Chronicle
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- Critique par Nicolas Zugasti le 22 février 2012
Shoot the sky
De par son concept, un récit super-héroïque raconté en caméra subjective, on ne peut pas dire que Chronicle de Josh Trank suscitait une forte attente. Cependant, le procédé narratif a beau être biaisé dès le départ, le film réserve quelques belles et intéressantes fulgurances.
Trois lycéens, Andrew, son cousin Matt et Steve, vont se voir doter de super pouvoirs (télékinésie, force et résistance décuplées, lévitation) après avoir touché les étranges cristaux luminescents d’une météorite enfouie à proximité de la méga teuf auxquels ils participaient. Dans un premier temps, nous allons les suivre dans l’apprentissage de leurs nouvelles facultés, les trois potes s’adonnant à des blagues potaches entre eux puis sur des inconnus croisés dans des lieux publics (supermarché, parking). Une expérimentation justifiant à ce moment-là l’usage de la caméra personnelle d’Andrew aux fins de garder une trace de se moments incroyables. Après tout, ils ne pourraient être qu’éphémères…
Ainsi, la caméra s’invitera désormais à chacune de leurs sorties et enregistrera les résultats de leurs pouvoirs toujours plus poussés et développés (session de vol en toute discrétion dans les nuages, une aérienne partie de football américain…). Par contre, l’omniprésence d’un objectif intra diégétique se substituant à la vision d’un réalisateur extérieur à l’action est particulièrement dérangeante car cela amoindri l’impact de ces images en déconnectant régulièrement le spectateur de la trame narrative. On passe ainsi d’un sentiment de décontenancement ("Ah tiens, il n’y a pas qu’Andrew à avoir une caméra"), d’étonnement ("Mais putain, pourquoi elle se filme en train de parler avec Matt sur le pas de sa porte ?!") jusqu’à l’énervement ("Bordel, tu vas la poser cette caméra ??!!"). Chronicle aurait pourtant pu se montrer foncièrement original en se bornant à utiliser une vue subjective que lorsqu’Andrew était présent à l’écran et ainsi diluer les effets de l’immixtion d’une caméra scrutatrice. Or, le réalisateur tenait à ce point à raconter cette histoire exclusivement sous cette forme que pratiquement tout le monde semble adorer se filmer dans sa vie quotidienne. Un questionnement de cette représentation aurait pu être intéressant mais Trank n’en figure même pas une amorce de réflexion. De même, lors du climax, si Andrew fait léviter autour de lui et son adversaire tous les téléphones portables et / ou mini-caméras des badauds présents, cette démonstration de force n’est finalement qu’une ultime justification maladroite pour nous autoriser à suivre l’action au plus près des belligérants et non plus arrimés au plancher des vaches.
C’est d’autant plus dommageable que les trois personnages principaux sont plutôt bien caractérisés. Certes, le cousin en énonçant à Andrew en début de métrage quelques références littéraires afin de bien surligner ce qui sera en jeu par la suite est assez agaçant (au moins nous est-il fait grâce d’une littéralisation au tableau noir comme dans The Moth Diaries) mais globalement, les protagonistes s’avèrent intéressants à suivre. Bien que disposant chacun d’un statut différent au sein de leur communauté estudiantine (Andrew est le vilain petit canard que l’on évite, Matt est un beau marginal intelligent, Steve est le black de service, élève le plus populaire), ils expérimentent à leur propre niveau une forme différente de solitude. De sorte qu’avant même l’acquisition de ces supers pouvoirs, ils représentaient des figures complémentaires dont le lien et les rapports seront raffermis par leur aventure commune.
Rejeté par ses pairs, violenté par son père, s’occupant de sa mère mourante, Andrew choisit de substituer cette vision primaire tragique par une médiation numérique (sa caméra, donc) afin non pas (ou pas seulement) de témoigner du vide affectif de son quotidien et s’y enliser, mais plutôt d’agir avec l’espoir de réintégrer le cadre duquel il a trop longtemps été exclu. Une de ses premières tentatives (la caméra positionnée derrière lui le cadre à droite de l’écran et les cheerleaders à l’entraînement à gauche) est un cuisant échec mais ses supers pouvoirs vont lui permettre de réussir doublement dans son entreprise. D’une part, il a constitué avec ses partenaires une véritable fraternité, d’autre part le spectacle de magie lui permettant d’user de ses extraordinaires facultés au grand jour en fera la coqueluche du campus.
Seulement, toute médaille a son revers, ses pouvoirs développant aussi bien sa violence, jusqu’ici contenue, vers un point de non retour. Son égo croissant démesurément dans un océan de noirceur qu’un environnement familial ou local aura préalablement commencé à façonner. A grand pouvoir, grande responsabilité ? Une antienne qu’Andrew rejette, préférant dominer plutôt que protéger. Ainsi, son parcours initiatique se mue-t-il en chemin de croix mythologique, nous donnant à voir la progression dramatique qu’aurait pu adopter Anakin dans la prélogie lucasienne.
Outre les multiples séquences d’utilisation des supers pouvoirs, il faut mettre au crédit de Chronicle la confrontation finale dantesque entre les deux cousins. Elle est d’autant plus intense que leurs divergences de caractères ne sont pas motivées uniquement par un manichéisme réducteur. Un dernier quart d’heure vraiment impressionnant dans ses effets de destruction urbaines qui renvoie aussi bien à l’opposition cataclysmique de Tetsuo et Kanéda dans Akira qu’à  la manière d’intégrer le point de vue du quidam face à un tel combat destructeur comme le font Kurt Busiek et Alex Ross dans le superbe comic-book Marvels.
S’il ne révolutionne pas le genre, au moins Chronicle, malgré certains choix narratifs hasardeux, s’en montre-t-il plus respectueux que des franchises paresseuses telles Hulk, Thor ou Les 4 Fantastiques (dont le reboot devrait être confié…à Josh Trank).
CHRONICLE
Réalisateur : Josh Trank
Scénario : Max Landis & Josh Trank
Production : John Davis, James Dodson, Adam Schroeder
Photo : Matthew Jensen
Montage : Elliot Greenberg
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h24
Sortie française : 22 février 2012