Comics attitude
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- Instant critique par Nicolas Zugasti le 20 août 2008
Hé monsieur, filme moi un super-héros
Gros budget + réalisateur doué = bon film de super-héros ? Le grandiose The Dark Knight semble le confirmer. Cependant, avec un talent inversement proportionnel à un budget de trois brouzoufs, il est possible de faire de grandes choses.
Avant d'aller plus loin, une petite précision. Nous nous limiterons ici à quelques exemples et ne traiterons pas de la totalité des adaptations de comics. Pas d'exhaustivité, juste une approche succinte afin de parler de deux réalisateurs pour l'instant plus ou moins inconnus.
Les adaptations de comics ne datent pas d'hier. Superman fut le premier à connaître les joies ou plutôt les affres d'une adaptation mais c'est la version de Richard Donner en 1978 qui s'imposa comme un canon indépassable. Voir les séquelles qui s'ensuivirent. Même si le budget alloué à l'époque était important, ce qui lui valut un succès critique et public, au-delà de l'universalité d'une telle icône, c'est bien la compréhension du personnage de la part de Donner qui fit la différence. Même si le revoir aujourd'hui ne manquera pas de provoquer des sourires en coin (ah, le cabotinage de Gene Hackman....), il reste diablement efficace. En tous cas, bien plus que la version christique de Bryan Singer (Superman Returns, 2006).
Faire un bon comic book movie ne dépend pas seulement du personnage adapté, de sa connaissance et/ou sa reconnaissance. Certains excellents films de genre ne s'appuyant sur aucune base dessinée peuvent se réclamer de cet esprit comic book, comme par exemples Mad Max 2 ou RoboCop.
Il est même plus facile de transcender le matériau de base quand le personnage en question est quasi inconnu. Voir Blade premier du nom de Stephen Norrrington en 1997 et surtout sa suite, Blade II de l'immense Del Toro.
La difficulté majeure pour un cinéaste est bien de rendre hommage à l'esprit qui présida au comic adapté tout en livrant un film personnel. Le contre-exemple parfait étant représenté par Sin City de Roberto Rodriguez qui se contente de reproduire les cases du chef-d'oeuvre hardboiled de Franck Miller. En beaucoup moins bien, et, comble de l'ironie, en beaucoup moins "vivant".
Mais les difficultés paraissent vite insurmontables dès lors qu'il s'agit d'une oeuvre à succès aux personnages mondialement connu. Car avant le génie de Sam Raimi, Spider-Man aura connu son heure de honte avec un ahurissant téléfilm de 1977.
Et Captain America, en attendant les honneurs dû à son rang (verdict en 2011), aura lui fait les frais de trois adaptations en 1941, 1979 et surtout la version mémorable de 1990 de Albert Pyun. Sans parler du sort réservé à la première famille super-héroïque, Les 4 Fantastiques.
Alors qu'un premier film de 1994, produit par Roger Corman et désormais pratiquement invisible (la Fox ayant tout fait pour racheter les copies et faire disparaître la moindre bobine), est un sommet de chtambouzerie (copyright Rafik Djoumi) non déclarée, ce n'est rien comparé aux deux navets signés Tim Story, pourtant plus récents, et qui donc devaient logiquement bénéficier d'un savoir-faire et d'une maîtrise supérieure. Seul exploit de ces purges infâmes, donner à posteriori un éclat poétique et attendrissant au film de Oley Sassone.
Non, pour voir la seule et unique adaptation digne de ce nom des Fantastic Four, il faut se tourner vers l'animation et plus précisément le film de Brad Bird, le sublime Les Indestructibles (à ce jour, LE chef-d'oeuvre incontesté des studios Pixar. Désolé Wall-E). La maîtrise narrative de Bird alliée à une sensibilité et une approche humble et sincère de cette mythologie moderne propulsant le film vers les sommets.
Nous passerons sous silence les Ghost Rider et autres Elektra, si vous le voulez bien.
Dépeindre un univers graphique aussi particuliers que peuvent l'être les comics n'est pas à la portée du premier venu, qu'il bénéficie ou non d'un budget conséquent. Le ridicule n'est jamais loin. La réussite dépend avant tout de la capacité du réalisateur à rendre acceptable les plus incroyables invraisemblances (un homme qui vole, s'agrippe au plafond ou se déguise en chauve-souris géante). Autrement dit, avoir le talent nécessaire pour atteindre une suspension d'incrédulité maximum, souvent au mépris des conventions ou de l'absence de capitaux.
Et c'est exactement ce que parviennent à faire à leur modeste niveau, Sandy Collora et David Sarrio. Deux fanboys proclamés qui mettent leur passion au service de leurs héros préférés.
Avant d'être réalisateur, Sandy Collora s’est avant tout distingué par ses talents de designer. Des dispositions que le grand et regretté Stan Winston l’aida à développer lorsque Collora travailla pour son studio de conception d’effets-spéciaux. Ses facultés de sculpteur, storyboarder ou concepteur de désign lui permirent de côtoyer les immenses Rick Baker et Rob Bottin, notamment, et de travailler entre autres sur, The Arrival (David Twohy), The Crow (Alex Proyas) ou Predator 2 (Stephen Hopkins).
Il tourna son premier court-métrage Solomon Bernstein’s Bathroom en 1999, mais c’est définitivement son film de huit minutes datant de 2003 et intitulé Dead End qui fit sa renommée. Un court mettant en scène Batman, sa némésis le Joker et deux monstres désormais mythiques, un Alien et un Predator ! Certes, sa connaissance du milieu lui permis de bénéficier de quelques facilités notamment concernant les costumes des créatures, mais c’est véritablement son aisance et sa capacité à capter l’essence de ces icônes qui sont remarquables. Bien que DC Comics ait publié en 1991 et 1995 deux mini-séries opposant Batman et Predator et une datant de 1998 où cette fois-ci notre détective était confronté à l’Alien, on ne peut pas dire qu’elles furent une source d’inspiration. Au contraire du one shot d'Alan Moore The Killing Joke, contant l’ultime affrontement du Joker et de Batman.
Mais c’est bien sa passion du dark knight qui guida Collora pour signer un mini-film très travaillé. Cadres soignés, ambiance de fin de monde où il se permet de synthétiqer en une confrontation la relation ambigue entre les deux anti-héros et pourquoi l’un ne peut exister sans l’autre. Osant introduire un bestiaire, le Predator et l’Alien donc, pour le moins étranger à l’univers urbain du justicier de Gotham, il parvient à faire cohabiter, ou plutôt se percuter, ces deux univers. Et si Batman Begins fut un succès qui permis de relancer la franchise, on peut supposer que le court de Collora fut une source d'inspiration pour Nolan (l'ambiance, l'iconisation, la voix sépulcrale...) Batman: Dead End aura a coup sûr attiré l’attention des financiers, leur prouvant que malgré les catastrophiques pantalonnades de Schumacher et avec un peu de talent et un amour indéfectible pour le genre et le personnage, tout n’était pas perdu.
En 2004, Collora récidiva mais cette fois-ci il orchestra la rencontre de Batman et Superman, dans le court intitulé World’s Finest, qui s’apparente plus à un trailer. Une bande-annonce fantasmant une fiction et qui ne cesse d’intriguer et de stimuler l’imagination. Un dernier travail qui se rapproche de ce que réalise, avec encore moins de moyens financiers, le français (cocorico), David Sarrio.
Passionné par la S.F, les films d’horreur et les comics, David Sarrio, comme bon nombre d’entre nous, a développé sa culture cinéphilique grâce à Mad Movies et Starfix. S’il n’est pas aussi implanté dans l’industrie cinématographique que Collora, il n’en démontre pas moins certaines qualités de réalisation.
La première sensation opère en 2001 où il réalise un teaser de Daredevil avec 3 500 euros en poche. Son film gagne un prix et se voit sélectionner dans divers festivals. Pour autant, cela ne lui ouvre pas plus de portes que ça.
Du coup, il enchaîne en 2003 avec un projet encore plus ambitieux, une sorte de prologue à une adaptation de l’Incroyable Hulk, Projet Gamma (partouane et parttou). Un court de douze minutes où Sarrio démontre également sa compréhension des personnages, de leur univers et parvient à contourner de belle manière des contraintes budgétaires quant à la modélisation du géant vert. S’il ne peut se targuer d’avoir inspiré le film sorti en 2004 et réalisé par Ang Lee, il se montre aussi inventif et expérimental.
Rebelote, le film a du succès mais ne lui assure toujours pas une reconnaissance suffisante pour réaliser un premier long. Pas découragé, il tourne quelques pubs et des reportages ou des sujets qui serviront dans les bonus de DVD. Quand en France, personne n’est capable de déceler la moindre once de talent chez lui, les américains n’hésitent pas à le sélectionner avec une dizaine d’autres afin de choisir le réalisateur de la suite du Punisher de Hensleigh.
Jouant son va-tout, il réalise un teaser de deux minutes proprement bluffant. Suprême miracle, il arrive à nous faire oublier l’espace de ses deux minutes la purge sortie en 2004 avec Thomas Jane. Sombre, impitoyable, violent et effrayant, Franck Castle dans toute sa splendeur. Devinez quoi, il n’a pas été retenu. L’absence de long métrage sur son C.V aura été rédhibitoire. Mais cela ne l’empêche pas de développer d’autres projets.
Au-delà des frontières, ses deux hommes ont prouvé que l’alliance du talent et de l’amour sincère du genre pouvaient transcender l'absence de budgets pharaoniques. Certes, le fait qu’ils oeuvrent dans un format court ne permet pas de savoir si leur maîtrise narrative, esthétique et thématique s’accommodera d’un format plus long. Mais si personne ne leur donne leur chance de se confronter à leurs limites, on ne sera pas plus avancé. Leurs créations sont là pour l’attester, leur talent ne demande qu’à s’exprimer. Si le rat de Ratatouille nous persuadait que tout le monde peut cuisiner, Collora et Sarrio ont eux réussi l’exploit de nous convaincre que tout le monde peut filmer des super-héros. Aussi imparfaits soient-ils, ces courts-métrages en remontrent à certaines adaptations friquées.
Toute oeuvre littéraire ou dessinée ne peut s'affranchir d'un nécessaire travail d'adaptation et tant pis pour les puristes intégristes qui ne jurent que par le respect fanatique de la retranscription à la case près. Capter l'essence, la force, les résonances d'un personnage ou d'une histoire ne sera jamais l'apanage exclusif d'importants moyens financiers. Sam Raimi, Del Toro, Nolan, Collora et Sarrio l'ont admirablement illustré. Les comic books ont une âme et ces auteurs ont réussi avec plus ou moins de bonheur à partiellement l'imprimer sur pellicule.