Young Adult
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- Critique par Clément Arbrun le 10 avril 2012
Talkin' about my generation
Puisqu'à L'ouvreuse il est souvent question d'idées de cinéma comme de coups de gueule, il est très ludique de parler du dernier bébé du duo Jason Reitman / Diablo Cody, permettant tout simplement de faire d'une pierre deux coups.
Il s'agit d'envisager la possibilité d'un cinéma où le cynisme amène le cynisme par un phénomène de circularité infinie, une sorte d'expérience ultime pour l'amateur de "faux films indés US" qui vaut son lot de facepalms par minute. De même que le gourmet qui, s'attendant à un nanar, découvre un monument de déviances, le spectateur en quête de jolis films sentimentaux se prend ici en pleine face une logorrhée filmique d'insultes absolument démentes, avec, cerise sur le gâteau, cette impression curieuse d'être le seul à tenir les bonnes lunettes, face à une majorité d'extra-terrestres sortis du They Live de John Carpenter. Toutes ces critiques faisant passer des vessies pour des lanternes, et du cynisme radicalisé en "ironie mordante"(1). Derrière le rire, la peur : de par son hallucinant mépris, ce film est représentatif de notre époque. (2)
Qu'il est dur de s'enfiler bouteilles de Coca Light sur shots de vodka, vêtements soyeux sur séances manucure, quand tout cela, finalement, sert à voiler une existence atroce, où même les déambulations dans un chatoyant appart de Minneapolis ou l'affection d'un petit chihuahua compatissant ne peuvent rassurer la pauvre petite bourgeoise américaine, qui, malgré son salaire exorbitant de Stéphanie Meyer-like, souffre bien plus que les enfants africains miséreux. Car, au moins, la faim dans le monde, n'importe qui s'en préoccupe, alors que les tourments d'une glandeuse alcoolique vomissant sur le monde entier, personne ne prend le temps de s'en soucier. Triste monde.
Le pitch, toute mauvaise foi évacuée, demeure intéressant : la chronique casse-gueule d'une pétasse (hybride entre une bimbo de teenage movie et une starlette voyant en la sex-tape un moyen de promotion médiatique) qui veut renouer avec un amour d'antan, se décidant du jour au lendemain (de cuite) à frapper de ses talons aiguilles le bitume de Ploucville. Choc des "civilisations", entre bourgade et chic artificiel new-yorkais, consciences simples et piques méchantes d'une quadra frustrée, mode de vie façon americanway of life (gosses, couple fidèle, 4x4 familial) et existence anarchique de la je-m'en-foutiste urbaine, personnages "innocents" et vanité d'une des figures les plus antipathiques vue récemment sur grand écran... L'atout d'une Charlize Theron beurrée, l'espoir d'un traitement à double-tranchant et donc réfléchi, humain, ou tout du moins l'attente d'un chamboulement des préjugés du spectateur, autant dire qu'il y a dans un tel synopsis quelque chose d’intrinsèquement cinématographique.
Or, l’antipathie, sublimée au rang de philosophie existentielle, n'est jamais réjouissante comme elle l'est chez David Fincher, de même que l'humour déployé n'est qu'une copie informe des farces des frères Farelly, où les nombreuses charges virulentes à l'égard des handicapés, geeks ou obèses (3) ne cachent pas un humanisme sous-jacent mais un véritable mépris, qui ferait passer Godard pour Spielberg question bons sentiments. Il faut dire que ce divertissement, fascinant de condescendance jusqu'au boutiste, part d'un concept ahurissant : soit la vocation auteuriste d'une scénariste qui se couche sur le papier et esquisse explicitement un auto-portrait gargantuesque, si bien qu'aucune critique extérieure ne pourrait être plus négativiste que le discours de ladite artiste !
Une Diablo Cody crachant sur la ruralité, les ploucs, les geeks pour lesquels Edgar Wright s'est fiévreusement battu durant des années, accouchant là de scènes "fanboys" dignes de Cyprien (la blague de Mos Eisley) qui n'a d'autre qualité que de rehausser l'estime portée à l'illustre Kevin Williamson, qui, comparé à Cody, passe pour le Paul Schrader du slasher.
Si Reitman lui-même s'efface totalement de par l’inexistence nette d'une mise en scène personnalisée ou significative, c'est pour mieux laisser Cody surligner à l'envie sa verve destructrice comme dérisoire (la première heure, d'une monotonie dingue), allant jusqu'à provoquer l'intelligence du spectateur tout en lui jetant quelques cacahuètes en guise de respect (un humour qui laisse encore Jean-Marie Poirée circonspect). Tout en s'inscrivant dans la veine d'un cinéma cynique à l’extrême, le film, malgré lui, est immortalisé dans ses arguments hallucinants par un épilogue s'opposant minutieusement à celui de The Social Network. Effectivement, si Fincher, tout en jouant sur l'humour de l'arrogance, conclut son œuvre par un constat déstabilisant d'empathie émouvante, Cody décide d'anéantir le peu d'attachement ressenti par le spectateur à l'égard de l'impolie Charlize Theron en niant la puissance d'un twist surprenant par le biais d'un discours final... faisant de la bitch typique une icône fantasmagorique du monde moderne ! Si la révélation scénaristique frappante liée à cette figure détestable expliquerait plutôt audacieusement tout ce qu'a du subir le public auparavant en terme de crachats divers, la séquence finale, autant sincère intimement qu'horrible, transforme une déjà pas jojo équation de poncifs en ode à Paris Hilton.
C'est dire le parfum régressif qui ressort d'un tel reluisage de minou, où la tâche de scénariste, dénuée de tout altruisme, n'est qu'une masturbation constante aboutissant à un hénaurme orgasme d'auto-suffisance humide. Préparez vos mouchoirs.
L'acte d'autofocus qu'est Young Adult (4) est bel et bien une idée de cinéma, un cinéma où le pathétisme n'est pas celui d'un Ricky Gervais mais d'une Nicole Ritchie, "commençant une nouvelle vie" en faisant du dédain une parole soi-disant salvatrice, une transcendance vers le vide : qu'importe tous ces tarés de paysans qui me mettent face à ma médiocrité, puisque j'ai un Mac et du Gucci sous la main, même si ma vie ressemble à un roman de Bret Easton Ellis.
La morale de cette peinture nombriliste fait presque regretter les histoires de Nora Ephron et va jusqu'à réévaluer dans le mauvais sens le pourtant sympathique Juno, qui, à travers ses quelques écarts fâcheux (l'argument anti-avortement, remember!) semblait déjà annoncer ce Young Adult, qui est à la vague de films indés ce que Cursed est au film d'horreur de la génération 90's : l'aboutissement morbide d'un genre en soit. Si Reitman veut poursuivre son cinéma, il va devoir effectuer un virage à 180 degrés, tant le radicalisme de cette ultime perle ne peut être dépassé.
Tout du moins, puisque MTV est toujours autant ronge-cerveaux et qu'un film de garce ne peut être, à l'avis général, que grisant, mordant, et politiquement incorrect (sic), où l'irrespect d'une Kim Kardishian troprock'n rolln'a d'égal que la vision du monde d'une scénariste super-top caustique, il est logique que cette dernière soit aussi bien accueillie par un système dont elle pense se contreficher, récompensée d'académie en académie, et bientôt scénariste-mère du futur plus grand film de genre au monde après Jennifer's Body : Evil Dead 4, Conséquence. Quel joli titre : effectivement, engager une telle fan du genre, très premier degré et toujours fine dans ses intentions, cela n'est pas sans con... non, je ne vais pas la faire.
La vie est cruelle, mais la vie est simple quand on a les moyens de "commencer une nouvelle vie" en ne changeant pas d'un pouce (un pouce manucuré, évidemment). La vie est simple, this is...The Simple Life.
(1) Croyez-le : Young Adult, en vérité, est d'une subtilité dingue, c'est le Starship Troopers nouveau !
(2) Très belle époque où, qu'importe la maestria d'un grand artisan, un film sur Cloclo "bah ça reste quand même un film foutrement ring' rien que le titre mdr tiens je vais aller voir Hunger Games qui a l'air bien moins kitschouillelol".
(3) Dans Young Adult, tout cela, c'est pareil ! Un "trois-en-un" (le geek n'a pas de bite, bouffe et fantasme forcément sur la blondasse qui le déteste) qui ferait passer le "cauchemar Kevin Smith" de Die Hard 4 pour la série Spaced.
(4) Rappel : Diablo Cody a bien vécu à Minneapolis, même qu'elle était, à l'époque, strip-teaseuse, avant de coucher son clitoris sur papier dans un livre-confession. Petite anecdote symbolique : cette grande scénariste joue son propre rôle dans un épisode de Beverly Hills Next Generation. Sans contestation, la Madame Bovary du 21ème siècle.
YOUNG ADULT
Réalisateur : Jason Yvan Reitman
Scénario : Diablo "Britney" Cody
Montage : Dana E.Glauberman
Photographie : Eric Steelberg
Bande Originale : Rolfe Kent
Origine : USA
Durée : 1h34 minutes
Sortie française : 28 mars 2012