Sherlock
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- Série TV par Guénaël Eveno le 25 octobre 2010
Les deux font la paire
Quelques mois après le trop cool Sherlock Holmes de Guy Ritchie, difficile de s'enthousiasmer à l'annonce d'une remise au goût du jour sous forme de série des aventures du détective de Baker Street.
Y a-t-il de bonnes raisons de ne pas bouder cette nouvelle tentative de rajeunissement, énième transposition à notre époque d’un mythe qui se suffit entièrement à lui-même ? Et puis l’adaptation parfaite en série TV des écrits de Conan Doyle n’a-t-elle pas déjà été faite dans les années 80 avec Jérémy Brett ? Certes, mais le territoire d’un young Sherlock vivant parmi nous n’avait pas encore défrîché à ce jour. Et à ce jeu, Sherlock 2010 réussit partout où il met les pieds.
C’est en voyant les deux hommes derrière le projet qu’on se rend compte que cette réussite ne tient pas du hasard. Mon premier est Steven Moffat, nouvelle tête pensante de Doctor Who, scénariste du Tintin de Spielberg en production et créateur de l’excellent Jekyll, transposition réussie du mythe de Jekyll & Hyde à notre époque. C’est peu de dire que le monsieur a déjà fait ses armes sur une figure mythique moderne.
Mon second est Mark Gatiss, auteur de quelques épisodes et acteur de Doctor Who (le docteur Lazarus de la saison 3). C’est d’ailleurs dans le train entre Londres et Cardiff pour rejoindre le tournage du show de SF préféré des anglais que l’idée vint germer dans la tête de ces deux admirateurs de Conan Doyle. Bien qu’ils soient particulièrement fan de l’ambiance victorienne des histoires du détective, Gatiss, avoue que le but premier de l’aventure est de "revenir aux personnages et à ce qui avait fait d’eux les meilleurs partenaires dans l’histoire de la littérature". Â
HOLMES 2.0
De par la place jouée dans les récits par l’Angleterre victorienne, sa ville et ses campagnes, Holmes demeure indissociable de son époque et bien que précurseur en son temps, il emploie des méthodes qui peuvent paraître datées eut égard aux progrès de la police scientifique. Moffat et Gatiss ont compris l’esprit du personnage et l’adaptent en conséquence. Le jeune Sherlock maîtrise toutes les technologies actuelles (réseaux téléphoniques, Internet…) et toutes les connaissances qui peuvent lui permettre de résoudre les crimes. Il se trouve ainsi, comme son modèle, au-dessus du tout venant des techniciens de notre époque. Il a repris les penchants toxicos de son modèle (les patchs, note humoristique typiquement Moffatienne), conserve ses qualités d'observation et apporte des déductions aussi impressionnantes à notre époque qu'elles ne l'étaient il y a plus de cent ans. A ce niveau et pour pallier aux quelques verbeuses scènes d’explications qui nécessitent énormément d’informations à ingérer en peu de temps, Moffat et Gatiss jouent la carte de l’interactivité : ils matérialisent les capacités d’observation de Holmes par des signaux visuels et textuels dispatchés sur l’écran tels les indices d’un jeu d’aventure. Ainsi conservent-ils le coté théâtral de l’annonce en laissant au spectateur le loisir de savoir où regarder pour résoudre l’énigme. Ce jeu de piste moderne et ingénieux joué avec le spectateur n’est pas sans rappeler celui qui titillait les personnages par DVD interposé dans le désormais célèbre Blink (Doctor Who 3.10).
Sherlock aime visiblement se mettre en scène, et même si nous n’avons pas encore eu le droit à de grosses transformations, son show perpétuel ponctue la saison 1. Il se trouve en marge de toutes les professions, se décrivant comme un détective consultant. Ses investigations, son indifférence pour les relations humaines et son enthousiasme pour les meurtres en font un suspect idéal, une sorte d’extra-terrestre qui, dans l’esprit d’un policier de notre époque, pourrait bien tuer pour avoir une raison de vivre lors des périodes d’accalmie du crime. Ce Sherlock ne vient pas de nulle part. Il est une sorte de double du Docteur des Doctor Who nouvelle génération, aussi enthousiaste et déraisonnable, toujours en quête d’un nouveau jeu. Admirablement interprétée par Benedict Cumberbatch, la création de Moffat et Gatiss trône aux cotés de Gregory House parmi les meilleures adaptations modernes du personnage de Sherlock Holmes.
WATSON GOT GAME
Qu’en est-il du compagnon indissociable de notre détective de Baker Street ? Egalement blessé en Afghanistan (les turpitudes de l'Histoire), John Watson invoque régulièrement ce qui paraît être un trauma lié à la guerre. Son passé est utilisé dans le premier épisode pour expliciter le frisson qu'il trouve à accompagner Holmes lors de son enquête. Il y a d’abord cette attraction pour le danger mais surtout l’inadaptation au monde d’un ancien combattant. Holmes symbolise un ailleurs, une alternative à l’univers terne dans lequel Watson vivote tel un handicapé depuis son retour de l’action. Il voit d’ailleurs disparaître son handicap physique lorsqu’il rejoint pleinement Holmes dans son monde. Watson s'implique de plus en plus à mesure que la première enquête avance, jusqu’à être intronisé membre du couple dans une tirade de Mycroft en fin du premier épisode. D’abord un biographe, qui a troqué ses envois de récits au Strand Magazine contre la rédaction d’un blog, mais surtout un partenaire lucide et avisé.
Ainsi se valide l’intention des créateurs qui prennent le risque d’amoindrir le charisme de leur détective en pondérant l’admiration sans borne de son compagnon. Watson se permettrait même de prouver à son compère qu’une meilleure connaissance en astronomie (matière que Sherlock Holmes considère comme inutile pour ses affaires) lui aurait été utile pour résoudre plus vite son affaire ! Dans les mains d’autres scénaristes, cet écueil aurait pu être fatal. Mais entre ceux de Gatiss et Moffat, cela devient un duo parfaitement complémentaire, la part de folie de Holmes contaminant la vie de Watson comme celle des compagnons de Doctor Who, Watson insémine une part de quotidien et de fraîcheur typiquement anglaise dans les aventures du tandem. Pour interpréter Watson, Gatiss et Moffat ont choisi Martin Freeman, qui était déjà le lien avec le spectateur dans la première version de The Office et dans H2G2. Le type normal. En somme un choix parfait.
LONDON CALLING
Gravitent autour des deux enquêteurs de l’impossible l’habituel Lestrade, ici flic plus compétent que son modèle et nettement plus sympathique, la très dévouée Mrs Hudson et un Mycroft Holmes pas lascif pour un sou qui ne fréquente plus le club Diogène mais les services secrets de sa Majesté. Et il y a Moriarty. L’inclusion de la Némésis de Holmes dans l’intrigue apporte le fil rouge de cette courte saison de trois épisodes et permet d'ammener un leitmotiv dans l’ère du temps : le fameux thème de l’escalade de la violence. A la manière du Joker dans The Dark Knight de Christopher Nolan, Moriarty orchestre un jeu du chat et de la souris avec Holmes qui pourrait coûter la vie à de nombreux londoniens, et qui se terminera de façon tragique.
Faisant de Sherlock et de Moriarty les deux faces d’une même pièce qui se partagent un terrain de jeu au grand dam de la population, les créateurs de la série challengent les nouvelles de Conan Doyle, ajoutant à l’hypertrophie qu'est Watson une vue distanciée du personnage, une part sombre que l’écrivain portait volontairement en retrait. Cette forme d’irrévérence / culpabilité qui sacrifie mine de rien le personnage sur l’autel de l’air du temps se révèle paradoxalement un des apports principaux de la série à l’œuvre initial. Un Sherlock à notre époque nécessitait au-delà de ces update et ajouts personnels des auteurs, des modifications plus substantielles qui donnaient le change à la suppression du charme victorien des récits et rendraient les histoires accessibles au néophyte. Tout commence évidemment par "A study in pink" (Une étude en rouge), version clin d’œil du roman d’ouverture qui vit la rencontre entre Holmes et Watson. Si les gros éléments sont repris dans cette première histoire, on peut déjà voir qu’il y aura beaucoup de libertés sur les récits au point qu’en dehors du canevas, ils en deviennent indépendants et par là -même imprévisibles. Le rythme est volontairement boosté, menant à une sorte d’hybride entre Conan Doyle et la série moderne.
Exit le gimmick du patient qui arrive aux appartements du 21 Baker Street. Les célèbres échanges entre John et Sherlock subsisteront heureusement, dispersés au coeur de l'action. Une autre modification majeure est que ce ce Sherlock est principalement urbain. On le voit dès le générique, et il n'y a eu pour l'instant aucun indice qui laisse paraître que son champ d'investigation va s'ouvrir. Du thriller moderne, des twists ingénieux qui jouent avec la connaissance de l'oeuvre, du récit contre la montre avec des terroristes ou un mélange habile des genres typique à la nouvelle vague de séries de la BBC, Sherlock brasse les horizons de la série populaire des années 2000 quand il ne mobilise pas les codes des séries policières d'aujourd'hui et d'hier pour les détourner. Pas une occasion n'est manquée pour mettre en porte-à -faux ces inspecteurs échapés des séries judiciaires modernes, constamment dépassés et finalement contraints de collaborer avec le consultant.
A l'heure où le bureau du procureur de Phoenix fait appel à une médium, où un mentaliste vient aider le CBI de Californie et où l'hôpital de Princeton Plainsboro a recours aux talents d'un brillant diagnosticien, il ne semble pas hors de propos que leur père à tous opère sur le même terrain, affrontant les mêmes criminels et psychopathes. C'est aussi une manière bien anglaise de rendre à Holmes ce qui appartient à Holmes, de faire perdurer une légende qui enterrera, à n'en pas douter, tous les experts de la lucarne. Et les compères ont eu du flair : face au succès de l'initiative, une deuxième saison est actuellement en chantier.
SHERLOCK
Scénario : Steven Moffat, Stephen Thompson, Mark Gatiss
Réalisation : Paul McGuigan, Euros Lyn.
Producteurs : Steven Moffat, Mark Gatiss
Interprètes : Benedict Cumberbatch, Martin Freeman, Rupert Graves, Loo Brealey, Una Stubbs, Zoe Telford, Mark Gatiss, Andrew Scott...
Compositeur : David Arnold, Michael Price
Origine : Royaume Uni