2012
- Détails
- Critique par Nicolas Bonci le 16 novembre 2009
Demolition man
Ça aura mis le temps, mais devant les machines à café du secteur tertiaire les spectateurs du samedi soir s'accordent enfin à considérer Roland Emmerich comme un faiseur de bouses, mais de bonnes bouses, de celles qui dégagent les bronches et font pousser les patates sans incommoder nos sens (n'est-ce pas).
Le Jour D'Après est venu refroidir les enflammades de ses détracteurs prompts à dénoncer les effets propagandistes puérils ou marketings du teuton dévastateur ("Maintenant qu'il dit du mal des américaings on va kiffer sa balourdise discursive et démago, cong"). Et là nous pouvions craindre une chose : et si, comme tant d'autres avant lui, Roland allait succomber aux sirènes louangeuses, tomber dans les travers de la reconnaissance et devenir une pâle copie de lui-même, livrant machinalement et sans entrain ce qui a fait sa marque de fabrique auprès de ses fans dans l'unique but de contenter ses frais admirateurs ? Le cauchemar, non ? Réveille-toi petit déviant et remate-toi ID4 pour la 47ème fois, ce jour de malheur est arrivé.
L'année de malheur, même. Pas 2009, mais 2012, qui verra l'univers se révolter après la ré-élection de la talonnette. Comment ? On ne sait pas. Une histoire de planètes alignées, de micro-onde géant dans lequel la Terre remplace le chat qu'on se plaît à faire imploser et de prédictions Maya d'après leur fameux calendrier qui s'arrête à 2012, preuve pour les uns que cela marque la fin de notre monde et pour les autres que le préposé à la gravure du calendos s'est dit que d'ici 1500 ans y aurait bien un gus pour continuer le taf. Bref, ça chauffe, John Cusack part camper en Limo, la Californie devient un water bed géant. Normal.
S'il y a bien un truc qu'on ne peut lui enlever au père Emmerich, c'est qu'il sait manier sa barque niveau préliminaires. Il connaît la chanson, Roland : fidèle à sa recette ayant moult fois fait ses preuves (allez, qui n'a jamais pris son panard devant les premiers tiers de Stargate ou de Independance Day ?), Emmerich aligne les expositions réglées au métronome, structurées invariablement sur le même moule : un personnage fait une découverte mystérieuse, la scène suivante présente un nouveau protagoniste auquel on rapporte cette découverte, ad lib, le tout garni de salles remplies d'écrans, de militaires qui courent l'air concerné et de dialogues de grosse chaudasse qui font partir au quart de tour tout obsédé de la golitude assumée. Allez, on n'y résiste pas :
"- On mesure un accroissement de 0,5 %.
- Par jour ?
- Non.
(silence d'une durée calculée scientifiquement selon une ancienne méthode Maya pour foutre la pétoche)
Par heure !"
Génie.
Bon, et pourquoi invoquait-on un jour de malheur plus haut ? Très simplement parce qu'une fois passé ce premier tiers qui voit tout péter (mais alors tout, et joliment, façon Michael Bay rentre chez toi et prend Prédictions dans ton coffre tant que t'y es), on finit par se lasser goulûment. D'une, de part la récitation méthodique des effets à la Emmerich : il ne nous épargne rien, et sans même proposer une infime variation un tant soit peu fun autour de ses motifs, tel que le sauvetage du chien, ici un chihuahua… (Un chihuahua nom de dieu...) De deux, à cause de personnages insignifiants (John Cusack ne vaut pas Dennis Quaid ni Jeff Goldblum. Mais qui vaut Jeff Goldblum ?). De trois, par une feignantise crasse dans l'écriture (enfin, c'est relatif), les arcs et épreuves ne soutenant jamais l'ampleur d'un tel sujet (toute l'ingénierie humaine pour sauver notre civilisation mise à mal par un… câble électrique).
A trop vouloir donner le film somme de sa carrière, Emmerich ne parvient jamais à rendre ses résolutions plus excitantes que ses expositions. A contratrio des frères Larrieu qui inventaient il y a peu l'hypocalipse, ici Roland créé l'hypercalypse : tout pète tout le temps, nous sommes d'accord, mais également parce que ce qui pète ici se rapproche plus d'un hyper-réel baudrillardien que d'un terrain de jeu gonzo. Partout, tout le temps, la mise en scène est soutenue par des cartes, des caméras, des capteurs, des sondes, des satellites, rendant les catastrophes mesurables, quantifiables, quasiment paramétrables (l'avion des héros n'a plus d'essence ? Les continents se déplacent pour eux !) et finalement les événement restent abstraits. On ne compte plus les comptes à rebours divers (qui prennent dix minutes d'un plan à l'autre), les collisions chiffrées et autres nombres harassants qui dédouanent inconsciemment Emmerich et son classicisme d'un effort quelconque de mise en scène, de mise sous tension (n'est pas Tony Scott qui veut). La dernière partie, dans laquelle l'équipage d'une arche assiste en direct à l'acte de bravoure de Cusack par le biais de caméras de surveillance est à ce titre un summum de non-cinéma.
Grosse déception donc que ce 2012 qui vaut moins que 10 000 (appréciez la cohérence mathématique). Son attendrissante tendance de plus en plus affichée à se prendre pour ses modèles, notamment à travers le réglage de compte du personnage de Cusack envers les critiques de son livre "naïf" copié/collé chez La Jeune Fille De L'Eau De Shyamalan, ou le petit trio familial en virée venu tout droit de La Guerre Des Mondes de Spielberg (qu'il espère égaler depuis 1987 et son Ghost Chase pompant E.T.), démontre clairement les intentions auteuristes d'un Emmerich qui ne parvient pas à passer de nouveaux caps.
Au milieu de 2012, le héros cherche un moyen de traverser l'océan atlantique, il se tourne alors vers le public et envoie un clin d'œil à la finesse pachydermique : "Faudrait un avion plus gros", allusion finaude au chef-d'œuvre de Spielberg. Voici Emmerich tout résumé : dès qu'il se trouve en difficulté, il pique aux autres, entre cynisme et candeur, espérant que le gimmick masque ses lacunes. A-t-il à ce point peur de l'apocalypse de 2012 pour se croire en 1997 ?
2012
Réalisateur : Roland Emmerich
Scénario : Roland Emmerich & Harald Kloser
Production : Roland Emmerich, Harald Kloser, Larry J. Franco...
Photo : Dean Semler
Montage : David Brenner & Peter S. Elliot
Bande originale : Harald Kloser & Thomas Wanker
Origine : USA / Canada
Durée : 2h38
Sortie française : 11 novembre 2009