Inside n°9
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- Série TV par Guénaël Eveno le 8 juillet 2015
5 bonnes raisons d'entrer
Un lieu clos portant le numéro 9, une poignée de victimes du destin et le talent de Reece Shearsmith et Steve Pemberton : vous voilà prêts à entrer dans une autre dimension, celle de la meilleure anthologie TV actuelle, made in BBC Two.
Shearsmith et Pemberton se sont faits connaître en Angleterre à la fin des années 90 avec The League Of Gentlemen, série à l’humour très noir sur les aléas d’une communauté rurale britannique. Après trois saisons et un épisode spécial, le tandem laisse partir Mark Gatiss (depuis devenu le showrunner de Sherlock) et Jeremy Dyson vers d’autres horizons pour faire cavalier seul sur Psychoville.
C’est à l’occasion de cette nouvelle collaboration que les compères tournent un bottle episode, épisode se déroulant sur peu de décors et avec un cast limité afin d'économiser de l'argent pour la suite de la saison. Appréciant l'exercice, ils décident de porter l'expérience à son point de rupture dans une anthologie d'épisodes de trente minutes. Le numéro 9 apposé sur le lieu du forfait sera le seul fil rouge d'histoires indépendante aux tons contrastés, voguant de la comédie noire à l'horreur. Cette limitation permet des variations de fond sur les univers, les genres abordés mais aussi de travailler sur d'autres facteurs que l’espace scénique. Scénarisant à la manière de pièces de théâtre, les auteurs se mettent au défi de maintenir l'intérêt dans les limites qu'ils se sont imposés, et utilisent pour cela tous les outils à disposition : plan-séquences mettant en valeur le jeu des acteurs, accessoires, montage, découpage varié, épisodes concept...
Fidèles à leur habitude depuis The League Of Gentlemen, Shearsmith et Pemberton co-scénarisent et jouent dans tous les épisodes (à une exception près pour chacun) mais se limitent ici volontairement à un rôle afin de livrer des personnages plus vraisemblables, volontairement moins typés. Via cette normalité, leur humour noir procure un plus grand malaise soutenu par les twists et multi-twists. Imprévisibles, ces épisodes n'ont rien à envier à d'illustres aînés tels que La Quatrième Dimension ou Bizzare, Bizarre (Tales Of The Unexpected en VO). C’est plus que jamais le cas pour ces cinq épisodes incontournables de cette nouvelle série qui sont autant de points d’entrée à l’intérieur des numéros 9.
CADAVRES DANS LE PLACARD
Une chambre dans une maison de campagne (au numéro 9 de la rue, of course). A l’occasion de fiançailles, une famille huppée organise une partie de sardines, un jeu de cache-cache dans lequel une seule personne se cache et les autres doivent la trouver puis la rejoindre dans sa cachette. La future mariée est la première à trouver Ian, un collègue du marié dissimulé dans la garde-robe. La famille se reconstitue au fur et à mesure que de nouveaux personnages entrent dans la pièce et trouvent à leur tour leur place dans l’armoire.
Sardines (1x01) est le segment le plus ouvertement british de la série, et un des plus minimalistes annonçant la note d’intention en confinant l’esprit d'Agatha Christie dans une garde-robe.
Teintée de comédie dans sa première partie, ce segment s’enveloppe d’une aura claustrophobe à mesure que les personnages s'agglomèrent et les masques tombent. Le jeu met à jour les infidélités, et les réactions du frère de la future mariée laissent à penser que quelque chose d’innommable s’est passé en ces lieux plusieurs années auparavant. Le spectateur est invité à découvrir un à un des personnages fantasques interprétés par des acteurs s’en donnant à cœur joie, tandis que gêne et claustrophobie font leur apparition (le réalisateur parvient à donner l’illusion d’être enfermé avec douze personnages par la combinaison d’une fausse armoire pour les plans rapprochés et d’une vraie pour les plans d’entrée des nouveaux arrivants). Le spectateur sera bien en peine de deviner le retournement final tant le duo Shearsmith/Pemberton se sont ingéniés à brouiller les pistes. Nous ne nous aviserons pas de spoiler outre mesure un retournement empreint d’ironie et d’une certaine cruauté.
PETITS ARRANGEMENTS AVEC LE MORT
Last Gasp (1x04) se déroule dans une maison de banlieue au numéro 9. Les parents de la petite Tamsin sont passés par l’association Wishmaker pour faire une surprise à leur fille malade : la visite du célèbre crooner Frankie J. Parsons, qu'elle et sa mère admirent. Lorsque la star s’écroule raide morte après avoir gonflé un ballon, les parents, le garde du corps et l’animatrice de l’association se retrouvent dans une situation délicate. Le père de Tamsin comprend que le ballon gonflé contient le dernier souffle de la star et qu’il peut rapporter beaucoup d’argent sur Internet. Devant les yeux de la gamine, les adultes se persuadent qu’ils sont dans leur droit d’exploiter la mort de Parsons et s’engagent dans des plans machiavéliques pour leur avenir.Â
Last Gasp tire vers la satire sociale, mettant en avant un concours de circonstances qui guide des gens normaux, au premier abord animés des meilleures intentions, vers le cynisme ordinaire. Le pavillon familial devient l’antre de la noirceur et contamine peu à peu chaque personnage, y compris le plus empathique. Les auteurs ne se privent pas de les confronter aux intérêts divergents qui font cause commune pour préserver le dernier souffle du chanteur. Le défi sera dès lors de sortir le ballon de la maison, ou de lui réserver un destin plus poétique. La gamine malade le fera au-delà de toute espérance dans un instant de merveilleux salvateur qui emporte derrière lui une demi-heure de cynisme d’une grande lucidité. Conte moral sur l’exploitation des restes des artistes, Last Gasp est une confrontation jouissive et absurde qui doit beaucoup à son casting comprenant Steve Pemberton (sans son compère) et l’excellente Tamsin Greig (Black Book, Episodes).
LA MORT EN LIGNE
Cold Confort (2x04) rétrécit encore le champ des événements puisque le 9 est le numéro de poste d'une ligne d'assistance pour personnes en détresse. Nous sommes le 13 janvier 2015, une caméra extérieure filme l’entrée d’Andy, un nouveau bénévole de la CSL. Il est accueilli par le chef de plateau George qui lui présente les consignes de prise d’appel. Deux jours plus tard, il reçoit l’appel d’une jeune femme dépressive, Chloe, qui vient de prendre des cachets. Bouleversé par le décès de Chloe au bout du fil, Andy envoie balader son appel suivant, une vieille femme qui a perdu son chat. Il apprendra plus tard que la vieille s’est suicidée suite à son comportement et que la mystérieuse Chloe n'est pas morte, continuant d'appeler la ligne pour se faire remarquer. La culpabilité pousse Andy à enquêter sur celle-ci.
Cold Confort se déroule entièrement en split screen fixe présentant le point de vue des caméras des locaux avec un écran principal sur la ligne numéro 9 qu’empruntera le héros. Ce parti pris efficace laissant des espaces hors-champ force le spectateur à rester en alerte, s’attendant ainsi à voir débarquer un danger que les personnages ne perçoivent pas. Les ellipses, habilement intégrées par la date en bas de l’écran, répondent aux scènes en temps réel dont la vérité du cadre et la vraisemblance des événements déploient progressivement une paranoïa ambiante. Les discussions entre collègues amènent un peu de légèreté pour mieux brouiller les cartes, et on en vient à soupçonner chacun des membres du plateau. Les auteurs optent, comme souvent dans la saison 2, pour un double twist, le premier détournant l'attention du second, bien plus implacable.
TEMPUS FUGIT
Dix années d'une vie en l’espace de trente minutes et de douze scènes, c'est le défi du second épisode de la saison 2, The Twelve Days Of Christine : suite à une soirée costumée arrosée, Christine ramène Adam chez elle, à l'appartement numéro 9. Emménagement d'Adam, mariage, arrivée d'un bébé et autres aléas de la vie se succéderont dans l'appartement, jusqu'à un Halloween très spécial où Christine se rend compte que les choses ne vont pas comme il faudrait...Â
Il faut peu de temps à Shearsmith et Pemberton pour poser la situation et les évolutions de Christine par rapport aux scènes précédentes. Cet enchaînement de moments illustre ainsi le défilement incontrôlable du temps qui établit la scène précédente en souvenir, rappelant les procédés utilisées par Steven Moffatt dansDoctor Who (Blink étant le plus notable).
De mystérieuses manifestations de son premier petit ami, mort à 16 ans, viennent parasiter les instants clés de sa vie : voix inquiétante dans l'audiophone du bébé, carte mystérieuse, œufs lancés dans l'appartement... Autant d'éléments qui distillent une ambiance horrifique et un malaise éclairé rétrospectivement lors du twist final. The Last Days Of Christine est la seule véritable incursion de la série dans le drame, et elle le fait avec doigté lors d'instants très émouvants portés par l'actrice/chanteuse Sheridan Smith dans le rôle titre : un dialogue avec un père décédé, la relation de Christine avec son frère ou ce "Goodbye everyone. I love you" final véritablement bouleversant.
VOL DE NUIT
Une nuit comme les autres. Deux cambrioleurs entreprennent de voler un tableau dans la luxueuse demeure du numéro 9 alors que le maître de maison, sa femme, la domestique et le chien occupent toujours les lieux.Â
Episode le plus brillant de la série, A Quiet Night In (1x02) présente la particularité de ne contenir qu'une seule ligne de dialogue, l'action étant soutenue par la musique à la manière des films muets. Shearsmith et Pemberton s'appuient sur une construction en trois actes : les deux voleurs "bras cassés" qu'ils incarnent rapprochent le premier acte d'un numéro de duettiste dans lequel l'un devra réparer les erreurs de l'autre pour ne pas se faire choper. Le deuxième acte voit une pénétration dans le nid intime. Les cambrioleurs se retrouvent spectateurs d'un drame conjugal lié à un différent culturel, générationnel, aux non-dits et peut-être à la grande particularité des habitants des lieux. L'acte 3 voit l'arrivée d'un représentant en produits de nettoyage sourd-muet qui vient compléter l'équation de manière surprenante.
A Quiet Night In ne souffre d'aucun problème de compréhension, l'action étant assez visuelle et fluide pour ne pas perdre le téléspectateur, et laisse libre court au talent comique des auteurs (le chien jeté contre la vitre !), autant qu'à leur inventivité de scénariste. On relèvera le jeu savoureux sur les différents niveaux de plan qui mettent en valeur les actions des cambrioleurs et les occupants des lieux qui poursuivent leur vie sans se douter de la présence des intrus ainsi qu'une gestion impeccable de l'espace de la grande bâtisse. Parfaitement justifiés par l'incommunicabilité du foyer et des cambrioleurs, l'utilisation du muet voit un prolongement comique dans l'apparition de SMS des cambrioleurs sur l'écran qui renvoient aux vieux cartons. Alors qu'elle n'aurait pu que servir d'ambiance, la musique classique mélancolique contribue au contraste avec les situations absurdes et violentes, et le chant d'un lyrique Without you emporte un drame conjugal aussi inattendu que malin qui soustrait l'attention au twist final.
Oona Chaplin (Talisa dans Game Of Thrones), la petite fille de Charlie en maîtresse de maison adresse un dernier clin d'oeil au cinéma muet tandis que son mari est brillamment incarné par Denis Lawson, qui fut le général Wedge Antilles dans la première trilogie Star Wars.
Inside n°9 est toujours inédite en France, mais les DVD des deux premières saisons sont disponibles en zone 2 grands-bretons, avec sous-titres anglais.
inside number 9 - SERIES 1 & 2
Réalisation : David Kerr, Dan Zeff, Guillem Morales, Martin Stirlin, Reece Shearsmth, Steve Pemberton
Scénario / Showrunners : Reece Shearsmith, Steve Pemberton
Production : Adam Tandy, Jon Plowman
Photo : Stephan Persson
Montage : Joe Randall-Cutler, Alan Levy, William WebbÂ
Bande originale : Christian HensonÂ
Origine : Britannique
Durée : 12 x 30 minutes (2 saisons)
Sortie française : Indéterminée