Kathryn Bigelow - 3ème partie

The heart locker

Kathryn Bigelow

On s’est dit que pour justifier une troisième partie (et générer plein de clics !), rien de tel qu’un portfolio de la très belle Kathryn Bigelow. Mais comme ici c’est pas Premiere ou Studio-Ciné-Live, ben vous vous contenterez de la photo de présentation ! Allez hop, suite (et fin ?) de l’analyse de la réalisatrice.


Sérieusement, cette suite imprévue n’est pas née de quelque esprit tordu résolu à générer un nombre important de visites du site. Mais la révision de Blue Steel a eu pour effet de révéler de nouvelles connexions sous-tendant l’œuvre de la réalisatrice. Et plutôt  que de se contenter de la mise à jour promise dans la première partie de cette analyse, et qui au final saurait été fastidieuse, autant les développer un minimum.

Si Le Poids De L’Eau reste le film le plus méconnu de sa filmographie, Blue Steel est sans doute le moins apprécié. Peut être parce qu’il vient après Aux Frontières De L’Aube, première œuvre devenue un classique presque instantané. Pourtant, malgré la performance de Ron Silver (dans le rôle d'Eugene Hunt) et la coiffure improbable de Clancy Brown (bordel, on affuble pas le Kurgan de boucles blondes ridicules !), le deuxième film de Bigelow sait ménager d’intenses séquences de tension et d’action et s’avère être son film le plus dépressif et cruel envers son héros. Bigelow nous gratifie ainsi d’une réalisation illustrant le ressenti de son héroïne en faisant partager au spectateur son angoisse et son anxiété lorsqu’elle pénètre dans la supérette braquée par Tom Sizemore (plans serrés sur Megan lors de sa progression, la caméra ne dévoilant que ce qu’elle voit). Ici aussi le manque de réactivité entraîne la mort (même factice lors de la scène d’ouverture) et l’on se situe également à la frontière de différents genres, le fantastique (avec son yuppie avide de sang à répandre, voire à consommer) et le polar. De même, on retrouve cette idée d’une quête amoureuse difficile et tortueuse. Autrement dit, ses héros vont devoir se gagner le repos du guerrier.


EROS ET THANATOS
Et cet amour quasi impossible qui imprègne sa filmographie (jusqu’à Démineurs) est toujours associé à la mort. Dans les films de Bigelow, les personnes aimées par ses héros finissent généralement très mal : Mae est une vampire, le coéquipier de Megan se fait tirer dessus, ne subsistera que des images vidéos de Tyler enlevée par les hommes de Bodhi, l’équipage du K19 soumis à de fortes radiations…). Non pas que Kathryn Bigelow en ait une conception réac digne d’un slasher de base punissant les jeunes succombant au péché de chair mais traduit plutôt l’exigence d’un sentiment aussi puissant. Cet amour est ainsi le plus souvent symbolisé par des corps féminins à la limite de l’évanescence, des figures fantomatiques hantant littéralement ses histoires. Et pour incarner durablement l’être aimé, il faudra parvenir à conjurer sa disparition et recourir comme Orphée à une descente aux enfers pour le retrouver. Caleb doit donc se confronter au monde des vampires pour ramener Mae, Utah affronte Bodhi sur son terrain pour rejoindre Tyler, Néro plonge dans le monde interlope de L.A pour revoir Faith, Megan Turner en manque d’affection, se laisse séduire par Hunt et devra le tuer pour se défaire de son emprise mortelle (il a tué sa meilleure amie, gravement blessé son partenaire et amant, représente une menace potentielle pour ses parents). Outre la dimension infernale que revêt le parcours amoureux du héros "bigelowien", il devra affronter ses propres démons intérieurs que la cinéaste s’ingéniera à matérialiser par l’entremise d’antagonistes : Caleb/Severn, Megan/Hunt, Johnny Utah/Bodhi, Néro/Max, Jean/Maren, Polenin/Vostrikov, le sergent James/Sanborn. Il s’agira donc de les maîtriser, admettre leur existence, accepter qu’ils constituent une partie de soi et ne pas se contenter de les refouler. Y succomber (Le Poids De L’Eau) ou les renier (Blue Steel) mène à la catastrophe. Tuer Hunt revient pour Megan à tuer une part d’elle-même, une mort métaphorique qui a des répercussions physiques presque létales, cette dernière est retrouvée en fin de métrage complètement inerte derrière le volant, extirpée de l’habitacle qans qu’elle ne réagisse. Ce délabrement corporel est souligné par Bigelow par le biais de la bande sonore, le son des sirènes étant à peine audible et par la prédominance de plus en plus marquée de teintes bleues-gris rappelant le métal des armes à feu mais aussi le signe d’une minéralisation à l’œuvre, dévitalisant peu à peu la policière (son aspect cadavérique laisse peu de place au doute).

Aux Frontières de l'Aube
Aux Frontières De L'Aube

La tragédie liée aux liens affectifs  parcourant ses films, Bigelow la renforcera par celle liée aux liens familiaux, que la famille soit naturelle ou d’adoption. Le dilemme réside donc dans ce choix cornélien. Si Caleb le résoudra grâce en partie à l’amour que lui portent son père et sa sœur bravant le danger pour tenter de le soustraire à sa famille vampire, il n’en sera pas de même pour Megan qui a choisi de rejoindre la grande famille de la police pour échapper et punir un violent envers sa mère. Non seulement elle est rejetée de sa famille naturelle (impossible pour elle de continuer à passer l’éponge) mais elle aura toutes les difficultés du monde à s’intégrer (elle est suspendue dès son deuxième jour) et ses efforts pour privilégier l’uniforme seront à terme tellement traumatisant qu’elle en mourra presque. Johnny Utah lui a presque réussi à concilier les deux jusqu’au final où il finira par jeter sa plaque. Enfin, le sergent James préfèrera quitter femme et enfant pour retourner dans l’enfer irakien.
Au fond, Bigelow orchestre une vaste quête identitaire de ses personnages, remarquablement servi par une réalisation utilisant les séquences introductives pour annoncer ses intentions.

Blue Steel
Blue Steel



MISES EN SITUATION
Les séquences d’ouverture des films de Bigelow possèdent différents niveaux d’appréciations et objectifs narratifs. Tout d’abord, introduire l’action de manière explosive ou excitante : pénétrer dans un lieu à la topographie inconnue afin de circonscrire une menace (Blue Steel), un entraînement au tir sous la pluie (Point Break), vision subjective d’un cambriolage tournant mal (Strange Days), emprisonnement brutal d’un suspect (Le Poids De L’Eau), armement de missiles nucléaires (K19), désamorçage d’une bombe (Démineurs). Ensuite, ces scènes permettent de caractériser le ou les héros : le couple Caleb/Mae, Megan Turner est une recrue à la gâchette facile mais encore inexpérimentée, Utah est un tireur hors pair… Plus important, elles vont conditionner le spectateur à ce qui va suivre et définir précisément les enjeux et/ou les liens qui vont unir les personnages. Dans Point Break, le fait d’alterner les tirs de Johnny avec la glisse d’un surfeur laissé dans l’ombre ne renvoie pas à une simple opposition (le gentil flic contre le méchant surfeur) mais souligne d’emblée le questionnement auquel sera soumis l’agent du F.B.I, qui est-il réellement ? Ces séquences de faux-semblants (la drague de Caleb va se retourner contre lui, Utah participe à un simple exercice, tout comme l’équipage du K19…) servant de répétition, de mises en situation

Strange Days
Strange Days

Ce souci d’une mise en scène adaptée se retrouvera bien évidemment tout au long des films. On l’a vu précédemment, le héros "bigelowien" agit sur l’environnement dans lequel Bigelow l’oblige à évoluer, transformant irrémédiablement à son contact les comportements de ses partenaires ou antagonistes. Et inversement, les interactions le changeront profondément. Or, il agit également sur la réalisation des plans de son adversaire et donc sur la réalisation de la cinéaste elle-même. Dans Point Break, les braquages de banque sont parfaitement réalisés jusqu’à ce que Johnny soit intégré au groupe. Jusqu’alors, l’enchaînement des plans était millimétré et pour la première fois la caméra aura des mouvements chaotiques. Dans Strange Days, la P.O.V sequence du viol mortel de la prostituée est parfaitement et précisément réalisé. Nous voyons apparaître en fin de séquence les mains du tueur former un cadre autour du visage inerte de sa victime puis se conclure par le reflet du visage cagoulé du psychopathe dans l’œil de Iris. Effet garanti sur le spectateur / Nero. Cependant, lors du remake simulé où cette fois c’est Faith qui est prise pour cible, le tueur sous-estime la force mentale de Nero qui ira au bout de la séquence (il s’y reprendra à deux fois) et verra le visage de Max se refléter dans un miroir. Certain de l’effet psychologique imprimé à Néro, Max/Bigelow négligera de couvrir ses angles de prises de vues ou d’effectuer une coupe au montage afin de préserver l’unité de la simulation, de la mise en scène. Ce dérèglement de la réalisation intervient également dans Blue Steel lorsque Megan Turner de plus en plus sous l’emprise de Hunt est confrontée à ses derniers artifices. Alors qu’elle a menotté son collègue au volant de la voiture, elle suit le faisceau lumineux d’une lampe torche qu’elle croit tenue par Hunt. Ce dernier a anticipé son action et mis en scène cette représentation à l’attention de Megan. Cette dernière tentera de reprendre les choses en mains en laissant faire son instinct. A peine revenue sur ses pas, elle dégaine et tire sans sourciller sur Hunt prêt à abattre son partenaire et le blessant au bras. A partir de cet instant, l’instinctif, le sensitif présidera jusqu’au terme du climax. A la mise en scène réflechie initiée par Hunt/Bigelow, se subsitue des actions purement réactives de Megan Turner.

C’est aussi ça la force du cinéma de Bigelow, nourrir le récit autant par les émotions et les actions suscitées par sa mise en scène que par des mises en abyme où elle teste la capacité de ses héros à prendre en charge la réalisation afin de subvertir leur vision avec un accomplissement personnel.


Partie #1
Partie #2




   

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