Mission: Impossible - Rogue Nation
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- Critique par Nicolas Zugasti le 18 août 2015
Ethan tout puissant
Cascades folles, rythme effréné : le 5ème épisode de la saga Mission: Impossible place le curseur de l'action frénétique plus haut encore. Pour autant, son agent vedette n'est pas un simple Forrest Gump de l'espionnage ("Cours, Ethan, cours !").
Après Brad Bird et son excellent Ghost Protocol, c'est donc au tour de Christopher McQuarrie de passer derrière la caméra. McQuarrie qui a débuté sa collaboration avec Tom Cruise sur Walkyrie (il assurait le scénario du film de Bryan Singer) pour ensuite le diriger dans Jack Reacher. Ce dernier et son premier long, The Way Of The Gun, dénotaient de très bonnes dispositions pour filmer l'action, ce que confirme Rogue Nation, même si certains combats rapprochés manquent parfois de lisibilité.Â
Le récit de Rogue Nation emboîte le pas de Ghost Protocol : sans preuve de l'existence d'un mystérieux Syndicat, l'agence est désavouée et démantelée, ses membres étant absorbés par la C.I.A. Hunt refusant de se ranger va donc être traqué par sa propre coalition tout en se déplaçant sur un échiquier régi par Solomon Lane, la tête pensante du Syndicat. Car dès le départ, Lane va orienter la course de Hunt en piratant le protocole habituel de la Force Mission : Impossible, ici en produisant le disque vinyle énonçant sa mission. Organisation antagoniste historique de la série (plusieurs épisodes y font référence avant d'être réellement impliqué durant les dernières saisons), le Syndicat fait un retour remarqué et amené de façon pertinente, cet ennemi des années 60 (un anti IMF comme le décrit Benji) refaisant ici surface par l'entremise d'un album 33 tours de l'époque. Pas de retour nostalgique pour autant mais plutôt une nouvelle itération, une mise à jour.
Rondement mené, l'intérêt de ce cinquième épisode ne réside pas seulement dans la débauche d'énergie déployée par Hunt le fugitif mais par l'émergence d'un personnage féminin, la charismatique et létale Ilsa Faust. Pendant une bonne partie du métrage ses motivations sont pour le moins ambiguës tant son double-jeu pourrait être une manipulation de plus orchestrée par Lane. Son parcours vient ainsi s'enchâsser dans la course d'un Hunt pas insensible à ce fascinant personnage très bien mis en valeur par quelques belles séquences de castagne et dont le patronyme est pour le moins intriguant, renvoyant à l'icône de la nazisploitation et au savant allemand ayant conclu un pacte avec le diable (ce dernier point illustrant finalement sa situation). Il est d'ailleurs plutôt bien vu qu'elle dévoile son nom à l'issue de la formidable séquence à l'opéra de Vienne où Hunt déjoue un attentat contre le chancelier autrichien.
Une scène rappelant évidemment celle de L'Homme Qui En Savait Trop d'Hitchcock même si les deux sont structurées différemment et, surtout, n'apportent pas le même éclairage sur le récit. Chez Hitchcock c'était l'occasion d'une virtuose séquence de suspense tandis que McQuarrie illustre la toile se déployant autour de Hunt, la menace initiale se multipliant en proportion des efforts déployés pour l'endiguer, Lane restant dans l'ombre pour mener et conclure la danse. Le point d'orgue commun reste l'indécision de celui qui y est englué, d'un côté Dorothée (Doris Day), de l'autre Hunt, un temps incapables de se fixer sur la conduite à tenir. Moins spectaculaire que d'autres jalonnant le métrage, cette séquence n'en est pas moins mémorable en terme d'agencement spatial des multiples forces en présence (l'apparition de Faut dans le dispositif éprouvant le plan de Hunt), du retour du silence de l'action en coulisses (ce que la CIA demandait à la IMF !) et de dilemme.
Alors que Protocole Fantôme voyait les équipiers s'accorder de mieux en mieux pour vraiment agir de concert, Rogue Nation opère plutôt une épure en matière de péripéties pour aboutir à une résolution avare en pyrotechnie mais pas en tension. Après les acrobaties suspendu à un avion ou au guidon d'une moto en passant par une infiltration sous-marine au souffle court, les diverses pérégrinations de nos héros convergent vers une confrontation en forme de poker menteur et une poursuite double, à l'ancienne, dans les rues de Londres. Une progression intéressante et plutôt osée tant elle va à l'encontre des canons habituels des films à grand spectacle qui veulent que le climax en mette plein les mirettes avec un bouquet final explosif. Un renversement de paradigme logique puisqu'il traduit en fait la reprise en mains des événements par Ethan Hunt. Jusqu'ici, le spectacle était dirigé par Solomon Lane à grand coups d'effets dévastateurs, le renversement du récit au profit de Hunt ne pouvant intervenir qu'en retrouvant une certaine discrétion. On peut même y déceler un regain de légitimité de l'agence après les dérives de Hunt et son équipe et dont Lane et son organisation seraient ici l'incarnation.
L'indestructible Tom Cruise repousse sans cesse ses limites à mesure que les exploits de son alter ego sont de plus en plus fous et l'on ne cesse de s'extasier sur les morceaux de bravoures qui les implique. Ajoutez l'exotisme des lieux visités, une équipe aux rôles bien rodés – Benji Dunn (Simon Pegg), la caution geek/comique ; Brandt (Jeremy Renner) et sa très utile aptitude à naviguer dans les sphères politiques ; Luther (Ving Rhames), le garant du liant de l'équipe - et l'indispensable touche féminine (ici Rebecca Ferguson), l'humour toujours aussi bien dosé et sans cynisme, le grand spectacle bien ouvragé : vous avez tous les ingrédients pour établir cette franchise comme la véritable héritière de James Bond. D'autant que sans la jouer outrancièrement torturé et dépressif, les aventures explosives de ces supers espions mettent en exergue certaines failles de l'engagement de son leader Hunt. Même ses partenaires l'envisagent avant tout animé par un esprit de revanche, évoqué au détour d'un échange tripartite mais néanmoins bien ancré.
Si le précédent opus remettait largement en cause l'invincibilité de Hunt, Rogue Nation ne cesse de mettre en exergue ses prouesses surnaturelles, voire même carrément divines, le tout empreint d'une ironie mordante. Alors que dans la séquence pré-générique ses équipiers ont toutes les peines du monde à stopper le décollage d'un avion au chargement dangereux, il faudra l'intervention providentielle de Hunt, qui sera d'abord une voix dans l'oreillette de Benji avant de surgir littéralement de nulle part pour sauter sur une aile et courir s'accrocher à la porte. Blessé après s'être enfui des mains des hommes de Lane, il réapparaît six mois plus tard dans un look hirsute très christique. Dans ces conditions, pas surprenant qu'il soit ramené à la vie in extremis. Parlons même de résurrection. Et le directeur de la C.I.A (Alec Baldwin) d'en remettre une bonne grosse couche en parlant de lui comme la figuration du destin, reléguant ses exploits et ceux de son équipe à de la chance (sur laquelle reposera l'infiltration en apnée...).
Ethan Hunt, une déité moderne ? Ce statut est largement battu en brèche lors de la séquence dans les coulisses de l'opéra de Vienne. Alors qu'il tente de maîtriser un des tueurs, Benji actionne sans le vouloir des rampes d'éclairage sur lesquelles ils se battent. Face à ce deus ex machina, le demi-dieu Hunt ne peut rien si ce n'est subir ses aléas. Cependant, c'est le même Benji qui met son ami sur un tel piédestal, ne doutant jamais de lui et de sa capacité à réaliser les exploits les plus improbables, les plus impossibles. Comme rester sous l'eau en apnée dynamique de plus de trois minutes afin de débloquer un système de sécurité : il faut le voir railler la difficulté d'une telle entreprise signifiant que pour Hunt ce sera d'une facilité déconcertante tandis que face à ces paroles, ce dernier tente tant bien que mal de ne pas se décomposer et garder une certaine contenance. Tout le "pouvoir" d'Ethan Hunt provient en fait de la croyance que les autres lui accorde, que cela concerne ses aptitudes hors normes (Benji) ou la certitude qu'il n'est pas un agent comme les autres (Ilsa Faust). Soit l'illustration de la propre croyance des spectateurs en Tom Cruise, gage de réussite et de succès de la désormais incontournable saga.
MISSION: IMPOSSIBLE – ROGUE NATION
Réalisateur : Christopher McQuarrie
Scénario : Christopher McQuarrie, Drew Pearce d'après la série de Bruce GellerÂ
Production : J.J Abrams, Bryan Burk, Tom Cruise, David Ellison, Dana Goldberg...
Photo : Robert Elswit
Montage : Eddie Hamilton
Bande originale : Joe Kraemer
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h11
Sortie française : 12 août 2015