The Wrestler
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- Critique par Guénaël Eveno le 24 février 2009
Catch me an Oscar! (if you can)
Mickey Rourke est de retour, comme vous devez le savoir. Vous devez même le savoir un peu plus depuis quelques temps puisqu’on vous dit et redit que The Wrestler est son grand come-back.
Les plus minutieux préciseront dans un premier rôle, et ils auront raison. Car Rourke est revenu depuis quelques temps déjà , mais comme ce n’était que pour des petits réalisateurs comme Robert Rodriguez ou Tony Scott, on va dire que ça comptait pas vraiment. Rourke est revenu dans le métier depuis 1995, métamorphosé par une longue autodestruction physique et faciale (merci au scalpel) qui auront eu raison de Johnny Belle Gueule. Il aura fallu quatorze ans pour que l’acteur transfiguré puisse fièrement porter un film sur ses épaules. Il aura fallu aussi qu’une mode engoncée dans la nostalgie se pose là pour porter aux nues ces stars des années 80 qui sont revenues de tout, souvent pour le meilleur il faut dire. Ne dévalorisons pas la charge lacrymale du très bon Rocky Balboa, ni le monologue émouvant d’un J.C.V.D. transfiguré. Dans the Wrestler, Rourke entonne lui aussi sa complainte avant son dernier combat, si bien qu’un arrière goût persiste malgré l’étonnante sincérité et la présence de l’acteur. Randy "Ram" Robinson était un grand catcheur dans les 80’s, et depuis il est resté catcheur. Vivant sa vie au gré de sa passion et dans une extrême précarité, il vieillit et commence à voir courir les symptômes de ses excès. Jusqu’au jour où il s’écroule, victime d’un arrêt cardiaque. Il devra arrêter le catch, ce qui le placera face à sa vie chaotique, entre une fille qu’il a abandonnée et une strip-teaseuse bienveillante. S’en sortira ? S’en sortira pas ? On comprend en tout cas que l’acteur ait été inspiré par ce rôle de catcheur écorché vif qui traîne son vague à l’âme. Ram Robinson ressemble à Mickey Rourke. Logiquement, son interprétation est en symbiose totale avec le personnage. Il dégage une présence physique étonnante, maîtrise le catch (selon les dires d’Aronofsky, un des meilleurs élèves du maître qui l’a entraîné) et il confère aux scènes intimistes une authenticité qui rappellent que Rourke est de la trempe d’un Brando et ce n’est clairement pas ce qu’il est devenu qui altèrera sa présence à l’écran.
Voilà . Simidor il est comme ces faux journalistes des magazines qui parlent de la star au lieu du film. La raison est que The Wrestler tend à être le vaisseau de Mickey Rourke. On en arrive même à se demander ce que le film aurait pu donner si Nic "Moumoute" Cage, pressenti au départ pour incarner Ram, avait obtenu le rôle. D’un film suivant de près un catcheur has been traité par Darren Aronofsky, on pouvait s’attendre à quelque chose d’intrigant mais de très fort lorsqu’on voit de quoi le cinéaste a été capable sur les scènes intimistes du magnifique The Fountain (clairement les meilleurs du film). Darren a préféré aller voir du coté des Dardenne et il le revendique. Au final il s’y’est un peu perdu. La caméra suit le catcheur du ring jusqu’à la vraie vie, montrant le décor et son envers dans le même élan. Alors que le catch est une mise en scène, le catcheur y reste coincé, contraint de vivre des moments "normaux" fugaces alors que le spectacle et les excès le rappellent. Plus de Kronos Quartet et de grande musique (même si Clint Mansell a une fois de plus fait du bon boulot), fini le développement carré de la mise en scène et de l’image, The Wrestler se calque sur le modèle de la chronique sociale épurée, lavé d’un potentiel cinématographique qui aurait pu être énorme.
On évite le misérabilisme de justesse, essentiellement grâce aux performances exceptionnelles des acteurs. Aronofsky n’a jamais été dans la finesse avec ses scénarios, et même s’il n’est pas l'auteur principal de celui-ci, The Wrestler n’évite pas l’écueil du simplisme. Un simplisme purement cinégénique qui était magnifié dans ces autres films par autant d’éléments sensoriels et de rigueur dans la structure du scénario qui ne sont pas présents ici. L’épure, qui correspondrait parfaitement à un propos irréprochable et fouillé sur le fond, fait ressortir un scénario prévisible et une intrigue tire-larme. On voit pourtant ce qu’aurait pu être le film à travers un final en forme d’explosion dans la face comme Aronofsky sait nous les asséner à la manière d’un boxeur. Une poignée de scènes insistent sur les mutilations que porte le catcheur à son corps et comment celui-ci finit par se retourner contre lui. On retrouve dans ces scènes la froideur clinique, la douleur et le malaise d’un Requiem For A dream, et c’est bien à une version light et christique de ce film que la déchéance finale fait penser. Après s’être donné à son art et à son public en dernier recours, le catcheur (l’acteur ?) atteint l’immortalité au même titre que l’amour des deux amants de The Fountain. Cependant, à la lumière du reste du métrage et embrassant le regard de la femme qui l’aime, cette consolation n’est rien d’autre qu’un enfermement qui se conclut par un suicide théâtral. Il est symptomatique que dans la longue scène d’un combat de catch très violent mise en parallèle à l’intervention des soigneurs, le simulacre demeure bien plus percutant que les sentiments du héros. Délaissant le ressenti pour un réalisme fataliste, The Wrestler est au final le film le moins intéressant d’Aronofsky et plus un retour en arrière qu’une véritable renaissance.
Il faut tout de même se réjouir de la présence du grand Mickey, de celle de la divine Marisa Tomei et d’Evan Rachel Wood qui a très bien grandi. On pourra aussi apprécier ce monde noyé dans la nostalgie des années 80 dans lequel le héros joue à la Nintendo et maudit Nirvana qui est venu mettre un terme à la joyeuse fête des hardrockers. Qui aime AC/DC ou les Guns ne pourra que jubiler devant l’utilisation qui est faite de leurs morceaux. Quoiqu’il en soit, The Wrestler aura fait parlé de lui plus que les trois précédents films du réalisateur, et ce bien avant sa sortie, raflant en plus du Lion d’Or à Venise un Golden Globe pour son acteur. Le sieur Rourke était aussi en lice pour un Oscar qui aurait été grandement mérité. Mais il a fallu que Sean Penn, avec le combo film politique sur une minorité + label Gus Van Sant vienne arracher la récompense au catcheur. Pourtant Darren ne s’était pas trompé de calibre.
THE WRESTLER
Réalisateur : Darren Aronofsky
Scénario : Robert D. Siegel & Darren Aronofsky
Production : Darren Aronofsky, John Franklin
Photo : Maryse Alberti
Montage : Andrew Weisblum
Bande originale : Clint Mansell
Origine : USA
Durée : 1h45
Sortie française : 18 février 2009