La Rafle
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- Critique par Nicolas Zugasti le 26 mars 2010
Juste cause
"Le genre de film qu'il est difficile de critiquer, tant il a le mérite d'exister." Excessif.com.
Alors parce qu’un film évoque un épisode infâme et tabou de notre Histoire on ne peut se permettre de juger, de jauger ses qualités purement cinématographiques ? Le simple fait qu’il aborde des évènements traumatisants jusqu’ici sans images devrait l’absoudre de la moindre mise en scène ? Comme si la plus élémentaire grammaire cinématographique devait s’effacer, ployer sous le poids de l’Histoire.
Certes, la volonté de Roselyne Bosch est de relater des faits le plus précisément possible, et, en l’absence de supports visuels d’archive, doit les recréer grâce aux témoignages recueillis pendant plusieurs années, mais en choisissant le médium cinéma elle se doit de susciter un minimum d’implication et d’émotion par le biais d’effets de réalisation (construction des cadres, mouvements d’appareils, montage, etc.). Or c’est le néant absolu, la réalisatrice reste à distance, échouant à faire revivre intensément cette rafle de 13 000 juifs, d’abord entassés dans le vélodrome d’hiver durant plusieurs jours avant d’être envoyés dans le camp de Beaune-La-Rolande en attendant d’être convoyés vers Auschwitz. Certes, elle n’élude pas les responsabilités des autorités du gouvernement collaborationniste de Vichy (Pétain, Bousquet, Laval…) et leur zèle (ils livreront sans distinction hommes, femmes, vieillards et enfants !) pour une autocritique bienvenue mais dans le même temps, on n’a pas vraiment l’impression que les juifs engendraient un fort sentiment de rejet de la part de la population civile mis à part l’épicière outrageusement xénophobe. Cependant, elle s’avère infiniment moins ridicule que les apartés montrant Hitler vociférer à la radio, partager un dîner presque parfait en compagnie d’Eva Braun et autres convives dans son nid d’aigle ou découper un gâteau orné d’un personnage à son effigie. Des inserts sans doute envisagés pour rappeler que l'idée de la solution finale a germé dans l'esprit de ce fou d'Hitler mais qui au final décontenancent quelque peu tant ces images sont déconnectées du récit. Et il y en a qui se plaignait du traitement tarantinesque de Hitler dans une fiction qui annonçait d’emblée sa totale déconnexion de toute authenticité historique...
Louer la volonté de la réalisatrice de retranscrire le plus authentiquement possible ces évènements, d'accord. Mais un film, même nécessaire, peut-il se passer d'un véritable point de vue, de mise en scène ? Non.
Et dans le cas de La Rafle, cela enlève toute la force, toute la portée d'un tel sujet. Il semble qu’en France on ait quelques problèmes avec la représentation historique puisque l’on reproche plus facilement au remarquable Ennemi Intime de Florent-Emilio Siri ses velléités artistiques en leur prêtant une accointance avec la manière de faire d’Hollywood (le repaire du Mal cinématographique comme chacun sait) tandis que l’insipide neutralité dont fait preuve Bosch suscite l’indulgence face au courage de se frotter à cette part sombre de notre Histoire. Pourtant, elle aurait été bien inspirée de prendre le film de Siri comme modèle tant ce dernier projette le spectateur au cœur de la guerre d’Algérie et parvient à faire partager la confusion, la désillusion, l’abattement, bref les sentiments de ses personnages par le truchement de sa réalisation.
Alors qu’elle se devait au minimum d'instaurer le malaise, d'instiller une sensation oppressante lorsque nous entrons dans le Vel' d'hiv', se devait de questionner le fondement même de notre humanité, ici la réalisatrice se contente de filmer platement et donne l'impression de regarder un livre d'Histoire abondamment illustré. Nous ne sommes jamais en compagnie de ces juifs qui, en plus, n’ont pas l’air si perturbés que ça par la promiscuité, la malnutrition, les conditions sanitaires indigentes. Jamais nous n’aurons le début d’une sensation quant à l’ampleur de ce drame. On a bien droit à un plan large de ce vélodrome aux coursives noires de monde venant conclure un des rares mouvements de caméra mais c’est trop peu. Sobriété d’accord mais ce terme n’est pas synonyme de plan fixe ou serré.
Et tandis que l’on pensait découvrir le récit par les yeux du jeune Jo Weisman, on se retrouve les trois quart du temps en train de suivre les actions de l’infirmière courage admirable de dévotion. Un point de vue presque essentiellement extérieur qui aurait pu, aurait dû même, être signifiant si tant est que Roselyne Bosch ait eu un véritable projet de mise en scène en tête. Pour ne prendre qu’un exemple, lorsque les juifs sont parqués dans le camp de transit, le personnage de cette infirmière aurait dû permettre une vision globale du camp (emplacement des baraquements, positionnement des gardiens, etc…) de manière à créer une véritable tension au moment de l’évasion de Jo et un de ses camarades. Mais la caméra est tellement collée au plus près des visages, le montage tellement peu opératique qu’une impression de facilité déconcertante se dégage.
Mais déjà , on pouvait se douter de l’inanité du projet dès lors qu’un film censé rendre hommage à ces anonymes avaient pour têtes d'affiches des acteurs reconnus du grand public. Ce n'est pas seulement une question de talent (ou de manque de) mais le choix d'inconnus aurait été plus judicieux et plus juste. Les Reno, Elmaleh, Testud, Laurent étant sans doute la caution nécessaire pour une diffusion en prime time de ce téléfilm qui ravira les spectateurs de Poubelle La Vie, puisque le jeu des acteurs est si peu naturel et l'émotion ici arrachée de force par une musique larmoyante tout comme les mauvaises séries. Un film raté dans les grandes largeurs et qui suscite d'abordla tristesse par son incapacité à nous renvoyer à l'horreur viscérale de cette tragédie et se satisfait seulement des quelques larmes tirées grâce au visage angélique de Mélanie Laurent ravagé par l'affliction.
La Rafle est raté car il laisse presque totalement insensible tant la mollesse de l'ensemble échoue à susciter le moindre émoi et à nous confronter réellement avec cette horreur orchestrée par le régime de Vichy. Le dernier plan montrant Annette l’infirmière enlacer le petit Nono miraculeusement réapparu à la fin de la guerre est emblématique de cette vision aseptisée où le soulagement (d’avoir bien agi, d’avoir tout donné, fait ce qu’il fallait) doit l’emporter sur toute autre considération. Un gros câlin pour apaiser la peine (les mauvaises consciences ?) avant l’oubli.
Bien sûr, il faut saluer l'initiative de traiter un tel évènement, saluer la précision documentaire. Mais était-on obligé de se passer de la moindre exigence formelle qui aurait dû rendre ce récit un minimum captivant et surtout capable de remuer profondément notre confortable position de spectateur ? Contrairement à François Forestier du Nouvel Obs, on ne peut donc pas vraiment dire que La Rafle fasse honneur au cinéma français.
LA RAFLE
Réalisateur : Roselyne Bosch
Scénario : Roselyne Bosch
Producteurs : Jean-Robert Gibard & Alain Goldman
Photo : David Ungaro
Montage : Yann Malcor
Bande originale : Christian Henson
Origine : France
Durée : 1h55
Sortie française : 10 mars 2010