Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2011
Le feu au FEFFS
Le festival européen du film fantastique de Strasbourg (FEFFS), qui s'est tenu du 11 au 18 septembre, évolue vers plus de professionnalisme pour cette quatrième année, a confirmé sa montée en puissance au fil des éditions.
Le jury se compose pour cette quatrième édition du critique Jean-Baptiste Thoret, du dessinateur Ben Templesmith et de la légende George Romero, succédant à Lamberto Bava, Roger Corman et Brian Yuzna à la présidence du jury.
Un jury plus réduit que les années précédentes, mais qui va pourtant avoir à faire à une sélection élargie aux films internationaux et à un allongement de la durée du festival qui court désormais sur une semaine entière.
A cette occasion l’Octopuss d’Or, la statuette en verre dont le seul exemplaire jusqu’à cette année trônait chez Fabrice du Welz (Cf. 1èreédition), fait son grand retour en temps que grand prix du FEFFS.
L’autre grand prix est toujours le seul Méliès d’Argent français, passeport pour la compétition du Méliès d’Or au festival de Sitges, qui récompense les films européens de la sélection.
Même politique pour les courts-métrages : le festival décernant un Méliès d’Argent et un Octopuss d’Or sur la sélection internationale, et un prix Seppia réservé à la sélection "Made in France".
S’y ajoutent les séances Crossovers, Midnight Extrême, deux documentaires, une Spéciale fantastique et une sélection jeune public. Autant dire que la semaine ne va pas être de tout repos.
PRÉLUDES
Le succès du festival semble se profiler la veille de l’ouverture avec la troisième zombie walk de Strasbourg et sa participation record de 3000 personnes portée par la Fanfare d’outre-tombe. Après avoir déambulé une bonne heure et demi, le cortège s’arrête place de la Bourse, avec cette année des stands et animations pour faire patienter la horde affamée jusqu’au Bal électro des Zombies (Panimix, Janski Beeeats, Pulpacious et La mort de Darius sur scène).
Il faut attendre le lendemain et l’ouverture du festival pour voir le jury et son président Romero. Une personnalité qui semble enfin décider les politiques de Strasbourg à soutenir le festival, comme nous le rappellera l'assistant au maire venu pour l'occasion. Parce que "George Romero ce n'est pas que du fantastique, c'est surtout du politico-social."
Après cette brillante intervention et les remerciements de rigueur, Super de James Gunn lance les hostilités. Super raconte comment le loser borderline Frank (Rainn Wilson) se transforme en super-héros quand sa ravissante junkie de femme (Liv Tyler) le quitte pour un dealer, Jacques (Kevin Bacon). Un super-héros nommé Crimson Bolt, mue par une illumination divine, plus proche du vigilante que du justicier, et aidé par son acolyte hystérique Boltie (l'insupportable Ellen Paige).Si James Gunn transporte la figure du super-héros dans une réalité (forcément brutale), notamment par une mise en scène indie (forcément moche), il en tire une vision du super-héros démystifiée qui s'éclate à l'atterrissage contre la conclusion cynique en porte-à -faux avec la fuck you attitude qui nourrit le film. A l'image de sa fameuse scène de sexe, point culminant du pathétique qui n'aboutit sur... rien.
Je saute le cocktail d'ouverture avec le souvenir d'un film décevant et un poil trop mou.
LA COMPÉTITION
L'équipe de Daniel Cohen se démena pour livrer une sélection éclectique et contenant son lot de surprises, comme en témoigne la première européenne de Livide des frenchies Julien Maury et Alexandre Bustillo. Si le film prouve une fois de plus la maitrise technique du cinéma de genre français micro-budgeté, le scénario ne suit pas et ceux qui n'entreront pas dans le trip poétique passée la très belle première partie risquent de s'emmerder sec.
On retrouve également en sélection Kalevet d'Aharon Keshales et Navot Papushado, premier film d'horreur israélien, garanti sans conflit israélo-palestinien. Un groupe de jeunes étudiants se retrouve coincé dans une forêt où rôde un mystérieux couple de frère et sœur, garde-chasse ventripotent et, grande "originalité", un tueur complètement amorphe. Un slasher oubliable mais sympathique pour qui aime voir des personnages sans charisme se faire désosser par une large palette d'instruments de torture (masse, arme à feu, mine antipersonnel,  etc.).
Dans un autre genre, Harold's Going Stiff de Keith Wright. Tourné pour une poignée d'euros au caméscope et en neuf jours, le film se propose de revisiter le zombie par l'angle de la maladie en suivant Harold, patient zéro d'une mystérieuse infection zombifiante. Aidé par une infirmière rondouillette en quête d'amour, Harold révèle son humanité avec la perte de cette dernière, par un mécanisme ambitieux d'ipséité dramatique (je n'ai pas trouvé plus pompeux), contraire au classique deuil du film de monstre. Si le point de départ n'est pas nouveau (on pense à I, Zombie d'Andrew Parkinson), la note d'intention de Wright est de montrer la déshumanisation de l'homme par analogie avec la maladie d'Alzheimer. Malheureusement le film se vautre autant dans son propos hésitant et lourdingue que dans sa mise-en-scène, sous forme de documentaire, qui ne s’embarrasse pourtant jamais des codes de cette dernière. Wright précisa pendant la séance questions / réponses suivant le film que le public ne remarque pas ces "entorses". Malheureusement je suis le genre de spectateur à espérer une meilleure mise-en-scène que celle d'un épisode de Confessions Intimes.
Après les zombies, place aux vampires dans le post apo Stake Land de Jim Mickle, sorti directement en vidéo chez nous quelques jours après le festival. Le récit suit le parcours du jeune Martin (Connor Paolo) et de son mentor et sauveur, le mystérieux chasseur nommé Mister (Nick Damici et son charisme animal). A mesure de l'avancée de l'intrigue, Martin va accéder à la maturité, en surmontant les épreuves d'un monde dont les repères succombent un à un (société, religion, amour). Si certains plans sont d'une pureté rappelant furieusement le cinéma de Terrence Malick (dont le film partage certains procédés), le manque de budget pénalise l'ensemble d'un esthétisme cheap qui contraste avec la volonté évocatrice des images (mis à part une scène d'hélicoptère sans hélicoptère très bien foutue). Très prometteur malgré tout.
Le FEFFS, ce n'est pas que pour les bourrins et Hideaways d'Agnès Merlet est là pour le rappeler. Une adolescente (Rachel Hurd-Wood) rencontre le mystérieux James Furlong (Harry Treadaway), qui a l'étrange capacité de tuer tout ce qui l'entoure. A la fois conte, comédie, drame, et romance, la réalisatrice de Dorothy mélange les genres pour un résultat honorablement exécuté. Loin d'être un simili-Twilight, un étonnant sentiment de spleen se dégage de la beauté mélancolique de la direction artistique.
Si les films sus-cités plongeaient sans ambiguïté dans l'imagerie fantastique, les suivants se veulent à la lisière de notre réalité, voir carrément dans ses tripes.
Kill List de Ben Wheatley, bête de festivals qui fait son buzz un peu partout, suit l'enquête de deux ex-soldats devenus tueurs à gages, dont le dernier contrat se situe dans le joyeux monde du snuff. Après une mise en place un poil trop longue sur le quotidien du héros Jay (Neil Maskell), le spectateur perd vite ses marques en même temps que les deux compères, qui s'enfoncent dans les méandres d'un complot dont ils semblent être les principaux rouages. Les incroyables accès de violence et les performances des acteurs sont les points forts de ce film qui s'enfonce piteusement dans une conclusion ratée.
Lucky McKee était présent pour livrer au public son petit dernier, The Woman, dont le buzz a commencé à Sundance avec la vidéo d'un spectateur que le film a laissé en pleine confusion. Influencé par le cinéma d'horreur européen, McKee adapte une nouvelle de son ami Jack Ketchum (figure du splatterpunk). En faux-frère américain de Martyrs, The Woman partage les défauts du film de Laugier mais compense heureusement par un côté ludique qui permet au spectateur de ne pas trop s'emmerder devant ce qui aurait pu être un pensum lourd et bas du front (n'espérez pas une réflexion sur l'animalité, la femme primitive du titre n'est là que pour dynamiter la famille américaine mise en scène).
On sort du fantastique pour entrer tête la première dans le réalisme le plus frontal avec Secuestrados (Kidnappés), tour de force de Miguel Angel Vivas, tourné en douze plans séquences (soit douze jours de tournage), qui suit l'expérience en temps réel d'une famille kidnappée par des cambrioleurs. Une expérience éprouvante aux images cauchemardesques de vraisemblance, et dont je n'arrive toujours pas à savoir s'ils participent d'un procédé racoleur ou repoussant les limites du pris sur le vif. Probablement des deux.
LES MONDES PARALLÈLES
Le FEFFS ce n'est pas que la compet’, c'est aussi les sélections parallèles.
La sélection Crossoverspermet de rattraper les films qui n'ont pas intégré la compétition (par choix ou non).
Bellflower, écrit, joué et réalisé par Evan Glodell, a fait sa réputation sur son microbudget et la bagnole post-apocalyptique du film, construite par l'équipe de tournage qui la trimbalait de festival en festival, démonstration de lance-flamme comprise. Si la chronique amoureuse sur une jeunesse coincée dans ses idéaux (Mad Max 2 sert de moteur aux protagonistes principaux) fonctionne sur une bonne partie du film, le troisième acte expérimentalo-pouet-pouet s'enlise dans l'ennui jusqu'à l'involontairement drôle.
Take Shelter de Jeff Nichols est un des événements annoncés du festival, l'expérience schizophrénique du paisible Curtis LaForche (le toujours monstrueux Michael Shannon) étant récompensée peu avant par un grand prix à Deauville.
La tempête qui occupe l'esprit du personnage principal contraste avec le calme de la mise en scène, afin de plonger le spectateur dans le même doute que LaForche. Un rythme qui mène à l'expectative d'une conclusion dantesque : mauvaise stratégie lorsqu'on dispose d'une fausse fin ouverte aux résonances faiblardes, à la limite du happening pour bobo de festival en mal de métaphore bouseuse (la criséconomik). Jouer avec les codes du genre est un exercice pour le moins périlleux, et Take Shelter n'y résiste qu'à moitié.
La petite bombe du festival se nomme Red State de Kevin Smith. Œuvre casse-gueule s'il en est, Smith fait table rase de son très intertextuel View Askewniverseet abandonne ses mentors Harvey Weinstein et Scott Mosier pour produire le film avec John Gordon (l'assistant de Weinstein) sous le nom emblématique de Harvey Boys.
Si Red State (en référence aux États républicains, par opposition avec les Blue States démocrates) démarre comme le survival horrifique annoncé, la mécanique semble vite s'essouffler dans la première demi-heure. Mais le doute laisse vite place à la surprise lorsque Smith emprunte des voies surprenantes, explicitées dans le générique de fin et ses intertitres "Sex", "Religion" et "Politics". Une farce mordante sur l'aliénation qui se dénoue par une absurdité proprement géniale (et accessoirement orchestrée involontairement par des idéalistes).
L'autre grande section est la bien nommé Midnight Extrême, promesses de zéderies jouissives pour festivaliers hardcore en mal de sommeil.
Et rien de mieux pour représenter cette section que Hobo With A Shotgun de Jason Eisener, prolongation de son court-métrage lauréat du concours "bande-annonce Grindhouse"  lancé par Robert Rodriguez.
Renonçant au rêve de sa vie (acheter une tondeuse à gazon), ce clodo puant de Rutger Hauer (en perdition) fraichement arrivé en ville s'empare d'un shotgun et se lance dans une vendetta contre les psychopathes qui dirigent Fucked Up City, véritable paradis terrestre des assassins, pédophiles, violeurs, ripoux, putes vérolées et de grosso merdo toute la racaille que ce bas monde puisse engendrer. Entre direction artistique au bon goût hérité du pire des années 80, effets gorissimes digne du label Sushi Typhoon et qualité de finition plus qu'acceptable, le déviant y trouvera largement de quoi se payer sa schneck (herpétique, il va s'en dire).
Cette séance Grindhouse est l'occasion rêvé de se plonger dans l'univers de Roger Corman (ndlr : et aussi de faire une transition paresseuse), président de la deuxième saison du FEFFS et légende du cinéma d'exploitation, avec le documentaire Le Monde De Corman : exploits d'un rebelle hollywoodien d'Alex Stapleton. Si on n'apprend pas grand chose sur Corman, les témoignages (Jack Nicholson en tête) font tout le sel de ce documentaire à la nostalgie marquée pour un cinéma de marge à la liberté perdue (peut-être jusqu'à la mauvaise foi, Lucas et Spielberg étant désignés comme les fossoyeurs de ce temps béni).
La section Spéciales fantastiques est un fourre-tout où se côtoient le remake de studio en 3D (Fright Night), le navet affligeant qui ne sortira probablement jamais du marché vidéo américain (Deadheads des couillons Pierce Bros.) et le petit film à sketchs.
Theatre Bizarre et son casting de réalisateurs éclectiques : Douglas Buck, Buddy Giovinazzo, David Gregory, Karim Hussain, Jeremy Kasten, Tom Savini, Richard Stanley. Produit par la boîte Metaluna de Jean-Pierre Putters, Theatre Bizarre affiche la volonté de retrouver l'esprit du grand guignol, dans un théâtre dont le maître de cérémonie est un clone flippant de Pascal Sevran. Si la plupart du temps le résultat n'a rien du grand guignol attendu (le segment de Douglas Buck ne contenant aucun élément horrifique), on peut s'amuser à analyser les styles de chacun (Karim Hussein n'est pas le directeur photo de Hobo With A Shotgun pour rien).
Enfin, le festival propose trois rétrospectives : la rétrospective George Romero (tous les opus Of The Dead), Tod Browning et la série allemande des Edgar Wallace.
Je préfère me lancer uniquement (par manque de temps) dans la rétro Tod Browning avec la fascination des monstres aujourd'hui quasiment disparus qui hantent Freaks, la naissance du mythe Dracula dans les traits de Bela Lugosi et The Unknown, long-métrage d'une heure avec Lon Chaney Sr, projeté dans le silence le plus complet. Une expérience étrange mais révélatrice de la puissance narrative des images de Browning et du muet.
LA CROISÉE DES CHEMINS
Le film de clôture est le sympathique Tucker And Dale Fightent Le Mal (titre français con s'il en est) d'Eli Craig, qui s'amuse à détourner avec un certain brio les codes du slasher.
Tucker et Dale sont deux rednecks maladroits dont le rêve est de retaper une bicoque pourrie dans une forêt afin d'en faire l'abri idéal de leurs futures parties de pêche. Malheureusement pour eux, leurs tronches de cake campagnard vont les faire passer pour deux psychopathes dégénérés auprès d'un groupe de jeunes étudiants à la connerie toute pubertaire. Les quiproquos s'enchaînent à un rythme effréné, entre hommages aux canons du genre et démystification habile. Probablement trop effréné, Eli Craig ne sachant pas comment conclure son film qui se termine sur un troisième acte poussif et à court d'idée.
Cette édition 2011 du FEFFSS s'annonce comme importante dans l'histoire du jeune festival. Avec la séparation des projections presse et des projections publiques, la proximité des invités (il était tout à fait possible pendant ce FEFFS de discuter avec Lucky McKee dans la queue pour Bellflower) et les animations comme le village et ses stands buvettes (où on pouvait croiser George Romero au détour d'une bière), le FEFFS est aujourd'hui le festival idéal, dont la professionnalisation des relations presse (via l'agence Dark Star) ne s'est pas faite au détriment du respect du public (respect qui fait défaut à bien des festivals). En sera-t-il toujours ainsi ?
Victime de son succès, les limites d'accueil des salles ont commencé à se faire doucement ressentir cette année (Cf. Tucker And Dale et son astucieuse solution de projection de rattrapage).
La notoriété inévitable que gagne le festival ne doit pas en faire un énième événement pour professionnels à visée promotionnelle. Heureusement, ceci n'est qu'une hypothétique évolution qui ne se concrétisera pas tant que Daniel Cohen et son équipe de passionnés garderont le contrôle sur le FEFFS. Et c'est tout le mal qu'on leur souhaite !
Le palmarès.
Remerciements : Daniel Cohen et les bénévoles, Consuelo Holtzer, Bénédicte Vagne et William Huck.