Bellflower
- Détails
- Critique par Nicolas Bonci le 20 mars 2012
Carmaggedon
En attendant l'Apocalypse, Woodrow et Aiden, deux glandeurs Y, fabriquent armes et lance-flammes pour équiper la Medusa, une Buick Skylark modifiée qui fera d'eux des roxxors de la route quand la panique régnera sur le monde. Ce qui a l'avantage de paraître tout de suite plus fun qu'un abri de chantier enterré. Mais voilà , Woodrow découvre l'amour au détour d'un pub, avançant l'heure de sa propre apocalypse.
Plus que souffrir des défauts de tout premier film ("J'ai 30 balais, voici mes références"), et plus encore des défauts de tout premier film indépendant ("J'ai 30 balais, voici ma vie"), Bellflower souffre d'une étonnante schizophrénie qui alimente un univers crépusculaire et désenchanté pour y pleurer la tragédie d'une gentille histoire d'amour morte après deux grandes semaines d'existence. Les belles idées de l'un seront ainsi sans cesse dégoupillées par l'autre.
Evan Glodell macère le sujet depuis l'âge de vingt-trois ans et une douloureuse rupture amoureuse. Ce qui aurait pu motiver l'élaboration d'une bande punk et furibarde sur l'instant n'engendra que colère rentrée et prostration. Difficile alors pour un jeune réalisateur inexpérimenté de retrouver bien plus tard ses émotions de l'époque et les traduire à l'écran dans une dynamique dramatique. Inutilement sur-conceptualisé (ce monde pré-apo ne conditionnera jamais les réactions de personnages qui ont une peur panique des conséquences) et bridé par le ressassement des affects de Glodell, Bellflower oblige son auteur à abandonner la poésie du premier tiers, assez réussi (où véhicule de mort et véhicule d'amour se croisent aux carrefours du récit) pour patauger dans ce qu'il croit être de la colère.
De fait Bellflower est le prototype même de métrage devisant sur ce qu'il promet de faire vivre, annonçant puis se retirant, fantasmant puis se rangeant. La dernière bobine ne fait que signer cet incroyable renoncement.
Davantage creepy tender road que Crazy Thunder Road, Bellflower tente, et arrive parfois, à se réapproprier le genre, à le ramener à une échelle "indé & système D" de la même manière que Shane Carruth l'avait fait pour la SF avec son cousin esthétique Primer. Seulement, ce schizophrénique Bellflower finit par perdre toute sympathie lorsque les protagonistes sont sacrifiés sur l'autel des effets poseurs, leurs conflits ridiculisés par des choix si à côté de la plaque qu'on peine à savoir s'ils sont naïfs ou cyniques ([spoiler alert] : la balle dans la tête, ou comment dire à son public que les personnages auxquels il s'attache depuis une heure sont simplement cons [/spoiler alert]).
Maladroit dans sa tentative de retranscrire un maelstrom émotionnel passé, Glodell est plus à son aise pour faire évoluer ses personnages dans un quotidien qui lui est totalement familier, résumable à "Slackers chez Mad Max". D'autant plus familier qu'à l'image de ses héros bricolant une machine de guerre, le réalisateur fabrique ses caméras à partir de pièces détachées d'autres appareils. On poussera l'analogie jusqu'à l'utilisation finale de leurs outils respectifs, la Medusa servant à éclater quelques boites à lettres, les inventions optiques de Glodell à faire de jolis flous et disposer méticuleusement de la saleté sur l'image. De la saleté propre, donc. Pour filmer le premier road movie à rester sur place.
Un sentiment de surplace qui semble si prégnant à la génération dépeinte par Bellflower que les deux héros, Woodrow et Aiden, ne le remettent jamais en question. Le premier, meurtri par son chagrin d'amour, incarne d'ailleurs la passivité (un malin jeu d'ellipses le laisse un temps scotché à son lit). Une passivité qui finit par atteindre le second, longtemps le seul actif, le seul à se démener pour finir la voiture. Subjugués par l'illusion (littéralement) d'un drame insurpassable, Woodrow et Aiden ne chercheront à aucun moment à s'affranchir de leur immobilisme et de leur isolation, contrairement aux géniaux manchots de Happy Feet 2. Ho tiens, George Miller…
BELLFLOWER
Réalisateur : Evan Glodell
Scénario : Evan Glodell
Production : Evan Glodell, Vincent Grashaw
Photo : Joel Hodge
Montage : Evan Glodell, Joel Hodge, Jonathan Keevil & Vincent Grashaw
Bande originale : Jonathan Keevil
Origine : USA
Durée : 1h46
Sortie française : 21 mars 2012