Jack Reacher: Never Go Back

Sad Cruise

Affiche Jack Reacher: Never Go Back

Les franchises actuelles ont beau ne pas être notre panacée, on attendait ce Jack Reacher. Car le personnage, hyperbole de bad motherfucker écrasant du pouce les super-slips en crise d’identité, s’impose comme une des plus belles icônes produites par Hollywood récemment.


Et parce que la déclinaison à laquelle se prête le personnage esquive le format feuilletonesque érigé en modèle de la plupart des blockbusters à deux cent patates de ces dernières années. Les aventures de Reacher baladent le héros de ville en ville, ne conservant d’un opus à l’autre que son personnage de justicier solitaire qu'une personnalité atypique confronte toujours à de nouveaux défis. Un héros pulp dans l’esprit, et insaisissable par nature, façon Zatoichi, qui repart dans le couchant une fois le boulot terminé.
Autant dire qu’on était chaud patate à l’idée de revoir le père Cruise promener son swagg de pimp sous le regard admiratif d'un public aplati par un 1,70 mètre d’assurance à toute épreuve, la punchline assassine au bout des lèvres et le poing paré au décollage pour les gencives des inconscients. La simple pensée de voir ce parangon de masculinité exacerbée s’imposer en tant qu’icône récurrente suffirait à rendre un peu plus supportable un avenir squatté par Marvel et Fast & Furious. C’est d’ailleurs en ce sens que Christopher McQuarrie posait les bases du personnage dans le premier opus, et c’est très exactement tout ce que le film d’Edward Zwick s’applique à laisser de côté.

Jack Reacher: Never Go Back

Car autant l’annoncer tout de suite, Jack Reacher est triste. Oubliez la jubilation qu’il affichait d’être lui-même chez Christopher McQuarrie, ce Reacher là n’existe ici que le temps d’une scène d’ouverture qui, à défaut de renouer avec la maîtrise du réalisateur de Rogue Nation, a au moins le mérite de s’inscrire dans son giron. Juste le temps de nous faire comprendre que c'est fini de rigoler, Reacher opère désormais avec le vague à l’âme. Fatigué de cette vie de nomade, de cette solitude à laquelle il s’est lui-même condamné, de l’absence de contacts humains à laquelle il s’astreint. La crise de la quarantaine (fifty is the new fortythese days) n’épargne personne, pas même les bad ass charismatiques. Finie l'icône, place au regard humain sur un personnage qui essaie de déjouer le complot s’abattant sur une militaire dont il s’est amourachée au téléphone tout en gérant sa présomption de paternité avec une ado turbulente.

On s’étonnerait du choix du cassage de reins dès le deuxième épisode si Never Go Back ne ranimait pas finalement cette vieille tradition hollywoodienne consistant à concevoir une suite non pas en fonction des éléments présents dans le premier opus (qui ont généré son succès) mais en fonction de ceux qui ne s’y trouvaient pas. En l’occurrence : l’air du temps, et tout ce que cela implique en termes de compromis avec l’intégrité du personnage, désormais affublé de deux comparses féminines qui se chargent de faire avancer l’intrigue à sa place. Ainsi, il ne faut pas longtemps avant que Reacher ne devienne qu'une machine à distribuer des gnons vaguement plus incarnée que les autres (Cruise oblige), mais dépouillé de cette spécificité que le premier Jack Reacher avait brillamment mise en place : la capacité d’accélérer les particules de l’histoire, de faire vriller la boussole d'un environnement qui sans lui resterait inerte. Fair-play, Reacher laisse le soin à ses copines de squatter le premier plan, restant derrière pour faire tourner la machine. On ne se refait pas, Tom Cruise consent à partager les feux de la rampe mais à condition que l’on comprenne que c’est lui qui choisit de partager un peu de sa lumière divine.

Jack Reacher: Never Go Back

De fait, on serait volontiers prêt à passer la frustration de ce second volet évitant la direction que la franchise annonçait s’il avait quelque chose de solide à proposer en échange. Mais rien ne vient dépasser l’alibi féministe post-discours de Patricia Arquette aux Oscars, arboré en bandoulière pour faire artificiellement rentrer Reacher dans la modernité à laquelle il tournait le dos. On ne s’étonne donc qu’à moitié de retrouver Zwick derrière la caméra. Un cinéaste dont la filmographie s’est toujours distinguée par sa propension à rendre accessible et supportable à un public Wasp des problématiques complexes ou moralement difficiles à appréhender. Never Go Back ne déroge pas à la règle, aplanissant tout ce que la personnalité du héros pouvait compter de trop litigieux pour l'époque. Même son apolitisme anarchique est remis en cause, Reacher étant soudain ramené à son appartenance de corps (l’armée) quand il se définissait justement par son rejet du système (à l’instar du dernier Jason Bourne). A croire qu’en ces temps troublés, l’armée américaine ne peut plus se permettre de laisser ses soldats d’élite traîner leur rébellion dans la nature (on attend le prochain Equalizer pour voir si Denzel Washington va lui aussi se laisser gagner par la nostalgie de l’uniforme).

Jack Reacher: Never Go Back

On serait bien tenté de mettre tout ça sur le dos d’exécutifs figés sur les études de marché, jugeant que c’est bien gentil le déballage de bollocks décomplexé mais on se ferait quand même vachement plus de thunes en s’assurant que l’ensemble sente un peu moins la bite. Si ça n’est sans doute pas si éloigné des considérations qui ont présidé à la conception de ce film, impossible d’écarter l’implication de Tom Cruise lui-même. Pas quand on connait son investissement maladif dans son travail et l’aspect fondamentalement biographique que revêt sa filmographie. De fait, les récents événements qui ont animé sa vie privée (son souhait de quitter la scientologie, sa fille qu’il n’a jamais rencontrée) ont sans doute joué un rôle dans le revirement inattendu de la franchise. Car c’est là qu’il faut chercher le contraste le plus criant avec le premier Jack Reacher, où Cruise semblait n’avoir jamais autant joui d’être Cruise. Ici le monsieur porte une éloquente fatigue de lui-même, du fardeau que sa propre personne peut représenter. Rogue Nation mettait déjà en exergue la difficulté de la star à suivre le rythme, mais c’est bien un ras-le-bol qui se lit maintenant sur son visage. Tom en a marre de Cruise, et c’est sans doute ce qui sépare le plus Never Go Back de son modèle. D'autant plus que les idées d’Edward Zwick en terme de mise en scène s’arrêtent visiblement à un bon vieux Hollywood Night des 90’s, d'où l’absence totale de kiff qui émane de cet ensemble que la star ne parvient pas à électriser avec sa force de conviction habituelle.

En cela, Jack Reacher: Never Go Back est bien le produit d'une époque peine-à-jouir, qui prétend procurer du divertissement quand ceux qui le fabriquent se révèlent incapables de prendre leur pied, regardant d’un œil suspect la simple satisfaction du travail bien fait. Triste, c’est le mot.




JACK REACHER: NEVER GO BACK
Réalisation : Edward Zwick
Scénario : Edward Zwick, Richard Wenk & Marshall Herskovitz d'après le roman de Lee Child
Production : Tom Cruise, Christopher McQuarrie, Paula Wagner...
Photo : Oliver Wood
Montage : Billy Weber
Bande originale : Henry Jackman
Origine : USA / Chine
Durée : 1h58
Sortie française : 19 octobre 2016




   

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