Razorback

Un groin perdu en Australie

Affiche Razorback

Le King Kong de Cooper & Schoedsack avait très vite aiguisé l'intérêt des studios pour les animaux fantasmagoriques ou atteint de gigantisme démesuré. Intérêt qui engendra de nombreux rejetons en différentes époques, bien souvent par vagues nées de gros succès.


Si les années 50 connurent une vague d'insectes géants avec des œuvres hautes en couleur comme
Tarantula ou La Chose Surgie Des Ténèbres, la décennie suivante vit cet intérêt s’émousser. Certes, Alfred Hitchcock s'était essayé à la terreur animale avec ses Oiseaux en 1962 mais les volatiles agressifs s'attaquant à la petite ville côtière de Bodega Bay restaient de taille raisonnable. Les créatures anormalement grosses avaient été remisées au zoo…
Jusqu’en 1975. A l'orée d'une carrière exceptionnelle, un jeune réalisateur nommé Steven Spielberg parvient à distribuer son film de requin sur les écrans du monde entier.
Les Dents De La Mer provoqua la terreur des spectateurs qui désertèrent les plages pour s’engouffrer dans les cinémas, nettement plus sûrs. Ce succès historique ouvrit la voie à trois suites dès 1978. Entre-temps, des producteurs désireux d'engranger les billets verts se ruèrent sur le business désormais lucratifs des monstres animaliers particulièrement méchants. Ainsi vit-on débarquer en meute Grizzly, Le Monstre De La Forêt, Le Bison Blanc, Barracuda et les Piranhas de Joe Dante dont la taille dépassait bien celle de leurs congénères peuplant l'Amazone. La machine était relancée, et les bébêtes géantes ne resteraient pas l'apanage de l'Amérique… 

Razorback

En Australie, les producteurs Hal et James McElroy rachetèrent à la compagnie Foleshill investments les droits du roman Razorback de Peter Brennan publié en 1982. On devait déjà aux McElroy d'avoir lancé la carrière du génial Peter Weir en lui permettant de réaliser ses trois premiers films, Les Voitures Qui Ont Mangé Paris, Pique-nique A Hanging Rock et La Dernière Vague. Bien que Brennan eût déjà écrit un premier traitement adaptant sa nouvelle à la demande de Foleshill, Hal McElory confia le scénario de son adaptation à Everett DeRoche, auteur reconnu des scripts de Long Weekend dans lequel la nature se rebellait déjà contre un couple indélicat, de Patrick, grand prix discutable du festival d'Avoriaz en 1979, de Snapshot, rebaptisé The Day Before Halloween aux États-Unis pour surfer sur la vague initiée par John Carpenter, de l'ésotérique Harlequin avec Robert Powell et du Déviation Mortelle de Richard Franklin. (1)
Grands amateurs de fantastique, Hal McElroy et Everett De Roche voulaient apporter au genre quelque chose d'inédit. Le scénariste coupa dans le roman de Brennan, considéré comme trop long (378 pages) et le métamorphosa en une œuvre horrifique intense. Il fallait désormais trouver un réalisateur, mais personne ne semblait intéressé par cette histoire alors jugée grotesque. De Simon Wincer
 à Brian Trenchard-Smith, les metteurs en scène se succèdent mais tous refusent de tourner. McElroy eut beau se lancer dans la conception des effets spéciaux de la créature, le projet stagnait durant plusieurs mois tandis qu'à l'étranger les films de monstres s’enchaînaient sans temps morts. A la manière d'un Alejandro Jodorowsky pour son Dune avorté, McElroy proposa une sorte de book dans le but d'attirer l’œil de réalisateurs et de financiers. Ainsi, l’investissement de cinq millions de dollars australien est déjà bien entamé lorsque Russell Mulcahy reçut le scénario.

 

Razorback


Né en 1953 à Melbourne, Mulcahy débuta comme monteur pour la chaîne
Seven Network. Fou de rock et de punk, il avait tourné très vite avec ses amis de petits films en Super 8. Il quitta l'Australie pour l'Angleterre en avril 1976 et se retrouva à tourner le clip d'un obscur groupe punk dans un hangar de la banlieue de Birmingham. Aidé de passionnés comme Leslie Godfrey et John Roseman, Mulcahy voit sa carrière lancée et n’aura de cesse, quatre ans durant, de réaliser les clips d'artistes internationaux. Il devint ainsi le metteur en scène le plus demandé du métier : on doit à l'australien les clips Wild Boys, Rio et Hungry Like The Wolf de Duran Duran, il tourna Bette Davis Eyes pour Kim Carnes, I'm Still Standing pour Elton John, True pour Spandau Ballet, It's Raining Again pour Supertramp et même Spacer pour notre Sheila nationale accompagnée de ses B-Devotions. C'est son clip de Hungry Like The Wolf pour le groupe de Simon LeBon et Nick Rhodes qui attira l'attention du producteur Hal McElroy qui lui envoya le scénario de Razorback.
Alors sur le tournage du clip
Rio au Sri Lanka, un Mulcahy dubitatif sur le potentiel du projet confia le script à son agent, Gerry Laffy. Ce dernier apprécia l'histoire et convainquit son client d'accepter une rencontre avec les McElroy. Russell s'y rendit sans avoir lu Razorback mais prétendit le contraire devant le producteur, allant même jusqu'à dire qu'il l'avait bien aimé. La carrière de cinéaste de long-métrage de ce jeune homme d'à peine trente ans était lancée. Le tournage démarra en mai 1983, après que Mulcahy ait remanié quelque peu l'histoire et l'orientation horrifique du récit.

Effectué aux studios de Sidney et en grande partie dans le désert, le tournage de Razorback ne fut pas une partie de plaisir, entre nuits froides et tempêtes de sable. Mais Russell Mulcahy avait la chance de pouvoir travailler avec son ami et collaborateur de longue date Bryce Walmsley, qui remplaçait au pied levé le directeur artistique vieillissant et incompétent imposé par la production. Walmsley avait beaucoup travaillé pour la télévision australienne avant de rejoindre Mulcahy en Angleterre, où ils collaborèrent sur la majorité des clips tournés par ce dernier. Les décors du film étaient déjà conçus à Londres plusieurs semaines avant le début du tournage, puis envoyés à Sidney. Walmsley conçut plusieurs maquettes, notamment celle représentant l'abattoir Pet Pack, afin que Mulcahy et le directeur de la photographie Dean Semler puissent préparer le tournage de ces scènes. Pour la création de l'abattoir, Bryce Walmsley s'inspira des grandes cathédrales baroques, transformant ce lieu de mort en temple de métal et de sang. L'acier fut une autre source d'inspiration pour le décorateur dans la conception des arbres morts issus de la séquence du délire du personnage interprété par Gregory Harrison. Les arbres furent peints en gris pour donner une impression métallique et leur structure déformée. Walmsley tenait à une dichotomie entre l'aspect naturel et ancestral du désert et l'adjonction d'éléments volontiers plus modernes à cette atmosphère pratiquement préhistorique.



Russell Mulcahy étant un perfectionniste de l'image, il lui fallait un directeur de la photographie à la hauteur de ses ambitions visuelles. Cet homme fut Dean Semler, futur grand nom du cinéma qui allait travailler avec John Milius, John McTiernan, Kevin Costner et George Miller. Au début de sa carrière, Semler avait principalement œuvré pour la télévision et le documentaire. La photographie de Mad Max 2, Le Défi était son premier gros fait d'arme cinématographique lorsque Mulcahy le choisit six semaines avant le début du tournage de Razorback. Les méthodes du réalisateur plurent au chef-opérateur et les deux hommes s'entendirent d'autant mieux que Semler n'avait jamais travaillé auparavant sur un vidéoclip. Il dut s'adapter rapidement aux exigences et aux idées du jeune metteur en scène. Mulcahy ayant établi un storyboard plutôt complet, Semler et lui s'accordèrent sur l'atmosphère à donner aux scènes. Russell ayant opté pour une ambiance surréaliste, Dean n'eut pas à se soucier des raccords de lumière hasardeux. Semler employa à profusion les effets bleutés si chers aux années quatre-vingt ainsi que les contre-jours, allant même jusqu'à implanter des arcs au-dessus de la caméra pour refléter des éléments lumineux comme les phares des camions.

Mais que serait un film de sanglier géant sans son monstre vedette ? C'est à Bob McCarron que furent confiés les effets spéciaux de Razorback. Oeuvrant dans son art depuis quelques années, il avait d'abord été l'assistant de Roy Ashton sur les productions Hammer avant de partir pour les antipodes au milieu des années soixante-dix. A cette époque, peu d'artistes de maquillages travaillaient en Australie. Aussi McCarron n'aurait pas de mal à devenir indispensable à l'ensemble des productions dites de genre. Avant Razorback, il s'était fait un nom sur Mad Max 2, Les Traqués De L'An 2000, L'Année De Tous Les Dangers et Les Pirates De L'Ile Sauvage. Plus tard, il réaliserait certains effets de Matrix et La Reine Des Damnés. Pour la créature, Hal McElroy lui alloua une enveloppe de deux cent cinquante mille dollars australiens, ce qui demeure à l'époque une grosse somme au pays des kangourous. McCarron et son équipe construisirent trois modèles différents du sanglier en moins de quatre mois. Le premier, baptisé "la tête gros-plan" fut équipé d'une trentaine de moteurs destinés aux expressions faciales de l'animal. Le monstre fut conçu de la tête jusqu'aux épaules et seules les pattes avant lui furent rattachées. Le sanglier humain représentait l'animal dans sa forme  complète et permit à un ou deux opérateurs de l'animer de l'intérieur pour les plans larges. Le "sanglier marcheur" coûta le plus cher aux McElroy puisqu'il est bourré d’électronique et entièrement contrôlé par ordinateurs et télécommandes. Aux dires de MacCarron, ce dernier modèle était très convaincant, mais il n'en resterait que des plans fugaces à l’écran. Si Russell Mulcahy était satisfait du travail du maquilleur et de ses pairs, il s’avérera difficile pour lui d'apprécier le monstre une fois filmé. Il avouera qu'il aurait préféré plus de plans où un véritable sanglier avait été maquillé à la manière de la créature. Ces plans-là étaient selon lui les plus réussis.

Razorback


Les comédiens de
Razorback appartiennent dans leur grande majorité à l'école du cinéma australien. Mulcahy s'entoura également du vétéran sud-africain Bill Kerr, vu dans de nombreuses productions anglaises et australiennes pour le cinéma et la télévision, acteur respecté apportant donc de la crédibilité au casting du film. A ses côtés, Gregory Harrison était la pièce rapportée pour satisfaire le coproducteur et distributeur Warner Bros. Au moment d'intégrer le film, il avait construit une carrière d'une bonne dizaine d'années aux USA et avait fait connaître son visage et son talent dans de nombreuses séries et téléfilms. Il fut l'un des protagonistes de Jim, The World Greatest premier film de Don Coscarelli, réalisateur de la saga Phantasm, et interpréta Logan dans l'adaptation télévisée de L'Age De Cristal. L'élément féminin principal de Razorback fut incarné par la jeune anglaise Arkie Whiteley. Auparavant, on l'avait vue dans le rôle de la blonde et guillerette fille de Papagallo, le chef du camp retranché de Mad Max 2. On la reverrait dans Scandal, adaptation pour le cinéma de l'affaire Profumo. Elle décéda d'un cancer en 2001, à l'âge de trente-sept ans. Chris Heywood, l'un des deux méchants chasseurs du film, travailla avec des réalisateurs comme George Miller (celui de L'Homme A La Rivière D'Argent), Vincent Ward, Simon Wincer, P.J. Hogan ou Scott Hicks. Enfin, David Argue, autre personnalité appréciée des australiens, incarne l'associé asocial et psychopathe de Heywood.

Le tournage s'acheva au bout de neuf semaines. Malgré son expérience de monteur, Russell Mulcahy céda la place à William Anderson, connu pour les montages de plusieurs films de Peter Weir (Gallipoli, L'Année De Tous Les Dangers et à venir Le Cercle Des Poètes Disparus, Green Card et The Truman Show). Mulcahy conserva néanmoins un contrôle créatif total sur Razorback. Si Anderson fut crédité au générique, le réalisateur fut présent durant tout le processus de montage et ira même jusqu'à retourner certains plans de la seconde équipe. Razorback embarrassait Warner Bros, qui ne savait pas comment le vendre et le distribuer : trop ésotérique, trop "différent", projections-test désastreuses. Le taux de satisfaction y dépassait rarement les vingt pour cent. Il était reproché au film d'être très irrépressiblement violent voire malsain. Il fut contraint de repasser sur la table de montage, ce qui arrangeait le réalisateur qui ne voulait pas lui-même d’un spectacle trop sanglant. William Sanderson et Mulcahy atténuèrent la violence des images et modifièrent le propos, rendant leur film plus accessible et transformant le récit horrifique en bande d'aventure. Une aventure particulièrement glauque mais une aventure tout de même. 


Razorback


Terminé à l'hiver 1983, Razorback fut distribué en Avril 1984 en Australie où il ne rencontra pas le succès. Le distributeur américain Warner Bros le sortit discrètement en novembre de la même année où il passa logiquement inaperçu. Sélectionné en compétition au festival du film fantastique d'Avoriaz en janvier 1985, le film de Russell Mulcahy parvint néanmoins à impressionner la critique spécialisée et fit parler de lui. L’édition vidéo éditée par Thorn EMI eut un beau succès sur le territoire français. Malgré ses faibles recettes, Razorback permit à son metteur en scène d'être remarqué par les studios. Il reçut dès lors beaucoup de propositions, mais ne s’attela à un nouveau long-métrage qu’en 1985 avec le futur classique, Highlander. La suite de la carrière de Russell Mulcahy alternera le personnel et l'alimentaire.
Il n'est pas interdit de penser que c'est l'échec de Highlander, Le Retour, dont le tournage fut calamiteux, qui le précipita vers un cinéma de moindre prestige. Après le sympathique thriller Ricochet, qui imposait Denzel Washington en héros de films d'action, il tourna Blue Ice avec Michael Caine, L'Affaire Karen McCoy, qui mit un temps fou à être distribué, puis The Shadow qui restera durant longtemps son dernier contact avec un gros budget. Il tourna ensuite des films sans importance dont la plupart ne sortiraient qu'en vidéo et des épisodes de séries télé. (2) Mulcahy ne reviendra à la réalisation que pour un projet personnel et totalement australien, Swimming Upstream, biographie du nageur Tony Fingelton, et pour Resident Evil: Extinction en 2007. Si son cinéma devint moins expérimental au fil des années, Russell Mulcahy n'en demeure pas moins un cinéaste visionnaire des années quatre-vingt doublé d'un génie du vidéoclip, et demeure aujourd’hui encore très respecté pour son œuvre autant dans l'industrie musicale que pour nombres de réalisateurs. 
Highlander (ainsi que ses suites qu’il n’a pas réalisées), Ricochet et déjà Razorback portent incontestablement sa marque.
 

Razorback


Dès ses premières secondes, on se doute que ce premier effort ne sera pas un film de monstres traditionnel. Le générique présente une ferme enveloppée dans la nuit australe au milieu du désert. Les pans d'une vieille éolienne alternent, tant visuels que sonores, dans les crédits du générique. Le ciel est rouge, le vent se lève et le vieux Jake Cullen rentre chez lui, à l'abri. Il borde son petit-fils mais un bruit intriguant le pousse à aller jeter un œil dehors. A peine a-t-il le temps de sortir qu'une masse gigantesque et monstrueuse déchire les ténèbres et dévaste la maison. Hébété, le vieux Jake erre dans la nuit à la recherche de son petit-fils. Mais la bête l'a déjà emporté.
Cette introduction tétanisante nous laisse immédiatement à penser, à raison, que
Razorback ne sera pas un film ordinaire. Ce qui transcende l’œuvre de Mulcahy est l'apport des images et du son à une histoire classique de chasse au monstre. Le jeune cinéaste souhaitait avant tout une lecture nouvelle à un thème usé, l'écriture d'Everett De Roche l’y aida en sortant parfois des sentiers battus.

Les années passent à Gamula Bay et Cullen, acquitté faute de preuves du meurtre de son petit-fils, est conspué par le village. Il fait la rencontre de Beth Winters, une jeune journaliste américaine spécialiste de la défense des animaux, rendue sur place pour constater le massacre de kangourous par des chasseurs peu scrupuleux.
 Cullen lui déclare qu'il ne chasse pas les marsupiaux mais les sangliers, en particulier le razorback, une espèce vicieuse et résistante, et ne ménage pas la journaliste. Soucieuse d'avoir une histoire à raconter et des méchants à dénoncer, Beth parvient jusqu'à l'abattoir Pet Pack où travaillent Benny et Dicko Baker. Ce dernier, psychopathe sans pitié ni remords, prend en chasse Beth avec son frère et manque de la violer, interrompu dans le désert par le razorback qui les met en fuite et tue Beth froidement avant d'emporter son cadavre. Dans cette séquence, la mise en scène est d'une importance capitale puisqu'elle fait ressortir le psyché des Baker. La lumière en contre-jour et le bleu nocturne disposent la noirceur de l'âme de Dicko jusqu'à ce plan terrifiant où les phares de leur camion se reflètent dans les yeux du cadet violeur. A ce moment précis, Dicko Baker devient un démon, une créature fantastique et mauvaise qui fait basculer le film dans un univers irréel, onirique. L’œil aura d'ailleurs un rôle important dans Razorback, qu'il soit celui d'un corbeau faisant la transition entre l'Amérique des époux Winters et l'Australie de Cullen, celui d'un Carl Winters au moment de son combat final contre le monstre ou celui du sanglier géant fixant son adversaire.
 

 Razorback


L'onirisme s’installe dans les souvenirs mais aussi dans la réalité des personnages. En particulier celle de Carl Winters, l'époux de Beth qui débarque en Australie deux mois après la disparition de celle-ci. Les deux mois lui auront permis de refouler son accablement et sa peine. Dès notre première rencontre avec lui, nous savons qu'il sera quelqu'un d'attachant. Il aime sa femme, lui fait la cuisine, lui offre une bague tandis qu'elle attend son premier enfant. Plus tard dans le bus qui l'emmène à Gamula Bay, il sourit à une vieille dame qui le dévisage. C'est un homme tout ce qu'il y a de plus normal, maladroit, perdu dans un monde qui lui est étranger et pour qui il est lui-même étranger. A la manière de certains héros d'Alfred Hitchcock, Carl Winters est confronté à une situation exceptionnellement dangereuse qu'il ne maîtrise pas mais qui va l'endurcir et en faire quelqu'un capable d'affronter le deuil.
S’il est l'élément central du récit, quatre personnages d'importance gravitent autour de lui. Le chasseur Jake Cullen que personne ne croit lorsqu'il parle du monstre, Sarah Cameron la biologiste qu'il rencontre au terme de son errance dans le désert et les frères Baker, ignobles individus auxquels Carl s'intéresse. Ils travaillent à Pet Pack, un abattoir de métal et de tripes, véritable antichambre de l'enfer pour les animaux qui y vivent leurs derniers instants. Les Baker seront les véritables "méchants" de
Razorback. L’incarnation d’un mal presque innocent dans son absence de ramification et d'élaboration. Ils sont responsables de la mort de Beth Winters pour l'avoir laissée à la merci du monstre, mais aussi du destin d'autres personnages du film. Leur antre, sorte de grotte troglodyte qui fait penser au refuge de la famille Sawyer dans la suite de Massacre A La Tronçonneuse (3), est un big bazar de l'angoisse où les animaux de compagnies sont amputés d'une patte, où l'on dort à même le sol et l'on mange ce que l'on y trouve (surtout du kangourou). Le sanglier géant, s’il demeure une figure négative, n’en est pas moins un animal soucieux de se nourrir tandis que les Baker apprécient la violence, la souffrance et la destruction dans le seul but de satisfaire leur bon plaisir.



Les passages oniriques de Razorback sont visiblement l'expression d’une catharsis pour le héros Carl Winters. Une fois abandonné dans le désert par les Baker, il se fraye un chemin dans sa propre douleur de veuf, voit la terre s'ouvrir à côté de lui, des cadavres de chevaux surgir des crevasses, deux lunes éclairer la nuit, ses mouvements se fluidifient en une traîne de souvenirs de l'être aimée. Et ce calvaire prend fin quand il tombe sur la ferme de Sarah Cameron. La jeune femme apparaît alors comme une solution à la perte, la remplaçante de l'épouse disparue. N'ayant pu secourir sa femme, Carl se voit alors vers la fin du film comme le sauveur de Sarah. En somme, une seconde chance.

Russell Mulcahy avait envisagé de conclure Razorback sur la découverte par les survivants d'un clan entier de sanglier géants. Une fin traditionnelle dans le genre, de celles qui appellent une suite. Celle que l'on connait fait de cette série B australienne une œuvre unique. Unique car sans descendance et unique car véritable expérimentation de son auteur qui devient par là-même une expérience pour les spectateurs. En magicien de l'image, Mulcahy donna à son premier long-métrage une texture bien particulière ainsi qu'une sonorité propre. (4) Imaginez Les Dents De La Mer par David Lynch et vous ne serez pas loin du résultat. Razorback c'est bien de l'art, pas du cochon !


(1) Dans lequel Stacy Keach et Jamie Lee Curtis affrontent un tueur en série.

(2)  Parmi ces œuvres La Malédiction De La Momie et Résurrection (ndlr : un chef-d’œuvre lambertien). Il réalisa aussi des épisode des Contes De La Crypte et de Queer As Folk.

(3)   Sorti en 1986, soit deux ans plus tard et dont Mulcahy fut envisagé à la réalisation par Tobe Hooper lui-même.

(4) La musique d'Iva Davies (membre de Ice house dont Russell réalisa le vidéoclip Hey Little Girl) participant à l'étrangeté de l'ensemble.



RAZORBACK
Réalisation : Russell Mulcahy
Scénario : Everett De Roche, d'après le roman de Peter Brennan 
Production : Hal McElroy & Tim Sanders
Photo : Dean Semler
Montage : William M. Anderson
Bande originale : Iva Davies
Origine : Australie
Durée : 1h35
Sortie française : 30 janvier 1985




   

Commentaires   

0 #1 tangoche 21-07-2014 14:54
Très bel article.

La carrière de Mulcahy me fait pas mal penser à celle de Geoff Murphy qui est passé d'un "Quiet Earth" à des panouilles avec Christophe Lambert
0 #2 Frédéric Nihous 21-07-2014 15:47
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre article. Serait-il cependant possible d'avoir plus de précisions sur les lieux de tournage du film. Me rendant en Autralie prochainement pour chasser le sanglier, j'aurais aimé connaître les meilleurs spots.
Merci !
0 #3 dud 05-08-2014 10:31
Magnifique titre d'article !

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