Dans La Brume Electrique
No country for old Tavernier
Tommy Lee Jones est une énigme. Un acteur condamné par on ne sait quel fatalité du sort à jouer systématiquement le même rôle, celui du vieil homme buriné, dur et sensible, charismatique mais humble, cow-boy ou flic humaniste, désabusé mais pas trop.
Toujours le même (si on oublie Double Face…), un peu comme de Funès, mais voilà , ça marche, Tommy Lee Jones est bon, meilleur que Eastwood, Harris et Freeman, nos autres chers papys du cinéma américain.
Et on oublie bien vite, en regardant le dernier opus de Bertrand Tavernier, que le personnage de Dave Robicheaux n’est qu’une résurrection de K (Men In Black), de Pete Perkins (Trois Enterrements) ou encore du Shérif Bell (No Country For Old Men), pour se laisser porter par le charisme de TLJ et par la subtilité de l’intrigue tirée d’un roman noir de l’américain James Lee Burke, auteur renommé de polars poisseux et métaphysiques.
Comme tout polar qui se respecte, Dans La Brume Electrique commence par un cadavre, celui d’une jeune fille odieusement mutilée par un(e) sadique et retrouvé(e) par l’inspecteur Robicheaux dans le bayou. Enquêtant sur ce meurtre, premier d’une série prometteuse, Robicheaux remuera le passé sanguinolent de la Lousiane post-Katrina, errant dans ce décor miséreux et inquiétant qui deviendra un personnage à part entière (Cette fameuse "brume électrique", rarement un titre ayant été aussi bien choisi…) incarné par ce mystérieux général revenant sudiste qui aidera notre héros dans sa quête. Le scénario, futé, est irréprochable, tout comme l’est le rythme à la fois indolent et inquiétant du récit (on doit au moins ça à Tavernier) : Robicheaux ira de rencontres en rencontres, croisant et recroisant une galerie de personnages plus ambigus et intéressants les uns que les autres (venant du passé comme du présent d’ailleurs), tous jetés dans cette Louisiane traumatisée qui n’est pas sans évoquer par instants une version trash des univers cocasses de la franchise Monkey Island de Lucas Arts. Le premier meurtre faisant écho au lynchage quarante ans plus tôt d’un jeune Noir (sur lequel Robicheaux, hanté, enquêtera un peu malgré lui), c’est en résolvant ces deux énigmes assez peu surprenantes en tant que telles (mais qui liées prennent une dimension psychologique évidente) qu’il arrivera à retrouver une paix intérieure étrange et profonde, désabusée, à son image. Les faits concrets de l’intrigue importent peu, ce film qui part d’un principe enquêteur / psychopathe n’étant ni le minutieux Zodiac ni le baroque From Hell, pour la bonne et simple raison que l’intrigue n’est pas centrée autour de la personnalité du tueur (pas exceptionnelle) mais bien de celle de l’enquêteur, qui finalement enquête plus sur la vie et la mort que sur un meurtrier (un peu banal, qui pourrait être n’importe qui) qui représente plus la violence abstraite qu’autre chose.
Et quelle personnalité que celle de Robicheaux ! Enième avatar de Tommy Lee Jones, on ne peut qu’admirer cet homme, intelligent et bon, mais discret, violent et sans illusion, doux et menaçant avec ses interlocuteurs (ses suspects, quoi), tendre et tourmenté auprès de sa femme. Tommy Lee Jones réussit, un peu comme Heath Ledger dans The Dark Knight ou Bale dans The Machinist, à synthétiser dans son jeu et dans la personnalité de son nouveau personnage tout l’esprit du film, ce climax mental, cet ambiance lourde, poisseuse, indescriptible… Ou bien l’intrigue déteint sur Robicheaux, ou bien c’est Tommy Lee Jones qui a déteint sur le story board, mais il y a un lien rare et très appréciable entre l’essentiel de l’arrière plan du récit et l’essentiel de son intrigue, c'est-à -dire Robicheaux (d’ailleurs l’affiche française ne laissait pas de doute sur l’importance centrale de TLJ).
En s’appuyant sur ce script en or et cet acteur hors normes, Tavernier aurait pu bâtir son chef-d’œuvre américain, réaliser enfin cette quintessence du film noir qu’il semblait rechercher, bref, frapper fort et droit. Mais de la même manière que la première scène révèle d’emblée les grandes qualités du film (la présence de Tommy Lee Jones), elle révèle sa grande faiblesse, toute bête : la caméra. Affirmation pouvant paraître prétentieuse à beaucoup mais que je ferais quand même : Tavernier filme maladroitement. Non pas mal, ce serait aller trop loin, mais l’image hésite, entre le réalisme épuré et le glauque, comme si Tavernier impressionné par l’Amérique avait les mains moites et bâclait son story-board… Plans trop serrés, trop nets, décors trop sobres et un peu vides, photo trop banale, ni claquante ni sombre, et puis cette caméra portée qui tremble un peu, comme si Tavernier avait voulu filmer au trépied et que les producteurs lui avait refusé l’investissement. C’est donc regardable, mais sans plus, et comme le cinéma, c’est d’abord des images, cette histoire envoûtante et subtile se trouve handicapée par la réalisation tant la caméra est froide, un peu chiante, en un mot, artificielle. Un film qui aurait viré à la platitude totale si Tavernier avait embarqué quelqu’un d’autre que TLJ au premier plan (imaginez The Wrestler avec quelqu’un d’autre que Rourke…).
Ce qui est finalement assez drôle, c’est que les bons polars reposaient le plus souvent sur des scénarios ou alors complètement banals (Le Deuxième Souffle) ou alors extrêmement élaborés (Usual Suspects) et que leur qualité venait de la maîtrise esthétique de leur réalisateur… Dans La Brume Electrique, (qui aurait pu s’appeler "TLJ sauve la Lousiane et un bon scénario d’une réalisation laideronne"), prend le chemin inverse, en partant d’un scénario intelligent mêlant intrigues passées et présentes, métaphysique et peinture précise d’un contexte social très particulier, pour finalement arriver à un gâchis esthétique. Un bon gâchis, au scénario prenant, rythmé, intelligent et bien joué, mais un gâchis quand même. Les Français souffrent à Hollywood.
IN THE ELECTRIC MIST
Réalisateur : Bertrand Tavernier
Scénario : Jerzy Kromolowski & Mary Olson-Kromolowski d'après le roman de James Lee Burke Dans La Brume Electrique Avec Les Morts Confédérés
Production : Michael Fitzgerald, Frédéric Bourboulon…
Photo : Bruno de Keyzer
Montage : Larry Madaras & Roberto Silvi
Bande originale : Marco Beltrami
Origine : USA / France
Durée : 1H57
Sortie française : 15 avril 2009