The World's End

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Affiche The World's End

Annoncé par ses auteurs comme la conclusion de la Trilogie Cornetto amorcée avec Shaun Of The Dead et Hot Fuzz, The World’s End attendra pourtant sa dernière séquence pour dévoiler l’emballage du fameux cône glacé. 

Cela n’a rien d’étonnant : au-delà du clin d’œil et du gag impromptu, la fameuse séquence fait d’abord état de la fin d’un monde et d’une certaine nostalgie. Il y a désormais un grillage entre Nick Frost et la friandise.

Intronisés artistes geek avec la série Spaced en 1999, Edgar Wright, Simon Pegg et Nick Frost ont fait du chemin. Le premier est parti tourner l’adaptation d’une référence de la pop culture (Scott Pilgrim Vs. The World) tandis que les deux comédiens évoluaient de leur côté avec plus ou moins de succès (plus pour Pegg présent au générique de deux franchises lucratives : Star Trek et Mission : Impossible, moins pour Frost dont on retiendra surtout Attack The Block). Et si Paul et Les Aventures De Tintin, co-écrit par Wright justement, avaient su prolonger l’esprit de camaraderie entre les artistes et leur public, on attendait encore la grande réunion de famille qui permettrait de faire le bilan de ces quinze années de comédie et de cinéma de genre. Les seconds rôles sont de retour pour un baroud d’honneur (Martin Freeman, Mark Heap, Paddy Considine et toute la clique) avec en ligne de mire la promesse d’une dernière grande tournée des pubs entre copains mêlée à de la science-fiction et du Zui Quan (technique de combat de l’homme ivre popularisée par Jackie Chan dans Le Maître Chinois). Le tout sous la superbe lumière de Bill Pope qui avait déjà fait des merveilles sur Matrix, Spider-Man et Scott Pilgrim. Le délire peut commencer… Ou pas.

The World's End

A la manière de Funny People de Judd Apatow, The World’s End frappe d’abord par sa mélancolie et son amertume. Car nos héros ne sont plus de jeunes adultes mais bien des presque quadras réunis de force pour revivre le souvenir idéalisé d’une soirée de débauche adolescente. Le public n’est donc pas convié à une soirée de fête mais à un souvenir de ce qui a été. D’où un décalage constant entre ce que l’on est venu chercher (de la franche camaraderie, une soirée qui part en vrille) et ce qui est réellement raconté (l’incapacité à grandir et à rompre avec le fantasme qu’on a de soi). Wright multiplie ainsi les références à ses œuvres passées (un mash up du Summer Magic de Mark Summers et du Rabit Rabit entendu dans Spaced, les références à un certain Paul disparu, des montages cut sur des pintes remplies…) pour introduire une rupture et créer le malaise au cœur des enjeux (de l’eau servie à la place de la bière par exemple). En attribuant à chaque personnage le nom de sa fonction dans le récit (le Roi, le vrai Prince qui séduira la belle, le Knightley / Chevalier qui accompagnera le héros…) et en annonçant chaque événement via les différents pubs traversés Wright nous indique, jusque dans la promotion du film, que son récit sera celui d’une quête mystique vers la jeunesse éternelle : voir cette ultime pinte posée et éclairée telle le Graal. Une quête évidemment vouée à l’échec et devant mener à la fin du Monde, au sens propre comme au figuré.

Insidieusement, le récit dérive du film de potes doux-amer pour enclencher son deuxième niveau de lecture. Car ce que fuit Gary King, le personnage central, est l’uniformisation de son mode de vie ; et ce dès la scène d’introduction où son réveil matinal, dévoilé par panneaux, s’intercale au milieu de vignettes quotidiennes de ses différents amis plus ou moins identiques. Comme c’était le cas avec les zombies de Shaun Of The Dead, le commentaire social du film se fera via l’utilisation d’un argument fantastique, en l’occurrence une invasion extraterrestre, avec son lot de références à Invasion Los Angeles (les messages tapissant la mairie) ou Body Snatcher (les humains transformés en pantins). Edgar Wright  utilise ainsi les codes du genre pour alimenter à la fois sa thématique dépressive et ses gags, l'un n'allant jamais sans l'autre. Qu'il s'agisse des deux premiers pubs absolument identiques ou d'un robot géant qualifié d’œuvre d'art contemporaine, tout y passe. Mais la séquence la plus représentative de la démarche des auteurs est certainement celle où chaque protagoniste dévoile ses cicatrices pour prouver qu'il est toujours humain. Cet emprunt à The Thing répond à une convention scénaristique (y a-t-il un traître ?) mais vrille au déballage des sentiments (Gary King est à l'origine de chaque cicatrice). L'angoisse puis l'émotion cède alors la place à un gag lorsque Gary décide de se cogner la tête pour prouver qu'il saigne, ses amis concluant que sa stupidité ne peut qu'émaner du vrai Gary.
La violence de ce geste se chargera, réciproquement, d'une véritable portée tragique lorsque l'on découvre que le héros ne souhaitait pas montrer sa cicatrice au coude, ses bras portant encore les marques d'une tentative de suicide. Un véritable charivari d’émotions contradictoires incarnant toute la puissance d’une œuvre refusant la simplicité du discours.

The World's End

Délaissant les considérations de jeunes trentenaires immatures, Wright livre un tableau douloureux de l’entrée obligatoire dans la quarantaine. Il est désormais question du souvenir et du fantasme qu'on garde du passé.
L'introduction nous présente ainsi de manière fragmentée le point de vue de Gary King sur une soirée qui aurait dû changer sa vie. L'image est vieillie, la bande son cool, le délire insouciant, le lever de soleil plein de promesses... Mais il apparaît très vite que les amis de Gary n'ont pas le même souvenir et que la fameuse bande n'est sans doute pas si unie que ça. D'un côté se situe un enfant-roi irresponsable qui ne connaît pas le nom de la femme de ses amis (mais qui espionne leurs changements d'adresse pour leur faire perdre des points de permis), de l'autre quatre hommes plus conformistes, entrés avec plus ou moins de bonheur dans le moule de la société. C'est cette incapacité à trouver un juste milieu entre l'âge de l'insouciance et une vie rangée et molle qui mènera à la fin du Monde du titre, comme si la folie de Gary King était une forme de résistance concomitante à la normalité, un fantôme du passé qui devra mourir, telle cette carcasse de voiture surnommé la Bête dont on nous annonce à la fin la mort ("The Beast is dead"). Le dénouement pourra alors se déployer comme un véritable trésor d’ambiguïté, les souvenirs passés devenant des ruines fumantes que l’on contemple du haut d’une colline, ruines sur lesquelles chacun (du moins ceux qui ont survécu) pourra bâtir un futur en devenant celui qu’il voulait être.



La trilogie Cornetto s’achève ainsi par une apocalypse offrant une véritable révélation à l’ensemble de l’œuvre d’Edgar Wright et ses comparses ("On a de l’encre sur les mains"). Avec son refus obstiné de suivre l’uniformisation de la culture et sa pleine acceptation des responsabilités que son statut d’auteur implique, on pourrait presque envisager The World’s End comme la vision que le cinéaste porte sur une réunion dans les bureaux de la Marvel. S’il se montre cohérent avec son discours, alors il y a fort à parier que son adaptation de Ant-Man sera d’une jouissance absolue.


THE WORLD'S END8/10
Réalisateur : Edgar Wright
Scénario : Edgar Wright & Simon Pegg
Production : Tim Bevan, Eric Fellner, Nira Park…
Photo : Bill Pope
Montage : Paul Machliss
Bande originale : Steven Price
Origine : GB
Durée : 1h49
Sortie française : 28 août 2013




   

Commentaires   

0 #1 Ted 03-09-2013 15:49
Excellent article qui donne envie de revoir le film. Par contre pour Ant-man, je sais pas si il faut vraiment se faire d'illusions. Marvel tient les rennes et ça serait étonnant que Wright ait plus de libertés que ces prédécesseurs.
+1 #2 nicco 03-09-2013 20:28
En partant du principe qu'il a déjà plus de talent qu'eux, on peut garder espoir.
0 #3 Ted 03-09-2013 21:16
Citation en provenance du commentaire précédent de nicco :
En partant du principe qu'il a déjà plus de talent qu'eux, on peut garder espoir.

Oui, c'est sûr
+1 #4 Capitaine Couac 14-09-2013 17:05
Il est sympa comme tout ce film, bizarre que certains voient dans cette fin un message simpliste alors qu'elle est au contraire extrêmement ambiguë. Après je trouve que le thème de l'individu coincé entre sa vie d'adulte et sa vie de gosse est un peu surexploiter dans le cinéma contemporain, surtout le comique, mais bon ici c'est assez bien traité et surtout en arrière-plan face à une histoire assez rafraîchissante.

Sinon j'aime beaucoup la manière dont Wright fait des films d'action, avec de l'énergie sans perdre de son humour.

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