Ready Player One
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- Critique par Nicolas Zugasti le 14 septembre 2018
Le monde perdu
Après Les Aventures De Tintin et Le Bon Gros Géant, le dernier long-métrage de Steven Spielberg est une nouvelle incursion dans le cinéma virtuel, aussi techniquement virtuose que complémentaire à son approche des images et des rêves.
En adaptant très librement le roman d'Ernest Cline, on pouvait craindre que Spielberg ait cédé à la vague nostalgique qui submerge actuellement l'industrie du divertissement. Bien évidemment, le cinéaste ne se contente pas d’exploiter la myriade de références pour cuisiner une madeleine de geek où ce qui importe est de repérer le plus d’items et d’icônes possibles ("Attraper les tous !"). L'adaptation de ce fringant réalisateur de 71 ans est plus qu'une ode à la pop culture, Ready Player One assure un spectacle total empreint d’une détonante réflexion, édifiant un pont entre deux traitements dramatiques et deux régimes d’images puisque l’on y navigue perpétuellement du réel au virtuel : en 2045, des catastrophes écologiques et économiques ont laissé les populations exsangues qui ne trouvent une échappatoire qu’en se connectant au monde virtuel de l’Oasis. Le jeune Wade Watts vit dans une sorte de bidon-ville 2.0 appelé "les Piles", habitations de fortune entassées telles des tas de détritus. L’introduction en plan-séquence annonce les prédispositions du personnage : tandis que l’on suit son parcours de saut en saut sur les différents paliers pour rejoindre son antre, comme sur un jeu de plateformes à la Donkey Kong de 1981 (à la différence qu'ici, l'objectif est le bas de l'écran), les autres habitants aperçus restent enfermés avec un casque VR vissé sur le crâne. Même pour seulement rejoindre un cocon isolé transparaît la volonté d’action de Wade quand les autres se satisfont de leurs cages. A la mort de James Halliday, créateur de l'Oasis, s’engage une féroce bataille entre fans, curieux et corporations telles IOI pour trouver et décrypter les indices qui permettront d’atteindre le Graal, un œuf de Pâques offrant le contrôle de l’Oasis.
Si Ready Player One est indéniablement marqué par la mode actuelle pour ce qui a trait aux années 80, c'est moins par l’emploi des références dont le livre de Cline était truffé que dans la structure du récit. Et notamment cette fin où l'antagoniste est puni d’un coup de poing pleine face et par un happy end entre candeur et mièvrerie. Au-delà de cette patine, le film de Spielberg reste remarquable dans sa manière d’articuler les interactions entre simulations, rêves et faux-semblants, principalement au sein de l’Oasis (le cinéma virtuel libérant la caméra des contraintes physiques pour immerger l'audience au sein de morceaux de bravoure frénétiques avec une lisibilité cristalline) mais avec une tendance à déborder (voir la lumière - divine ? - qui surgit des mains de Wade quand son avatar Parzival porte l’œuf tant convoité). Dans l'Oasis se déploie une multitude de mondes et d'avatars créés selon l'imagination de ses visiteurs, autrement dit des mirages, mais loin de constituer des images éthérées sans substance, ce sont de véritables projections de sensibilités différentes. Il n'y a bien que les Sixers, les soldats sans âmes de IOI, qui ont tous la même apparence neutre. En outre, l'avatar de Sorrento, big boss de l'IUI, prend l'apparence d'un cadre body-buildé, Superman en costard démontrant tout l'imaginaire étriqué de ce dirigeant, en opposition à Halliday qui, comme le gentil géant du BGG (interprétés tous deux par Mark Rylance), capture et met à disposition des rêves.
IOI veut monétiser l'Oasis en saturant de pubs, à la limite de l'épilepsie, le champ visuel du joueur. Dominant déjà l'espace réel (ses interventions musclées et meurtrières ne rencontrent aucune résistance de la part d'autorités inexistantes), la corporation veut aussi s'accaparer l'espace virtuel. Ainsi, la chasse au trésor devient autant une lutte idéologique que territoriale. La quête de Wade/Parzival se mue alors en une réappropriation de l'espace aussi bien physique que figuratif car pour parvenir au but il faut élargir son horizon, changer son regard. Accumuler des connaissances ne suffit pas, il faut en décrypter la signification. Et cela n'est possible qu'en modifiant drastiquement son appréhension des codes et références afin de ne pas réduire la richesse de cet univers. Mais cela vaut également pour notre manière d'envisager la culture pop et l'imaginaire. Et c'est ce que Ready Player One s'ingénie à développer au sein de son intrigue car comme le dit justement Rafik Djoumi, le film de Spielberg est un avertissement "sur le dévoiement d’une certaine pop culture à l’encontre de ceux qui la génèrent, c’est-à -dire la base elle-même"". Ici, cela se traduit par la horde d'assistants experts en pop culture qui monnayent leur bagage en goûts et passions de Halliday pour le compte de Sorrento, puis lui soufflent les références à même de séduire Wade Watts.
Une dérive à laquelle ce dernier n'échappe pas complètement puisqu'il adopte un comportement obsessionnel avec l'objet de son admiration, en l'occurrence James Donovan Halliday. A force de scruter dans le détail sa vie personnelle, professionnelle et artistique, le jeune homme ne distingue plus rien et en vient à passer à côté de l'essentiel. Tout l'enjeu de cette chasse au trésor sera de prendre suffisamment de recul sur ce que l'on observe afin d'en tirer les enseignements nécessaires. Ainsi RPO questionne notre rapport aux références culturelles qui ont forgé notre personnalité et qui irriguent désormais sociétés de consommation et du spectacle. Une crise de la représentation qui s’incarne dans les deux facettes de Steven Spielberg présentes à l’écran : Wade a une ressemblance troublante avec Spielberg jeune ; le statut de créateur de James Halliday dont l'oeuvre à innervé l'imaginaire contemporain renvoie bien évidemment au cinéaste. S'instaure alors une sorte de dialogue intime entre deux versions de lui-même non pas pour asseoir définitivement sa domination mais interroger son leg. Spielberg avait esquissé un tel questionnement sur l'héritage culturel avec le si décrié Indiana Jones Et Le Royaume Du Crâne De Cristal. Avec l'irruption de Mutt Williams (Shia LaBeouf), Spielberg mettait à l'épreuve ce que représentait Indiana Jones tout en testant la viabilité d'un personnage susceptible de prendre la relève. La dernière séquence qui le montrait s'emparer de l'emblématique chapeau avant qu'Indiana ne lui ôte des mains in extremis est une malicieuse façon d'affirmer que le passage de relais ne se fera pas aussi facilement, ou du moins sans son chapeau ! Dans Ready Player One, la question de l'héritage trouve sa résolution dans la touchante séquence du grenier où Wade rencontre une modélisation de Halliday, son fantôme dans la machine. Se joue à ce moment la perpétuation de cet imaginaire commun devant rester en expansion en s'amalgamant aux autres. Autrement dit, éviter toute forme de cloisonnement.
Bien qu'évoluant dans des registres et esthétiques distincts, Pentagon Papers et Ready Player One se complètent dans leur exposition de méthodes d'investigation mettant à mal les forces dominantes. Pentagon Papers discourait sur l'émancipation du pouvoir institutionnel, Ready Player One est le récit d'émancipation d'images reproduites ou régurgitées sans émulation. La chasse à l’œuf donnera le contrôle de l'Oasis, cependant, les véritables enjeux se cristallisent autour de trois clés, et autant d'épreuves qui intiment de porter un regard rétrospectif et introspectif sur ce que les objets de nos adorations afin d'en retrouver l'essence. Chaque défi illustre ainsi le retour salvateur à une appréhension ludique de ses icônes : pour passer outre King Kong, il n'est pas nécessaire de gagner la course, il faut aller à rebours (avec une DeLorean si possible), sous le circuit et dans l'envers du décor. L'exploration de l'hôtel Overlook permet à Spielberg de se réapproprier Shining et produire une nouvelle expérience sensible. Et la dernière épreuve, particulièrement explicite, n'est pas la résolution de Adventure sur une antique Atari 2600, mais son exploration pour en extirper un pixel révélant le nom de son créateur, Warren Robinett. Difficile de faire plus limpide en terme de profession de foi. D’autant que pendant que Parzival s’échine dans l’Oasis, compagnons, quidams et nerds à la solde d’IOI scrutent avec passion ses faits et gestes pour débloquer le dernier niveau de la quête des clés d’Halliday, signe que face à l’accomplissement de cette poursuite du plaisir, toutes les inimités s’effacent.Â
En 2013, Spielberg et son compère George Lucas tenaient des propos alarmistes concernant l’industrie du cinéma. Tandis que le créateur de Star Wars a abandonné la partie en cédant à Disney l’ensemble de l’univers qu’il a créé, Spielberg, avec Ready Player One, affirme qu’il ne laissera pas tomber et continuera d’œuvrer contre le flétrissement et l’embourgeoisement de l’imaginaire et de la créativité !
READY PLAYER ONE
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Zach Penn & Ernest Cline
Production : Bruce Berman, Donald De Line, Jennifer Meislhon, Steven Spielberg, Adam Sommer...
Photo : Janusz Kaminski
Montage : Sarah Broshar & Michael Kahn
Musique : Alan Silvestri
Origine : USA
Durée : 2h20
Sortie française : 28 mars 2018