de l'existence : vive les agités du bulbe ! Et dans sa manière de laisser penser à une moralité tout en piétinant avec joie le concept-même de morale par de sempiternels pieds de nez finals, Boomer se rapproche bien plus de l'état d'esprit anar et potache d'une autre œuvre rigolarde et de ses créateurs… Vous avez déjà deviné : South Park, évidemment, le joyeux chahut de Trey Parker et Matt Stone !
De la même manière que Stone et Parker s'emparent d'une culture à tout-va en raillant la nation, le générique de début de Malcolm mélange pèle-mêle images d'animés, de sports extrêmes, de films de bêbêtes et de combats de catchs en reliant tout à nos gamins turbulents, le rythme rock trépidant des They Might Be Giants en fond sonore ne faisant que surligner la fusion entre une certaine sous-culture et la famille dont nous allons suivre les aventures. Cela étant dit, un petit lien en passant, pour la forme : là où Malcolm pourrait se résumer par "Life is unfair", Matt Groening définissait ses premières œuvres par des maximes aussi durables que Life Is Hell et School Is Hell dans ses premiers albums éponymes de comic strips cyniques, parus bien avant le succès de la famille jaune. Un lapin à une oreille, baptisé Bongo, y concevait, de même que Malcolm, l’absurdité folle de la vie comme du système scolaire, tout outsiderqu’il était à cause de son unique oreille. Everything is connected.
La preuve par l'absolu du statut de Malcolm In The Middle comme entertainement plus irrévérencieux tu meurs, ce n'est pas précisément le fait qu'aux yeux des studios il n'aurait jamais dû exister, mais la raison même pour laquelle il manqua de ne pas voir le jour. Cette raison tient non pas des coups fourrés entre frères (où même l'intello n'en est pas à sa première farce, où le plus jeune n'est pas le moins malin) que du portrait acerbe d'une Amérique en tant qu'asile de fous, de manipulateurs sans scrupule et de menteurs, mais… de l'écriture scénaristique de la mère, jugée trop méchante ! Et un show où tout le souci d'accessibilité à un public large tient à la caractérisation soi-disant problématique d'une mère de famille, avouez que ce n'est pas banal, ma bonne dame.
Effectivement, si il lui arrive de péter un plomb par intermittence (comme Marge Simpson) quand elle n'est pas objet de contestation ou de décalages (dans Mariés, Deux Enfants par exemple), la all-american wife des divertissements cathodiques US, quand bien même elle affiche une certaine indépendance, sert surtout de sauveuse du couple comme de l'union familiale, tel un médiateur qui se doit de protéger des dangers son groupe pour mieux le consolider. Or, quelle ne dût pas être la surprise des spectateurs à la découverte de Lois, femme forte qui supporte tout son petit monde avec la sévérité et la ténacité du général Patton, mère acharnée n'hésitant pas à faire ce qu'elle veut de ses fils quand il s'agit de punitions expéditives, et, surtout, par-delà l'école ou même la Loi et la police, phobie-somme de ses propres rejetons, voyant en elle, à chaque ruse, un cyclone prêt à déferler !
Un personnage attachant bien que craint par tous, autour duquel gravitent d’autres allumés hauts en couleurs. A l’intérieur de la cellule familiale, on trouve le père, dont la devise est "Trichez, mais surtout, ne vous faites jamais prendre !", figure pathétique et hilarante parfaitement incarnée par Bryan Cranston, tardivement reconnu à la mesure de son talent, acteur déjà friand des rôles un peu tordus, et ce avant Breaking Bad. Paternel parfois complice de ses rejetons aux mille combines, lesquels développent à tout endroit (maison, école, ville au nom non déterminé) un sens très filial de la magouille et de la crasse parfois digne d’Eric Cartman, quand il ne s’agit pas, concernant le plus âgé (mais pas le plus mature), de foutre le souk à l’intérieur d’une des grosses institutions de l’Oncle Sam : l’armée, ni plus ni moins ! Et une multitude de caractères secondaires de se propager autour du cadre familial, du fermier sorti de Benny Hill à la vieille dame impitoyable, du militaire surréaliste de bande dessinée à l’obèse pataud.
Si beaucoup de séries ont surfé sur l'insouciance chaotique de Malcolm, elles n'ont jamais sur capter ce petit quelque chose qui fait sa particularité. Mais qu'est-ce donc ? La satire mastoc ? L'avalanche de gags ? Les personnalités toutes  plus chtarbées les unes que les autres ? Pas seulement. Qu'il s'agisse de The Middle, de Earl ou de The Savages, ces spectacles divertissants emplis de décalés rock’n’roll n'ont pu atteindre l'équilibre et la justesse dans le bordel de Boomer et de ses scénaristes, qui, s'ils visent le désordre, font en sorte de créer du désordre dans l'ordre. Car, au final, cette famille est unie dans le dawa plus qu'elle est déstructurée par l'accumulation des sacrilèges aux bonnes manières ! Et c'est ce qui rend véritablement tous ces personnages si rares : cet air de fuck you attitude collectif et fièrement affiché. Des personnages qui n'évoluent pas mais se consolident dans leurs actes régressifs, et qui, par une écriture ciselée, s’épaississent aux yeux du public malgré (ou grâce à  ?) leurs contours appuyés au gros trait. Bref, c’est un joyeux bazar qui, du rythme effréné à l'idée de narrateur face caméra / public (imposant par ce procédé une fenêtre fantasmagorique), rappelle aux spectateurs le vent d'air frais et le côté cartoon d'un... Ferris Bueller !
Le mot de la fin, monsieur ? Malcolm est le seul truc au monde qui fasse accepter l’usage d’un morceau de Sum 41. Malcolm est un peu comme le décolleté d’Alison Brie, plus aisément parlant au ressenti qu’à l’analyse. Malcolm est au jeune garçon en quête de transgressions ce que le lapin chocolaté est à Pâques. Malcolm nous rappelle qu’il n’y a rien de plus cool qu’un jeune délinquant, voir celui de Paranorman pour s’en conforter.
En deux mots, Malcolm est un peu à l’image de l’un des gags les plus connus de la série : tout un épisode passé à construire un empire de dominos, bien droit, réglé, soigné, correct. Mais c’est tellement bon quand les dominos se cassent la figure un par un ! Quel spectacle !
Mangez-en des tonnes, tel de fiers gremlins avides de destruction !
MALCOLM IN THE MIDDLE
Créé par Lynwood Boomer
Réalisateurs : Todd Holland, Jeff Melman, Ken Kwapis, David D'Ovidio, Peter Lauer, Levie Isaacks, Steve Welch, Steve Love, Bryan Cranston, James Simons , Linwood Boomer, David Grossman,           Arlene Sanford, Jamie Babbit, Alex Reid
Scénaristes : Linwood Boomer, Michael Glouberman,Andy Bobrow, Gary Murphy, Alex Reid, Andrew Orenstein, Maggie Bandur, Dan Kopelman, Neil Thompson,Alan J. Higgins, Pang-Ni Landrum, Rob Ulin,  Matthew Carlson,Michael Borkow,Eric Kaplan,Ian Busch,Nahnatchka Khan, Bob Stevens, David Richardson, Jay Kogen, Dan Danko, Tom Mason, Janae Bakken, Rob Hanning, David Wright
Production : Regency Television / Fox Television Studios
Bande originale : Charles Sydnor, They Might Be Giants
Interprètes : Frankie Muniz, Justin Berfield, Erik Per Sullivan, Bryan Cranston, Jane Kaczmarek, Christopher Masterson, Craig Lamar Taylor ...
Origine : USA
Dates de diffusion : 2000 - 2006